• Bastien Lucas et Julie Rousseau | 2022

 

Bastien Lucas et Julie Rousseau,
Toute une vie sans se voir,

17 décembre 2022


S’attaquer au répertoire Sanson-Berger en piano(s)-voix, imaginer un spectacle de leurs chansons entremêlées, oser afficher leur correspondance… Le type même du concept archi casse-gueule, abyssal défi auquel Bastien Lucas et Julie Rousseau ont choisi de se confronter. Avec respect, émotion et surtout zéro caricature. 
 
Tout en habileté et finesse, ils prêtent leurs traits et leur énergie au couple formé par Véronique et Michel au début des années 70. Julie est passionnée et volontaire. Bastien est plein de charme et de second degré. Leurs sourires et leurs regards trahissent des années d’amitié.  
 

 
On évite instantanément l’écueil mental que serait la comparaison de leurs interprétations face aux versions originales d’autant plus facilement qu’ils impriment d’emblée leur patte sur des chansons qu’on connaît pourtant par cœur (reprises trois fois par jour sur YouTube pour le meilleur et pour le pire) : une certaine façon de s’arrêter sur un mot, d’en esquiver un autre, d’alterner les rôles, de faire le choriste dans l’ombre quand le partenaire est dans la lumière, d’oser des bruitages avec la bouche (formidable Fais attention à mon amour) ou encore de fredonner les dernières notes de piano d’une chanson jusqu’à glisser subtilement dans la suivante (intro de Ma musique s’en va si ma mémoire est bonne). Sans oublier une grande prise de liberté dans le jeu de piano et les harmonies pour offrir une relecture très travaillée de certains titres – on va jusqu’à entendre du Bach chez Sanson-Berger ! Je ne connais pas bien leurs parcours respectifs, sais juste qu’ils vivent de et pour la musique H24 (et qu’ils touchent leur bille au piano), mais on est très vite comme chez soi dans leur univers, tout en imaginant l’œil bienveillant de leurs illustres aînés. 
 

Illustres aînés dont l’histoire est loin d’être ordinaire, même si elle n’est pas encore tout à fait un mythe (laissons les “couples mythiques” et autres “chansons cultes” à RTL quand on y évoque Stone et Charden). C’est peut-être pourquoi ils ont choisi de superposer celui d’Orphée et Eurydice au romanesque destin de nos chanteurs pop. Séparation, descente aux Enfers, malédiction, départ irrémédiable… Le conte est bon.

Si, dans la salle, on a l’impression de faire partie d’une secte (celle des initiés aux secrets de cette histoire), cette correspondance par chansons interposées n’est pas non plus une légende, n’en déplaise aux réécriveurs d’histoire et autres acharnés de la propagande Gall-Berger über alles. On ne parle ici ni de théories d’amour de substitution ni d’adultère fantasmé mais de quelque chose de bien plus poétique, qui d’ailleurs n’aurait sans doute pas fait long feu face aux ennemis (l’habitude, le temps qui passe…) mais a (bien) nourri ce qu’il convient d’appeler une œuvre. 
 

Comme l’a rappelé le propriétaire de la salle, d’annulations en reports, le spectacle a failli porter un nom prédestiné. Souhaitons lui maintenant longue vie dans de grandes salles avec de beaux éclairages. Le Forum Léo Ferré d’Ivy sur Seine est certes convivial mais tient du mouchoir de poche. Entre le grand piano noir et le petit piano droit, les deux musiciens-acteurs étaient un peu à l’étroit – contraste total (pour l’anecdote) avec la Seine Musicale et ses 3000 projecteurs (re)vus la veille chez Starmania en ce qui me concerne ;-)
 
Ajoutons, pour finir, que je pense pouvoir affirmer que Véronique aurait été émue et fière à Ivry ce samedi soir…
 


NB. Nulle faute dans le choix des chansons, il avait été travaillé en amont avec mon camarade en véronicologie, Yann Morvan, ami de longue date de Julie, et responsable d’une analyse de cette correspondance en chansons à lire ici.
 
Update juillet 2023 : ce spectacle sera joué du 7 septembre 8 octobre du jeudi au dimanche au Studio Hébertot à Paris ! Chronique à lire ici

• Folies Bergère | 2022

Véronique Sanson
Folies Bergère, Paris
25-26-27 novembre 2022

Balances, 26 novembre 2022 © LC
 

Basse | Dominique Bertram
Guitare | Basile Leroux
Batterie | Jean-Baptiste Cortot
Percussions | François Constantin
Claviers | Franck Sitbon
Trompette | Renaud Gensane
Trombone | Bertrand Luzignant
Saxophone | Yannick Soccal
Chœurs | Mehdi Benjelloun
Chœurs | Guillaume Eyango

Création lumières | Cyril Houpelain

 
Pendant les trois shows aux Folies Bergère (surtout celui du milieu), on repensait à cette question (simpliste) qui lui a récemment été posée : “Êtes-vous heureuse, Véronique ?” pour l’excellente raison que là, sous nos yeux, elle était pleinement et réellement heureuse. Les photos – capteurs de ce qui échappe à nos rétines – ne trompent pas : ses sourires élastiques, ses regards brillants, ses gestes fluides… Le bonheur n’est pas un état stable, cher interviewer matinal, il est là et puis il ne l’est plus. Ces soirs-là, il était bien là, indéniablement.
Ce mot “bonheur”, ressenti cette fois par le public, revient d’ailleurs souvent dans les très nombreux commentaires sur les réseaux sociaux pendant que “magique”, “incandescente”, “géniale”, “merveilleuse”, “exceptionnelle” la décrivent. Une délicieuse pluie de compliments envoyés du cœur, spontanément. On attend généralement un peu de fraîcheur d’une salle parisienne (y a du people, des journalistes…), mais là on a vu ce qu’on allait voir : le tonnerre, l’embrasement.… Retour sur trois shows d’anthologie.
 
© LC
 
Au dehors, le monde ne va pas fort, l’époque est à la division. À l’intérieur, on est au chaud, à l’unisson d’une même voix, d’une même énergie qui embarque loin de tout. Véronique est enfin elle-même, du moins telle qu’elle aimerait être à chaque seconde de son existence même si elle sait – ô combien – que c’est un vœu pieux : à des moments de grâce absolue correspondent irrémédiablement des abîmes. Le prix est souvent lourd à payer mais ça vaut tellement le coup… C’est sa vie : “Rester là sans rien faire / c’est bon pour l’éternité”...
 
