• Interview Christopher Stills | 2023

Dôme de Paris, mars 2023
 
Intégrale interview Christopher Stills
pour “Schnock”,
février 2023
 
Le numéro 47 de Schnock comporte un copieux Grand Dossier dédié à son illustre mère, Véronique Sanson. Pour l’occasion, le camarade Baptiste Vignol et moi-même étions allés tendre notre micro à Christopher Stills, confortablement installés dans les moelleux fauteuils de l’appartement familial, à un mètre du piano où Véronique a posé ses petites mains à 3-4 ans, assise sur les genoux de son père. Christopher nous a raconté plein de trucs. Las, au moment de rendre notre copie, il a fallu sortir les ciseaux : nous ne disposions que d’une double page. Mais grâce aux dieux de toutes sortes, les blogs existent et permettent aujourd’hui de proposer ici l’interview in extenso
NB. Il sera en concert au Café de la Danse à Paris le 29 avril 2024.

Quel est ton premier souvenir musical ?

La première fois que je suis monté sur scène, c’était à Wembley dans les bras de mon père avec Crosby et Nash devant 90 000 personnes. J’étais bébé mais il a dû se passer quelque chose en moi. Cette espèce de masse de voix et d’applaudissements, quand tous les yeux sont fixés dans ta direction… La scène m’a toujours attiré. J’ai grandi en suivant mes parents et tous leurs musiciens en tournée, c’était des forces de la nature en connexion avec leur musique. Je voyais bien leur charisme, sans le comprendre. 

Wembley, 14 septembre 1974 (© Patrice Pascal)


Et ton premier concert ?

Mon premier vrai concert, c’était pour une High School Party à Paris, j’avais 13-14 ans. Je faisais 1 mètre de haut, j’étais un des plus petits de ma classe et je chantais avec des plus mecs plus âgés. Tout le monde buvait…


À quel moment la musique est-elle devenue une évidence ?

À l’âge de 10 ans, quelque chose a basculé : je rentrais de l’école et j’ai entendu Little Wing de Jimi Hendrix à la radio. J’ai trouvé ça tellement beau. À l’époque je pensais que les notes les plus hautes sur une guitare étaient en bas du manche. Cette chanson a éveillé ma curiosité qui est vite devenue une fascination. Je n’avais encore jamais utilisé la platine dans ma chambre, j’ai retrouvé un album de Buffalo Springfield [groupe de son père, NDLR]. Je me suis enfermé et j’ai mis For What is Worth cinquante fois de suite, sans savoir pourquoi. À partir de là j’ai compris que ce qui se passait sur scène n’avait rien à voir avec la vie de tous les jours, que c’était unique au monde et j’ai commencé à regarder d’une autre façon mon père et tous ces musiciens que je voyais sur scène et à la maison. Mon père raconte quelque chose d’approchant : un jour il est allé voir les Beatles avec sa sœur et c’est là qu’il a eu le déclic, qu’il a su ce qu’il voulait faire.

Paris, avril 1977


Ça donnait quoi, l’ambiance à la maison ?

Il y avait tout le temps de la musique, surtout la nuit. Je m’engueulais avec mon père, je sortais de ma chambre : “Il est 4 heures du matin, j’ai école demain !”. Mon cousin, avec qui je vivais, disait que j’étais le seul à lui tenir tête. Tout le monde lui disait oui, moi je lui rentrais dedans. Je tiens ça de maman, je pense. Mais je ne faisais pas encore de musique à l’époque, un peu pour m’opposer à mon père…
Il faut dire que ce n’était vraiment pas un environnement familial idéal… Dans le studio, il y avait un grand bol de marijuana – le “reste”, c’était tout le temps gardé parce que mon père ne voulait jamais partager (rires). Crosby avait été arrêté, il était en taule. Un jour il a appelé à la maison et c’est moi qui ai décroché. Je devais avoir 10-11 ans et j’étais totalement désolé parce que j’avais vu dans les films que quand tu es en prison, tu as droit à un seul appel et comme j’étais tout seul, je me disais qu’il avait gâché son unique appel… Il est devenu sobre plus tard. Graham n’a jamais vraiment eu ce genre de problème, mais mon père lui, il tenait encore à l’alcool, il tenait à la fête. Il n’est pas très fier de tout ça…  


Tout a changé à ton arrivée en France ?

Oui, Véro vivait avec Étienne [Chicot, NDLR] à l’époque, qui avait deux fils, Alexandre et Adrien. Je retrouvais ma mère pour la première fois et dans un vrai cadre familial, une stabilité que je n’avais jamais connue. Je me suis installé chez mes grands-parents un moment aussi parce que c’était plus pratique pour aller à l’école. C’était des gens très bien élevés, très intelligents. Avec eux j’ai appris la dignité, un sens des responsabilités, les bonnes manières, la bonne bouffe, comment se tenir à table. Et la culture aussi : on regardait les news, on en parlait après. Mon grand-père dirigeait une association d’anciens Résistants de 40. Je prenais le sabre et j’allumais la flamme sous l’Arc de Triomphe, entouré de gardes. Tout à coup, je faisais partie de la République !