© LC
 
Le premier soir quand elle est montée sur scène, elle était encore la proie d’une peur panique qui lui était tombée dessus la veille. Que dire dans ces cas là sinon d’affligeantes banalités ? “Tu sais bien que dès que tu auras posé un orteil sur scène, tout ira bien...” La voix encore étranglée de trac, elle s’est lancée, trompant son angoisse dans un dialogue avec le public (“J’ai peur quand vous arrêtez d’applaudir…”) avant de se réchauffer à sa flamme, de s’abandonner corps et âme aux clameurs. Le problème, ce n’était pas Paris, c’était l’inconnu : cette scène qu’elle n’avait encore jamais foulée pour un concert entier et qui, en plus, est pentue – détail qui apparaîtra nettement quand il faudra redresser certaines photos...
 
© LC
 
Une fois le trac jeté par dessus bord, le feu de la salle a coulé dans ses veines et les images des concerts d’antan ont afflué en masse dans mon cerveau. Même énergie, même folie (au premier étage, c’était carrément chaud), longs applaudissements après chaque chanson, standing ovations à gogo et ces voix anonymes qui profitent des rares silences pour lancer des “Je t’aime”... Les gens de la nuit étaient bel et bien là.
 
Parmi eux, les irréductibles, ceux qui viennent et viendront toujours, des quatre coins de France quand ce n’est pas de Belgique… Sans les réseaux, ils ne se seraient peut-être jamais rencontrés et c’eût été dommage : les voir soudés par leur amour de Véronique est vraiment réjouissant.
 
Également, du beau monde : Charlotte Rampling (au bras de Daniel Schick), Catherine Lara, Michel Jonasz, Louis Chedid, Luc Plamondon, Franka Berger, Isabelle Nanty, Antoine Dulhéry, François-Éric Gendron, Nicole Calfan, Vianney, Christophe Maé (qui a bien failli monter sur scène pour Besoin de personne), Marc Lavoine (qui est bien monté sur scène pour Une nuit sur son épaule), Tim Dup, Mika, Yves Duteil, Didier Varrod, Marie-Pierre Planchon, Éric Jean-Jean, Raphaël Mezrahi, Marc-Olivier Fogiel, Thomas Sotto, Baptiste Vignol (auteur du livre Tout Véronique Sanson), Sophie Delassein et sans doute d’autres qu’on oublie… et même Jean-François Coppé à qui on avoue qu’on aimerait faire disparaître une certaine vidéo calamiteuse sur YouTube et qui répond placidement qu’elle ne le dérange pas…  
 
© LC
 
Venons-en aux deux nouveaux titres ! Drôle de situation qui en rappelle une autre : Olympia 1983, quand la maison de disque espérait un album et que seuls deux nouveaux titres étaient prêts. On les enregistra promptement pour sortir un 45 tours live – l’album studio arriva bien plus tard… 
Hasta luego est “une nouvelle chanson qu’on a écrite avec Vianney – surtout Vianney mais un peu moi quand même, par orgueil, simplement… et c’est super”.
“J’ai pris un nouveau départ
Telle est ma voie
C’était comme la mer à boire
Mais c’était mon choix”
Le mot vie y remplacera voie dans le premier couplet deux soirs sur les trois – sa voie n’est pas tracée, tant pis pour la rime…
Pour le second, Signes, elle annonce la couleur : “Là c’est moi qui l’ai écrit toute seule – et ça se voit, franchement !” Une musique qui vient du fin fond des âges accolée à un texte tout neuf. Une perle à l’éclat très sombre. 
 
© LC
 
Depuis le premier concert de cette tournée (Montereau, fin octobre), les balances ont fait monter chaque jour d’un cran le niveau d’excellence du “jouage” (comme dit Véronique) des uns et des autres. Ils sont au top ! On salue encore et toujours les nouveaux arrangements : Une nuit sur son épaule, cuivré et bien rock – plus vraiment adapté à la nonchalance de Marc Lavoine –, l’accordéon de Franck Sitbon sur Et je l'appelle encore, du piano dans l’intro de l’indéboulonnable Toi et moi qui a un peu vite remplacé J’ai l’honneur d’être une filleOn note de subtiles différences : une série de Ta douleur efface ta faute s’est envolée dans Le maudit (une première depuis 1974) laissant place à l’orchestration (et ça marche bien !), de petits sketchs ont fait leur apparition et puis bien sûr ces petits moments si importants qui font que chaque concert est unique, comme cet aveu du premier soir avant Amoureuse (tiens, tiens…) : “Alors là il faut que vous chantiez avec moi parce qu’après j’ai vos voix dans mon cœur… et vous vous rentrez chez vous, tranquillou, entourés de tous, aimés, câlinés… eh ben moi que pouic… rien !” ou encore ces impros d’un soir quand elle fait un petit bout de C’est bizarre (juste avant Je me suis tellement manquée le 25) ou C’est le moment (juste avant Amoureuse le 26) parce que quelque chose vient de lui faire penser à ces titres-là… À la scène comme à la ville !
 
© LC
 
Lorsqu’elle chante, superbe après 2 heures de scène sans ménagement aucun, “On dit aussi / Que mon regard est déjà flou / Que c’est une chance que je tienne debout / Que ma chandelle est presque à bout”, on savoure avec elle cette jubilation qui est la sienne, on est fier et on se dit qu’elle ne devrait plus faire de télé, qu’on devrait juste y diffuser des images de ses concerts. Pensée un peu radicale sans doute mais ce qu’on a sous les yeux et dans les oreilles est tellement aux antipodes d’une Star Ac ou d’un 20h30 chez Delahousse…
 
Le mot de la fin à Véronique : “Merci, merci, vous m’avez rendu tellement heureuse…” 

PS. Un cocktail était organisé le dernier soir dans le hall, l’occasion de quelques photos supplémentaires…
 
© LC
 
© Hélène de Voisins

Chronique de Didier Varrod sur Instagram :
C’est à chaque fois comme un rendez-vous avec moi même lorsque je vais voir Véronique Sanson puisqu’elle a tout ce que j’aime… Un dimanche aux Folies Bergère l’amoureuse fait vibrer comme personne son « piano danse », unique sensuelle rythmicité sidérante, qui met le feu à la pop, la chanson, le rock, le jazz… Une brindille incandescente soudain plus solide que nous tous, indestructible, parce que sa vie est beaucoup plus qu’entière… On repart dans la nuit humide avec le souvenir de ses mots si puissants pour parler de nos drôles de vie, on prend le métro avec la force de son étreinte si déboussolante, la frontalité abrasive de son regard érotique, les effluves de son parfum entêtant sur mon pull-over comme une caresse qui ne veut pas s’arrêter, se blottir enfin dans mon lit, une nouvelle nuit sur son épaule, toujours c’est vrai, toute une vie avec ce sentiment de la douceur du danger ancrée là profondément dans mon existence avec elle… Dans mes moments maudits comme sublimes… Very Véro pour toujours
 
Chronique d’Éric Jean-Jean sur Facebook :
Un concert de Veronique Sanson, c’est comme un rendez vous amoureux. Attention, ne vous y trompez pas, pas un rendez vous amoureux mièvre du genre gagné d’avance, pas du tout. On est plus dans le style de ‘date’ dont on ne connait pas l’issue. De ceux, dangereux, qui peuvent se finir par un vent et/ou des larmes. « Véro », comme l’appellent ses fans, n’est pas une chanteuse normale; elle est un indomptable animal sauvage, plongez vous quelques secondes dans sa biographie vous comprendrez.
Ce soir, pour la troisième fois consécutive, les folies Bergères sont remplies a craquer. Je croise le magnifique Vianney dans l’entrée puis, respectivement Marc-O Fogiel, Mika et la moitié du métier dont Benjamin Locoge (lui, il a « fait » Bono en interview, suis à la fois deg’ et admiratif !!!) et mon ami Didier Varrod avant de tomber dans les bras de Isa et Thomas Hugues. Le tout accueilli par mes grandes soeurs Vincence Stark et Cat-Bat puis celle de Véro, Violaine. Vous l’avez compris, Véro, c’est la famille. La vraie, pas le show bizz qui frime, elle s’en fout de ça Vero, c’est la plus grande rockeuse de France.
20h05, ça commence, petite chose faussement fragile, elle arrive.
Tous debout.
Un mot me vient à l’esprit : « Dévotion ». Véro est une sorcière blanche en boots rock cloutées, pantalon noir et veste de cuir à franges. Fausse fragile et vraie blonde. Fidèle équipage au complet, scène épurée, elle chante devant un demi cercle semblable à un coucher de soleil, ça me rappelle quelque chose.
Démarrage en douceur, « Vole vole vole », « Hasta Luego », une nouvelle signée… Vianney, « Le maudit », « Je me suis tellement manquée ».
Envol. Puis vitesse de croisière.
La voix est là, revenue, forte et légère à la fois, comme sortant d’un bain de jouvence. Les chansons défilent, « Vancouver » en acoustique. Dieu que c’est beau. En parlant de beau, voilà que Marc arrive, « une nuit sur son épaule », comme jadis au Francofolies ce soir de juillet 94 lors de cette délicieuse soirée « Comme ils l’imaginent ». « Le temps est assassin », « on m’attend là bas ». Puis un dernier tête à tête. A ma droite Didier à les larmes aux yeux pendant la « Révérence » que tire Vero, seule au piano. Enfin, immuable rituel nous quitterons la salle après être partis à Bahia.
La tournée se poursuit jusqu’au printemps avec, en prime, trois Dômes de Paris.
Bêtement je regarde Wikipedia… Je ne reviens pas du chiffre avant le 3 … 7 !
Quelle femme. Quelle vie. Quelle artiste.
 
Chronique d’Éric Chemouny (Je suis musique) :
Merveilleuse Véronique Sanson hier aux Folies Bergère ! Son plus beau spectacle depuis longtemps : une set list parfaite, un public en osmose totale et une artiste en état de grâce, au sommet de sa forme et de son talent ! Dans le public : Mika, Vianney, Yves Duteil, Christophe Maé ou Raphaël Mezrahi subjugués… tout comme Marc Lavoine sur scène, le temps d’une nuit sur son épaule. Vivement le Dôme de Paris en mars 2023 !
 
Chronique de Baptiste Vignol à lire sur son blog.
 

• Starmania | 2022

Starmania,
La Seine musicale,
8 novembre 2022

Manifestement la Seine Musicale était the place to be ce 8 novembre, soirée de première de Starmania nouvelle version. En sortant du métro, après avoir traversé un décor futuriste évoquant Monopolis et montré patte blanche, on était dirigé vers la première entrée à gauche si on était un invité de marque, et vers la seconde entrée si on faisait partie du reste du monde. Là, en fonction de la première lettre de son nom de famille, on avançait vers des jeunes femmes derrière de petits comptoirs ornés d’orchidées blanches, qui vous fournissaient vos précieux billets. Grand luxe. 
 

Dans les allées, de grandes photos rappellent l’histoire de Starmania. Certains font des selfies devant un grand portrait noir et blanc de Michel Berger et Luc Plamondon. D’autres lorgnent le scénographe Thomas Jolly qui vient d’apparaître dans un costume flamboyant et ne se fait pas prier pour poser devant une immense affiche aux couleurs de
Starmania 2022, bleu nuit et or. Fabienne Thibeault est happée, pose également. Renaud Hantson aussi. Le ton est donné : les people sont partout !

On s’installe dans les premiers rangs et très vite le torticolis nous guette. Derrière nous (dans le désordre le plus total) : Valérie Lemercier, Alex Beaupain, Luc Plamondon, Fogiel, Vincent Lacoste, Jean-Claude Camus, Bruce Toussaint, Lola Lafon, Charlebois, Drucker, Anne Gravoin, Anne Hidalgo, Line Renaud, Ruquier, -M-, Coppé, Élisabeth Quin, Vincent Cassel, Brigitte Macron, Yasmina Benguigui, Renaud Capuçon, Isabelle Boulay, Natasha Saint-Pier, Mathilde Seigner, Gallia
, Rachida Dati, Nicole Coullier, Nathalie Baye, Anne Gravoin, Dominique Besnehard, Jean Brousse, Franka Berger, Bernard Serf… et, discret maître de cérémonie, Raphaël Hamburger évoluant en toute liberté : de l’avantage de refuser toute apparition médiatique.


 
Une voix (celle de Thomas Jolly ?) nous demande de pas filmer ou photographier pour ne pas spoiler. Avertissement bien reçu : le service d’ordre n’aura pas à œuvrer. Le buzz a-t-il suffisamment alerté sur le gigantisme pharaonique de ce que l’on va voir pour que chacun se dise que cela ne rentrera pas dans nos petits smartphones ? Vivons le spectacle en live pour une fois, pas par écran interposé…

Un premier clin d’œil nous cueille d’entrée de jeu : un piano blanc qui tourne et sur lequel joue furtivement un homme aux cheveux bouclés, de dos… Hommage subtil, bien vu. Plus tard dans le spectacle, un autre concernera France Gall. 