La musique, tu l’as d’abord apprise au piano ?

Oui quand j’étais petit, maman a essayé de m’apprendre des trucs, des bouts de Gershwin, de Bach. Je lui retirais les mains quand j’avais compris et je lui disais “À moi, maintenant !” et après j’improvisais, j’étais tout le temps au piano. Elle voulait que je prenne des cours mais les gammes, ça me faisait chier. Je jouais L’amour est un oiseau rebelle de Bizet pour mes potes à l’école à 7-8 ans. Le piano, c’était cette énorme masse collée dans une pièce, et quand je me suis retrouvé avec une guitare dans les mains, un instrument que je pouvais emporter dans ma chambre, j’avais tout à coup un petit cocon à moi, un peu à l’abri du regard des autres. Maman m’a appris les barre chords, sur un genre de blues à la John Lee Hooker. J’ai joué ça pendant des heures et j’ai trouvé mes doigts. 

 

Et tu as continué avec ton père ?

Mon père ne m’a jamais rien montré, et je n’ai jamais pris de cours de guitare. Un jour j’étais en tournée avec lui, et Doug Breidenbach, son guitar tech (le mec qui accorde, check les intonations, les amplis) m’a demandé si je jouais de la guitare. J’ai répondu non, il a trouvé ça bizarre. On était à Salt Lake City, on avait un jour off et il m’a montré Rocky Raccoon et Bungalow Bill des Beatles. J’ai appris assez vite et quand je suis rentré en France, j’ai proposé au prof de guitare d’accorder les 25 guitares espagnoles de l’école s’il me laissait en emprunter une quand je voulais. Il a accepté.

Paris, 2011 (© Christian Meilhan)


Parle-nous de la collection de guitares de ton père.

Quand mon père vivait à Berverly Hills, à côté de sa chambre, il y avait son studio et, derrière, une pièce avec toutes ses guitares. J’y ai passé des journées entières, c’était comme la caverne d’Ali Baba. Ses guitares de collection étaient dans une pièce en bas fermée à clé, dans des boites en bois. Il s’en est fait voler plein, il en a vendu d’autres… Il y a un numéro de Guitare Player Magazine consacré à sa collection, avec les numéros de série, je l’ai à la maison. On a écrit une chanson ensemble quand j’avais 10 ans, Stranger, ma première compo au piano, qui m’a permis de toucher mon premier chèque, quelque chose comme 800 $ (ce qu’on reçoit aujourd’hui quand on écrit un album entier !) avec lesquels j’ai immédiatement acheté pour maman un set complet de casseroles en verre dont j’avais vu la pub à la télé. J’étais fier de moi, mais elle m’a douché quand elle l’a reçu : “Mais qu’est-ce que c’est que ça ?” (rires).


Quand as-tu découvert la musique de ta mère ?

Bien plus tard que celle de mon père. Je me souviens de l’enregistrement de la chanson Le temps est assassin dans un studio en dehors de Paris [studio de La Frette, NDLR]. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser à sa musique. Avant ça, quand elle enregistrait le 7ème, je m’intéressais surtout au flipper dans la salle d’attente du studio à LA, j’y passais mon temps quand je n’allais pas à l’école. Ce qui est marrant, c’est que quand j’ai présenté Haim Saban, le père de ma première femme, à maman, je pensais évidemment qu’ils se voyaient pour la première fois mais ils se sont sauté dans les bras : c’était lui qui avait ce petit studio, il ne m’avait rien dit !
Un jour, elle a fait l’Olympia pour le 25e anniversaire d’un album des Beatles. Elle a joué Something, une chanson magnifique, et à la fin, backstage, devant tout le monde, elle a mis sur mes genoux le coffret CD des Beatles qu’elle avait reçu en me fixant dans les yeux : “Tiens, écoute ça” et juste après elle en a sorti “Sergent’s Pepper” et a dit “Commence avec ça !”. J’avais 13 ans, j’étais dans mon monde de petit garçon mais j’ai compris leur influence. Véronique faisait des tournées, plein d’Olympia, j’étais avec elle et c’était normal pour moi. Mais j’avais des potes qui allaient en colonie de vacances pendant que je me faisais chier dans les tourbus

Triel, années 1990 (collection personnelle V. Sanson)


Ton père était-il fier de tes premières scènes ?