On a déjà lu partout ces chiffres affolants (7 millions de budget, 500 projecteurs, 1 million de spectateurs pour rentabiliser l’aventure, etc.) et on pense aux challenges. L’un d’entre eux sera d’alterner adroitement la démesure et le dépouillement, le gros son et une guitare sèche tout en conservant la fluidité du récit. Un autre sera de remplacer lentement dans notre imaginaire les versions archi jouées des chansons que tout le monde connaît par des voix nouvelles sans doute tentées par la démonstration de puissance pour épater (ou combler un manque d’émotion), le tout en évitant l’écueil d’un karaoké géant. Assez vite, tout cela sera balayé : la première voix à s’élever (Gabrielle Lapointe alias Cristal) rassure mais interroge aussi. Elle avance avec une belle assurance, n’a pas l’air d’avoir le trac… Comment fait-elle ?

Les tableaux se succèdent, bluffants, bien pensés. Il est clair que la combinaison des talents engagés dans cette aventure liée au fait que la plupart des moyens techniques utilisés aujourd’hui n’existaient pas en 1978 ne pouvait que porter de beaux fruits. La première partie est impeccable, avec pour point d’orgue (en ce qui me concerne) Le blues du businessman par David Latulippe. Son timbre n’a rien de particulier, son impeccable technique est attendue, mais il y a autre chose. Sa voix frappe net, carré, sans fioriture et avec une justesse qui sied parfaitement à son personnage. La chanson bénéficie de surcroît du plus impressionnant déploiement de projecteurs observé dans notre galaxie… 
 

 
On pourrait aussi citer l’utilisation des silences dans Quand on arrive en ville (Côme alias Johnny Rockfort), malheureusement gâchée (toujours en ce qui me concerne) par la représentation crue d’une violence gratuite qu’on aurait préféré voir suggérée.  

La seconde partie démarre par un chef-d’œuvre, Les adieux d’un sex-symbol, dont la version live d’origine (par Diane Dufresne) semble indépassable. La note finale, attendue par une salle haletante, donne le vertige à tout point de vue : elle est exécutée du haut du 3e étage de l’escalier de Zéro Janvier par Magali Goblet (alias Stella Spotlight). Voix puissante et un peu cassée, comme retenue à chaque fois qu’elle pourrait sombrer dans l’esbroufe.

Et les musiciens dans tout ça ? On les découvre parqués de chaque côté de la scène : guitare-basse-batterie à gauche et claviers à droite. La bonne nouvelle tient dans le respect des intemporels arrangements originaux. Rien ne vaut le tandem des Michel (Berger et Bernholc). Cela dit, et surtout dans la deuxième partie, j’ai cru noter comme une prééminence de guitares un peu funky FM… La version de Ziggy en guitare-voix par Alex Montembault (alias Marie-Jeanne) est un enchantement. Et on salue la production d’avoir joué la carte de l’ouverture d’esprit envers une personne qui se définit comme non-binaire – détail qu’on a presque honte de souligner ici. La modernité de ce spectacle n’est donc pas que dans les effets spéciaux… même si on retiendra aussi la scène de l’enlèvement de Cristal par Johnny Rockfort, qui commence en live et se poursuit sur écrans dans un stylisme noir et blanc digne d’une pub pour un parfum, pas désagréable pour autant.

On parle beaucoup de dystopie, du côté prophétique et visionnaire de Starmania. Le monde a quelque peu changé en 40 ans et il ressemble hélas dangereusement à celui imaginé par Michel Berger et Luc Plamondon, avec une actualité brûlante en ce soir de première : aux États-Unis, le sort de Joe Biden est menacé par des “baby Trump”. Au vu des résultats de ces midterms, la réalité sera moins terrible que la fiction. Pour le moment…
 
Lorsque la tour est détruite, je repense à l’anecdote de Christopher Stills, ado accompagnant sa célèbre mère voir Starmania en 1989 : aveuglé par les lumières figurant l’explosion finale, il est resté quelques secondes à se demander s’il pourrait recouvrer la vue…
 

Les tableaux de la fin ramènent de la douceur et jouent la carte de l’allégorie. La fumée de l’explosion de la tour se change en nuages sur fond de ciel bleu alors que s’élève la voix angélique de Marie-Jeanne. “Stone, le monde est stone…”
 
Rituel des saluts. Standing ovation. Tout le monde est là, y compris un fragile Luc Plamondon, main sur le cœur sous un immense portrait de Michel Berger signé Dominique Issermann. On ramasse machinalement un des confettis roses jetés à la fin de la première partie avant de sortir. Je n’avais encore jamais vu Starmania, curieusement pas très intéressé par la première version et pas davantage par les deux suivantes. Celle-ci est donc une première à tout point de vue, très convaincante et qui donnerait presque envie d’y retourner… 
 
Ce qui fut fait mi-décembre (en compagnie de Véronique). Même ressenti, avec l’impression que de légers changements avaient été opérés dans la deuxième partie. Et toujours cette impression de gigantisme, d’écrasement, si puissants qu’on reste spectateur jusqu’à la toute fin où l’on s’autorise enfin à applaudir…
 

 




 

• The Divine Comedy (2) | 2022

 

The Divine Comedy,
Cité de la Musique,
19 septembre 2022

 

Soirée d’exception. Loin du chaos de l’actualité internationale, la belle salle de la Cité de la Musique respire calme et sérénité dans une entente cordiale de rigueur en ce jour d’obsèques nationales au Royaume désuni. Il doit y avoir autant de Britanniques que de Frenchies ce soir et Neil Hannon, alias The Divine Comedy, aura le bon goût de ne faire aucune allusion à la royale disparition, estimant sans doute que chacun souffre déjà d’overdose sur le sujet (de sa Majesté, bien sûr).
 


Rétrospective est un programme exigeant. Qu’on en juge : l’idée (archi dingue) est de reprendre sur scène l’intégralité de ses albums studio (soit 113 chansons au total) à raison de deux par concert. Tant d’heures de travail, de répétitions, d’exigence… pour ne les jouer qu’un seul soir chacun à Londres et à Paris. On applaudit.

Entrée en scène classique : les musiciens s’installent, suivi de Neil Hannon dans un costume un peu terne, un début de petit ventre menaçant de dépasser de sa ceinture, annonçant dans un français parfait qu’on ne doit pas s’attendre à de grands gestes ce soir, qu’ils vont juste essayer de jouer les chansons dans l’ordre et correctement.
Soudain on est saisi : et si on allait s’ennuyer ? S’il est vrai qu’il ne viendrait plus à personne l’idée d’écouter un album dans son intégralité, que dire de deux à la suite, même (et surtout) confortablement assis ? 
Surprise, c’est lui qui au bout de 2-3 chansons s’étonnera de nous voir si calmes... La salle est pourtant réceptive à toute ses saillies (drolatiques, comme d’habitude), mais effectivement plutôt sage et pleine de ferveur pendant les interprétations.

Neil Hannon est fier de sa formation et il ne le cache pas : il y a effectivement du beau monde sur scène, parfaitement en place et impliqué dans chaque chanson (on pense en particulier à une violoniste qui chante tous les textes dès qu’elle n’a pas à intervenir).
On vérifie d’un coup d’œil en fond de scène que le fidèle Simon Little est toujours là, dansant même lorsque le tempo d’un titre est plutôt calme. Comme souvent sur scène, Neil Hannon a un verre et une bouteille de vin rouge à disposition derrière lui. On repense à ce que martèle une blonde amie : un homme qui boit, c’est un bon vivant ; une femme qui boit, c’est une pochtronne… Il annoncera quand même boire de l’eau de temps en temps pour « diluer le vin », évoquant le difficile passage du temps…

Liberation est donc son premier album officiel (Fanfare For The Comic Muse comptant pour du beurre), avec déjà de sérieux beaux morceaux (Death Of A Supernaturalist, I Was Born Yesterday et Your Daddy’s Car) dont on vérifie encore ce soir l’efficacité, quand des titres comme Europop ou Lucy, même revisités avec une rythmique plus disco que l’original, épatent un peu moins.

Vient la trilogie écrite pour une même fille dont Neil Hannon était très amoureux (“Ce n’était pas réciproque mais au moins j’en ai tiré trois chansons”) : Queen Of The South, Victoria Falls (“Le titre vous donne un indice sur son prénom…”) et Three Sisters. Puis, sans vergogne, il s’assoit, son verre à la main, pendant les 4 minutes de l’instrumental Europe by Train. Sacré Neil…
 


On ne va pas se mentir : c’est pour Promenade qu’on est là ce soir. Promenade est pour moi l’album parfait. Je ne l’ai jamais écouté que dans son intégralité et il figure dans le Top 3 des albums que j’ai le plus écoutés dans ma vie. Tout se tient, et le fait qu’on laisse ce soir la place aux applaudissements entre chaque chanson a presque de quoi surprendre. Ces espaces ne seront toutefois pas perdus pour tout le monde : le chanteur en profitera pour faire de Promenade une sorte de concept-album racontant l’histoire d’un même couple tout au long des 12 titres. (vidéo intro Bath ici)

Un spectateur juste derrière moi s’enhardit : “We love you Neil!”. Réponse laconique de l’intéressé : “I don’t care.” avant de se rattraper d’un “That’s not true. What’s your name?” Il s’appelle Éric et se fera applaudir par la salle entière. 
Une fille s’est levée et danse seule devant la scène, sur le côté droit. Elle nous représente tous autant que nous sommes.

Les cordes qui résonnent parfaitement dans le bel écrin qu’est cette salle, la voix parfaite de Neil Hannon, l’énorme travail des guitaristes-choristes aux voix qui reproduisent au plus près les subtilités présentes sur l’album, le délicat piano sur Neptune’s Daughter… tout est parfait. Trop parfait ? Peut-être… d’où un petit plantage à la fin du premier couplet de Neptune’s Daughter justement, qu’il préfèrera reprendre du début (tant mieux, ça me permettra de la filmer entièrement, vidéo ici).
 
The Booklovers est un autre challenge et c’est peut-être la première fois qu’il la chante sur scène. Il doit en effet glisser les noms d’auteurs avant chaque enregistrement correspondant à leurs imitations. Il en profitera pour révéler que certains de ceux qui ponctuent ce long namedropping sont dans la salle ce soir et même s’il refuse de “name and shame”, il désignera un des violonistes assis derrière lui comme un de ses complices sur ce coup-là.

Après avoir désannoncé When the Lights Go Out All Over Europe en le dédiant à Jean-Luc Godard, récemment disparu, vient logiquement le chef-d’œuvre absolu qu’est Summerhouse, n’ayons pas peur des mots (vidéo ici). Et Neil de tenir encore et toujours la note finale, comme il y a presque 30 maintenant… 

On applaudit après Ten Seconds To Midnight et il avoue trouver curieux cette coupure, sachant bien qu’on attend tous l’intro au galop de Tonight We Fly... Clap de fin sur une réussite totale, sur un pari gagné haut la main.

Rallumer les lumières d’ores et déjà ? Vous n’y pensez pas… Même s’il doit dès demain assurer 4 shows différents au même endroit, nous serons gratifiés de deux bonus : Absent Friends et Generation Sex (à défaut de National Express dont il pense que le sujet n’intéresse pas vraiment Les Français).
 
« Merci beaucoup tout le monde, à bientôt ! » (en français). Dommage de ne pas assister aux shows suivants : il y a tant d’autres merveilles dans le reste de sa discographie…
 


• Nouvelles biographies de Michel Berger | 2022

 


En préambule, reconnaissons que la tâche de biographe de quelqu’un comme Michel Berger est plutôt ardue : l’homme a quitté cette Terre en emportant tous ses secrets, n’a fait que de très rares confidences ; les témoignages de ses proches (ou se présentant comme tels) se contredisent et sa famille d’origine, tout comme celle qu’il a fondée, a toujours refusé de témoigner publiquement. D’où des hypothèses, des propos recueillis sans toujours se soucier de vérification, des prises de position risquées ou hasardeuses… Plutôt que d’innombrables biographies sur papier (et leur fatal lot d’incohérences), un site honnête et impartial remis à jour chaque fois qu’un nouvel élément intervient dans le récit de sa vie serait tellement plus approprié. Mais je rêve…

 

nouvelles biographies,
2022

Pas de pénurie de papier qui tienne, les anniversaires – même les plus tristes – ont de beaux jours devant eux. En 2022, on édite et réédite des biographies de Michel Berger jusqu’à frôler l’indigestion : celle d’Yves Bigot le 18 mars, de Grégoire Colard et Alain Morel le 1er juin et celle de François Alquier le 16 juin – suivies de 3 autres un peu plus tard dans l’année. Tour d’horizon.  