Quand j’ai fait la première partie d’Eddy Mitchell à Bercy [25 au 29 janvier 2000, NDLR] pendant une semaine tout seul avec ma guitare. La première date, je ne savais pas ce que je faisais, je ne tenais rien. Ma mère faisait l’Olympia avec Lee Sklar à l’époque, ils sont venus me voir et Lee m’a dit “Tu joues dans une arène de sport, il faut que t’y fasses des titres up tempo et que tu les fasses le plus fort possible”.  Plus tard j’ai dit à mon père : “Papa j’a joué devant 12 000 personnes pendant une semaine !”, j’attendais un “Bravo mon fils, c’est génial” et il m’a regardé : “Maintenant on peut parler”. On peut voir ça comme un compliment, comme sa manière de dire “Tu es des nôtres”, mais c’était une sorte de warning : on n’est pas là pour se taper dans le dos, on est là pour faire de notre mieux, donc il n’allait pas me cirer les pompes. Je sais qu’il disait du bien de moi quand je ne n’étais pas dans la pièce parce qu’on me l’a dit, mais il ne me le disait pas en face…


Le problème de CSNY, on le sait, c’est qu’ils se battaient tout le temps…

Oui, c’est un peu l’histoire de leur groupe. La blague, c’est : la raison pour laquelle Eagles et America existent, c’est parce que CSNY ont passé leur temps à se battre, au lieu de faire des albums. Il y avait une saine compétition au départ à Laurel Canyon, sur les collines de Californie, avec Joni Mitchell, Mama Cass… L’époque était différente, il y avait tellement de création qu’il n’y avait pas de compétition, tout le monde s’en foutait. Il y en avait un qui disait “Tu fais rien avec ce bridge ?”, il le prenait et il en faisait un hit. Et quand ma mère est arrivée là dedans, elle a voulu sa place, elle a voulu prouver son talent à ces mecs-là et elle s’en est très bien sortie. Et elle a fait le bon choix ensuite en rentrant en France. Je vivais aux États-Unis à cause de la garde qui avait été donnée à mon père au moment du divorce, je l’ai rejointe dès que j’ai pu, après trois années un peu rock’n’roll chez mon père.


En 1993, on te voit avec tes parents sur scène à Los Angeles…

Oui, c’était la première fois qu’on était ensemble sur scène [au Greek Theatre, NDLR]. Je me posais des questions, je me demandais si mes parents allaient se remettre ensemble, tout en sachant que c’était une très mauvaise idée… En fait je pense que mon père était surtout là pour Stevie Wonder [qui parrainait la soirée, NDLR]. Quand je regarde les images, je trouve que maman a toujours ce côté un peu ado, pas assez sûre d’elle, alors que mon père trouve ça normal d’être là. Moi je faisais une chanson ou deux, c’était 5 ans avant mon premier deal avec une maison de disque. Je réalisais avec qui je jouais, mais je ne sais pas si je me prenais assez au sérieux. J’essaie depuis le début de garder ce côté Chuck Yeager [premier pilote à avoir franchi le mur du son, NDLR], qui était connu pour être toujours très cool même quand il était à bord de son avion. It’s only rock’n’roll and I like it, après tout…  


… et on vous retrouve ensemble en 2018 à La Rochelle. Il y a cette grande photo de vous 3 dans le salon chez ta mère…

 

[il réfléchit] Personne ne le sait mais il y a eu un énorme malentendu sur ce concert. L’idée de départ était, à partir du moment où mon père montait sur scène, de faire une chanson de maman, une chanson à lui et une à moi… et aux répétitions, rien n’était prévu à part On m’attend là-bas. Or je savais que c’était la dernière opportunité pour mes deux parents et moi de jouer ensemble sur scène… Alors je suis allé trouver Gérard Pont [directeur des Francofolies, NDLR] et je me suis battu pour qu’on sauve au moins For What It’s Worth, la chanson de mon père. C’était compliqué, il n’avait pas de retour, juste en Ears, et il est tellement sourd qu’il se fie aux vibrations des basses pour savoir où est le rythme. Une belle photo dans le salon, mais un souvenir un peu amer pour moi…


Quel serait ton Top 3 des chansons de tes parents ?

Il y en a tellement… C’est comme si je disais : “Apporte-moi une énorme boite de bonbons, mais je n’en veux que trois”. Non, prends toute la boite, va t’amuser ! Chez mon père, il y a les plus connues et puis, par exemple, cette petite chanson qu’il a écrite à Hawaii pour Véro, My Love Is A Gentle Thing. J’aime tout dans cette chanson, la mélodie, le texte, le son, le côté compact…


Penses-tu que Véronique aurait dû faire carrière aux États-Unis ?

Oui, à un moment elle a eu l’opportunité d’être représentée aux États-Unis et dans le monde. Elle a préféré se concentrer sur la francophonie. Son histoire est tellement incroyable en tant que femme, en tant que chanteuse française. Elle est tellement aimée, respectée… Dans la rue, on me dit souvent “J’ai grandi avec votre mère” et je réponds “Moi aussi !”.


Pour finir, quid de ta carrière en France ?

Après Cléopâtre [comédie musicale dans laquelle il jouait le rôle de César en 2009, NDLR] j’avais une bonne présence en France, mais j’ai été obligé de rentrer aux États-Unis pour raisons familiales… Mes parents ont mis leur carrière en premier, moi j’ai choisi de donner la priorité à mes enfants. Maintenant je voudrais revenir vivre en France avec ma famille et y faire de la musique. Et aussi y refaire du cinéma. Ça va se décider prochainement. 

Propos recueillis par Baptiste Vignol et Laurent Calut le 28 février 2023


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> Plus de détails sur le Schnock consacré à Véronique ici.

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