Michel Berger, par Yves Bigot

À tout seigneur, tout honneur : le premier à dégainer cette année aura été Yves Bigot avec la réédition chez Seuil de son livre paru en 2012, ce qu’on appelle une édition augmentée. Elle l’est de fait, mais encore faut-il savoir de quoi. 

Rendons-lui d’emblée justice : il est un des rares à oser parler d’un “style musical Berger-Sanson” dans une introduction qui ne figurait pas dans l’édition précédente. La disparition en 2018 de France Gall l’aura sans doute aidé à sauter le pas là où d’autres, peut-être moins intéressés par l’histoire de la chanson française, resteront focalisés sur le couple Berger-Gall. Extrait : “Pendant quelques années décisives au tournant de la décennie soixante-dix, ils se sont confrontés aux mêmes problématiques pour faire sonner le français, travailler leur phrasé et le balancement rythmique, faire danser les mots sur les notes avec la même dynamique que leurs héros, de Ray Charles aux Beatles.”

En 2012, la première édition lui avait valu un mail de 12 km de mon camarade en véronicologie Yann Morvan dont je lâche ce seul extrait : “Quand on reproduit les propos des divers témoins convoqués, doit on les consigner sans vérifications, ou doit-on se poser la question de leur justesse, au moins sur les faits publics et historiquement vérifiables ? Et si le soupçon d’ajouts de l’auteur entre les guillemets attribués aux interviewés rend difficile la recherche du responsable de l’erreur, le coupable au final est toujours celui qui met son nom au bas du texte.” Yves Bigot avait accusé le coup, concédant par mail l’année dernière : “Je me suis rarement fait avoiner comme ça !!! Yann est toujours fâché ?”. On le rassurait, tout en espérant que la nouvelle édition serait plus en phase avec la réalité des faits. Las…

Yves Bigot a en effet le grand tort d’avoir tendu son micro à tout un tas de gens à la mémoire plus ou moins fiable, et surtout à l’honnêteté intellectuelle douteuse : Bernard Saint-Paul par exemple – et pour ne pas le nommer – n’hésite pas à tenir des propos infamants, en général contredits quelques pages plus tôt ou plus loin par des témoins qui eux ne sont pas en procès avec Véronique au moment où ils sont interviewés*. Alors pourquoi les reproduire ? Vous avez quatre heures.

À la lecture, ça saute très vite aux yeux : il y a un problème de cible dans ce livre. Yves Bigot écrit sur Michel Berger mais truffe son texte d’inutiles parenthèses, périphrases et autres apartés, assommants jusqu’à sonner le glas d’une lecture sereine, dénotant certes une authentique culture rock mais qui passent sans doute bien au-dessus des oreilles des fans de Michel. Un exemple parmi douze mille : page 382, citant la ville suisse où Michel rejoint sa famille, il précise que c’est là qu’habitèrent Keith Richards et Anita Pallenberg – ce dont on se contrefout, on est bien d’accord. Idem pour les citations de Nietzche ou de Mérimée.

Le résultat est donc copieux, voire indigeste, avec des informations en double (on lit au moins deux fois, pages 127 et 155, que les chansons de Véronique ont d’abord été proposées à France Gall, ou que Pierre Lescure était un ami de Michel Berger), et d’autres qui se contredisent. Exemple : page 289, on lit que Michel a enregistré 18 chansons pour son album mais n’en a conservé que 10 au final, et page 304, que “s’il avait besoin de dix chansons, il n’en écrivait pas onze”. Soupir…

Autre exemple, à propos de Béatrice Grimm : page 377, “Jannick Top ne l’a pas connue” (dans une phrase qui sonne comme un déni de l’histoire de Michel avec ce mannequin allemand) mais page 379, “il était dans la confidence”...

Passons sur les erreurs factuelles, ou plutôt non arrêtons-nous y ! Pourquoi préciser une date ou un nom lorsqu’on n’est pas sûr de son coup ?
Page 42 : Jim s’est pendu (qu’il chante chez Albert Raisner)”. On vérifie : point d’Albert Raisner dans cette affaire. Ou “Belles, belles, belles rubrique de Salut les copains” page 100, alors que c’était dans Mademoiselle Âge tendre. On trouve aussi le titre Clapotis (au lieu de Clapotis de soleil)…

Page 134, on lit : “France ira rendre visite à l’ex de son mec chez elle, dans la maison du Colorado”, ce qui est une relecture parfaitement malhonnête : c’est Julien Clerc qui est allé rendre visite à Véronique et qui a fait le voyage avec sa compagne de l’époque, France Gall. Y a nuance...
Au détour d’une page, Yves Bigot distille aussi, l’air de rien, de petites phrases qui méritent d’être relevées, comme celle en fin de paragraphe page 227, à propos de Christine Haas et France Gall : “Un soir, alors qu’elles sont seules toutes les deux à regarder la télévision, à sa grande surprise, France lui prend la main…” Sous-entendrait-il quelque chose ?…

Le sujet restant très délicat, on voudrait tout de même saluer le courage d’Yves Bigot. Celui de ne pas donner dans le “musicalement correct” et d’oser écorner l’image que France Gall s’est évertuée à construire après la mort de son mari. Page 378, on lit ainsi que Michel était “très dragueur” et que Béatrice Grimm n’était pas sa première “expérience extra conjugale
. Pour avoir rencontré (un peu par hasard) l’une de ces femmes, toujours restée dans l’ombre, je voudrais livrer ici une anecdote qu’elle m’a racontée en 2021. À propos d’une de ses chansons, Michel, qui ne faisait jamais d’explication de texte avec les journalistes, lui avait demandé quelle était sa “lumière du jour”, avant de lui dire que pour lui, c’était la musique, qu’elle était son ultime recours, venait toujours à son secours…   

NB. La couverture reprend la photo de la première édition du livre de Grégoire Colard et Alain Morel. Chez l’éditeur, personne ne s’en était aperçu : c’est Grégoire qui l’a appris à son ami Yves ! Re-soupir…
 

* En ce qui concerne les propos qu’il tient page 342, je peux témoigner, l’ayant eue entre les mains, que cette lettre ne contient rien de tel.


Michel Berger l’inoubliable, par Grégoire Colard et Alain Morel

La cible de ce livre est d’avantage le lectorat de Gala, voire de Paris Match. Signalons d’emblée les différences par rapport à l’édition 2012 : le changement de titre et de photo de couverture, la disparition du cahier photo (c’est quand même dommage étant donné le prix… qui lui n’a pas changé) et c’est à peu près tout. Ah si j’oubliais : les auteurs ont enfin consenti (après tout le monde) à évoquer Béatrice Grimm en fin d’ouvrage.  
 
Je connais suffisamment Grégoire Colard pour savoir qu’il n’est pas très à cheval sur les dates ni les détails. J’avais donc pris la liberté de lui dire que le mythe du départ de Véronique pour New York alors que “le pauvre Michel” continuait à travailler seul sur “De l’autre côté de mon rêve” avait fait long feu. Or on retrouve ici la même fable, avec ce côté sensationnaliste que les auteurs affectionnent (page 64) : “Michel ne parvient pas à réfléchir, à respirer, manger, se laver… Il ne vit plus.” Dans la réalité des faits, il vit suffisamment pour se rendre, inquiet, au mariage de son ami Jean Brousse…
 
Plus grave, les auteurs oublient de dire que Stephen Stills fera une petite visite au studio où Michel et Véronique enregistrent le 2e album. Il y a des témoins, et même des photos (dans Véronique Sanson, Les années américaines, 2015, Grasset, page 12)…
 
Les auteurs ne sont pas censés le savoir (mais ils peuvent se renseigner) : on sait aussi maintenant que la plupart des chansons du premier album Cœur brisé, dont Si tu t’en vas, ont été écrites alors que Véronique était encore là. Ça modifie quelque peu le sens du récit…
 
À propos de la pochette de cet album, ils évoquent (page 69) “la seule photo de l’artiste”. On ne doit pas avoir le même disque : le mien comporte deux photos – dont celle où il baisse les yeux, miroir de la couverture du “Maudit” de Véronique un an plus tard.
 
Autre mini-détail : page 53 il est écrit que “Véronique ne fera pas le concerto” dont elle a parlé. Désolé les amis, s’il n’a jamais été joué, il a pourtant bel et bien été composé…
 
Enfin, page 81, à propos de Véronique, on lit que “Michel ne prononce d’ailleurs plus jamais son nom.” Curieux, on a tous vu ces interviews où Grégoire Colard raconte que, dès qu’ils étaient tous les deux, Michel lui parlait sans cesse de Véronique…
 
Enfin, la sortie récente en DVD du Grand Échiquier de 1985 permet de réaliser que, contrairement aux souvenirs de Grégoire Colard, Michel Berger ne s’y montre ni hargneux, ni arrogant… Au contraire, il y est particulièrement décontracté.
 
On peut feuilleter les premières pages de Michel Berger, l’inoubliable, sur ce lien. Soyons réaliste : si Michel Berger est inoubliable, cette réédition, elle, ne l’est pas…



Michel Berger, Une vie en chansons, par François Alquier

Un livre préfacé par Bernard de Bosson en personne ne peut pas être foncièrement mauvais et s’il y est question, à propos de Michel Berger, de “rigueur” et de “si grande exigence”, on aimerait en dire autant de François Alquier qui a choisi de ne pas faire de tri dans les différentes informations qu’il a collectées, reprenant avec une négligence déconcertante des propos discutables déjà imprimés dans les deux versions du livre d’Yves Bigot. Et c’est dommage parce que des trois livres, c’est le plus intéressant et aussi le plus malin qui découpe la sempiternelle chronologie des faits en chansons – on peut ainsi lire les chapitres indépendamment les uns des autres. 

Première stupeur page 44 : “Alors qu’ils travaillent en studio, le 26 mars 1972, Véronique Sanson annonce qu’elle descend acheter des cigarettes : elle ne reviendra jamais.” Ah bon ? On est sûr pour la date, monsieur Alquier ?… Sachant que l’album Amoureuse est sorti 6 jours plus tôt et que ce 26 mars correspond au fameux concert de Manassas, groupe de Stills, à l’Olympia – oui, ce fameux jour où elle craque en direct pour le musicien – son départ est donc effectivement très brutal ! On va avoir du mal à vous faire confiance pour le reste… Mais continuons tout de même la lecture… 

Évidemment le chapitre Seras-tu là était attendu et là encore on n’est pas déçu… “Entendre pendant de longues années Véronique Sanson affirmer qu’elle est l’unique femme aimée par Michel Berger et que ses chansons en sont la preuve a fini par mettre France Gall en colère.” C’est grave d’écrire ça, monsieur Alquier. Personnellement, en tant que biographe de Véronique (avec l’ami Yann Morvan), je n’ai pas un seul exemple de ces affirmations, même “pendant de longues années”… mais je veux bien que vous m’en fournissiez. Quand vous voulez. 
D’autre part, Je serai là étant sorti en 1976 et Véronique ayant publiquement expliqué qu’il s’agissait d’une chanson-réponse peu après, soyons (une fois de plus) pragmatique : si elle s’était réellement fourvoyée, Michel Berger et France Gall n’auraient-ils pas réagi ?     

Page 74, on lit “Personne ne peut réellement savoir la vérité au sujet de cette correspondance  d’albums en albums entre les deux musiciens” alors que page 239, on trouve “Nul n’ignore la correspondance chantée entre les deux artistes” et page 214 (à propos de Quelques mots d’amour) : “Véronique Sanson, à qui cette chanson est une nouvelle fois dédiée”. Je ne sais pas vous mais moi j’ai un peu du mal à m’y retrouver… 

Page 89, l’auteur pense spontanément que Michel semble s’adresser à France Gall dans le premier couplet de Mon piano danse. Curieux, on avait plutôt identifié ce “Comment oses-tu douter encore de moi ?” comme un écho au “Tu sais je n’aurai plus le temps/Ni le goût de douter de toi” dans Ma musique s’en va, première chanson de Véronique intégralement dédiée à Michel après leur rupture… On se souvient aussi que Michel s’adressait peu à sa femme dans ses chansons (c’est lui qui le dit dans l’interview de Elle du 26 octobre 81, d’ailleurs cité dans le livre) pour la bonne et simple raison qu’il vivait avec. 

Alors Béatrice Grimm or not Béatrice Grimm ? François Alquier n’élude pas le sujet, mais ne donne pas pour autant dans le sensationnalisme. Page 226, il recueille quand même de la part de Serge Perathoner “un truc qu’il n’a jamais dit à personne”… Effet collatéral de cette histoire : les fans intégristes du couple Berger-Gall trouvent maintenant une raison supplémentaire pour plaindre “la pauvre France Gall que Michel allait quitter”. Quel biographe saura rétablir l’équilibre ?   
 
 
Il y a bien une 4e biographie mais l’auteur a pris soin d’y falsifier les dates des interviews pour faire croire qu’il était encore en contact avec Franka Berger, Jean Brousse et Marc Kraftchick – ce qui est loin d’être le cas… 
 
 
Une 5e est également sortie en toute discrétion fin août, Michel Berger, Quelques mots d’amour par Thomas Chaline (Biographie, City), mais elle ressemble fort à un inutile copié-collé des ouvrages précédents. 

 
 

Michel Berger, Vivre au rythme de la musique
par Valérie Alamo et Stéphane Deschamps

En revanche, sorti le 17 novembre chez Hors-Collection, Michel Berger, Vivre au rythme de la musique est un “beau livre” : grand format, belles photos bien imprimées même si leurs légendes n’ont parfois aucun intérêt. Exemple (page 70) : “Michel Berger et France Gall en compagnie de Catherine Deneuve.” Sans blague… On aurait préféré savoir à quelle occasion avait été prise cette photo. Les légendes sont aussi parfois franchement erronées, comme cette photo de Nanette Workman légendée Diane Dufresne (page 78)… 

Le livre a vu sa sortie plusieurs fois repoussée, il a eu plusieurs titres, plusieurs photos de couverture ; celles de l’intérieur ont changé au dernier moment, le texte a été relu “‘en haut lieu”… Résulte de ce chaos, malgré une iconographie bien choisie, un ouvrage pas franchement intéressant avec sa description (souvent scolaire) des thèmes évoqués dans les chansons mais surtout avec une tendance à la désinformation, à la réécriture de l’histoire…
 
“La rupture” (avec Véronique) est évoquée sur un fond sombre comme il se doit (page 41). Ça commence mal : “Michel est anéanti. Il n’a rien vu venir.” Contradiction avec la page 43 : “Sur les dix chansons dédiées à Véronique, certaines [où il ne parle que du départ qu’il pressentait] avaient déjà été mises en boite quand elle était encore présente à ses côtés.” Ce qui revient à dire qu’il enregistrait Si tu t’en vas mais “n’a rien vu venir”…

Détail plus loin, on trouve l’information selon laquelle Stills aurait été pressenti pour jouer sur Comme je l’imagine – information dont on aimerait connaître la source…

Le départ est comme souvent attribué au moment du mixage de “De l’autre côté de mon rêve”, erreur qu’il faudrait corriger partout, mais comment ? : “Michel termine seul ce nouvel opus, entendant comme dans un supplice chinois la voix de celle qu’il aime chanter des chansons qui ne s’adressent pas à lui.” Peut-être aurait-il fallu ajouter qu’il y en avait au moins une, Toute seule – même si c’est encore pire puisqu’elle y chante : “Si tu me laisses une seconde / Je m’en irai courir le monde / Et tu sais que je suis infidèle / Méfie-toi quand s’allumera l’étincelle”…

Page 64, on trouve “Avec ses guitares électriques, le titre J’aime est aussi une déclaration d’amour”. Nuançons :
dans cette chanson où le piano domine, on n’entend qu’un court solo de guitare électrique… 
 
Page 68, pourquoi parler de la Cienega comme d’un “endroit cher à sa famille” (ce qui n’était pas le cas à l’époque)… alors qu’il s’agit bien “d’une des artères les plus importantes de Los Angeles” et qu’il y donne rendez-vous à quelqu’un(e) à qui il dit “Tu me crieras par la portière / Si tu m'aimes autant qu’hier”… ? Arrêtez-moi si je me trompe mais on peut légitimement se douter de celle à qui il s’adressait…
 
Dans le même registre, page 98, on lit que Tant d’amour perdu “est dédié pudiquement à son frère Bernard” (défense de rire). Relisons le texte. 
Juste deux extraits pour mémoire : “Et tu chantes ton remords / Moi c’est mon regret qui me poursuit” ou “Tant d’amour perdu / Tant de caresses retenues”. Pour son frère ?!…
 
Enfin, L’un sans l’autre “est une ode à l’inspiration qui ne s’apprivoise jamais” (page 153). Ben voyons…

Page 30, à propos de Véronique au sein des Roche Martin, on lit : “Cette fille derrière son piano dégage une telle aura”. Or il n’y a pas de piano dans les Roche Martin… Le paragraphe se termine sur l’idée qu’a Véronique de “composer son premier album solo”. Exact mais Michel produira d’abord pour elle un 45 tours chez Pathé sur lequel le livre fait l’impasse. 

D’autre part, Michel rejoint WEA début 1971, et non en 1972 (page 39). On lit qu’il fait alors découvrir Supertramp à Véronique – ça peut paraître un peu tôt…

Page 71, on lit que France a entraîné Michel “dans l’ambiance survoltée de la première discothèque gay” (en Californie). On jurerait déceler une volonté d’effacer le rôle de
leur attaché de presse (gay) de l’époque, Grégoire Colard, qui a toujours raconté que c’est France et lui qui avaient entraîné Michel…

Page 83, on lit aussi que la première version de Starmania s’est jouée “à guichets fermés”. On sait que c’est loin d’être le cas (du moins en ce qui concerne les toutes premières représentations) et pour ceux qui ont oublié (ou qui n’étaient pas nés), Yves Bigot le dit clairement page 194 de sa biographie (voir plus haut)…
 
Enfin, côté orthographe, Franka s'écrit avec un k et c’est Eddie Barclay, pas Eddy…
 
Ah, et bien entendu, aucune mention de Béatrice Grimm, sous le prétexte que le livre ne parle que de musique. Et l’album que lui préparait Michel alors ?…
 

(Précision : ces ouvrages ont tous été achetés d’occasion chez des bouquinistes parisiens.)
 
 
PS. Le jour des 30 ans de sa disparition, j'ai mis en ligne une des deux démos de Pour me comprendre sur ce lien
 
PS2. Le détail de la correspondance en chansons entre Véronique et Michel a fait l’objet d’un article paru dans Schnock n° 47 (été 2023) et basé su l’analyse faite par Yann Morvan à lire ici.