• REM / 1996



REM VERS DE NOUVELLES AVENTURES

publié le 11 octobre 1996 dans Le Quotidien de Paris

Après une tournée au long cours émaillée de sérieux problèmes de santé, les quatre Américains de REM sont de retour plus tôt que prévu. New Adventures in the hi fi, bel album-renaissance, témoigne tant du chemin parcouru que de leur joie simple de prouver qu'ils sont vivants.

On peu déplorer le fait que l'actualité nous oblige à parler gros sous dans une colonne Musique. Néanmoins les faits sont là : Warner triomphant annonçait il y a peu, qu'ayant surenchéri aux sirènes cousues d'or de ses concurrents, il gardait ses poulains en déboursant - il est vrai - la coquette somme de 80 millions de dollars, accordée à titre d'avance sur un contrat pour 7 albums à venir. Précédent record (Janet Jackson) battu. Rideau sur l'info financière.

L'autre actualité de REM, plus passionnante, consiste en la sortie de New Adventures in the hi fi (numéro un en Grande-Bretagne), précédé d'E-Bow the Letter, single mélancolique et linéaire.

Mi-vrai nouvel album, mi-faux live studio, ces nouvelles aventures ont vu le jour sur la route, lors de l'interminable tournée Monster. Accouchés dans l'attente des soundchecks, ajoutés au fur et à mesure sur des tracklistings variables, rodés chaque soir face à un public différent, ces nouveaux titres ne ressemblent pas pour autant à un journal de bord (Road Movie, film vidéo de la tournée, remplissant parfaitement cette fonction). Michael Stipe, tête lunaire pensante des REM, qui regarde le monde à travers ses yeux trop pâles, derrière le rideau de ses cils trop longs, en a écrit – comme à son habitude – tous les textes.

« Je n'ai jamais été amoureux »

Authentique témoin de génération, l'homme se débarrasse de ses tourments intérieurs de façon quasi impudique, décortiquant habitudes, sentiments ou rêves sans affectation, l'air de ne pas y toucher. Et la plupart du temps avec un humour vaguement cynique, ce qui pourrait nous faire regretter l'absence des textes sur la pochette. Mais on comprendra aisément qu'il n'ait pas envie de se livrer au périlleux exercice de l'explication de texte avec les journalistes de la planète. Surtout depuis qu'il a déclaré, façon gentille provoc' à un magazine anglais : « Je connais mes inclinaisons sexuelles depuis que j'ai 15 ans. Elle sont plutôt larges. Je suis un coureur qui ne fait pas de discrimination. […] Je n'ai jamais été amoureux, mais j'ai une sorte d'amour global de la vie et, avec un peu de chance, je tombe amoureux de la plupart des gens que je rencontre. »

C'est avec des titres comme Losing my religion ou Everybody Hurts que REM est passé su statut de groupe qui vend honnêtement à celui d'un des rares groupes multimillionnaires du disque. Et toute leur histoire est l'histoire de ces trois hommes curieusement acoquinés à cet éternel adolexcent fin de siècle.

Quinze ans que l'alchimie fonctionne et les récents problèmes de santé des uns sont devenus la priorité des autres, comme dans une vraie famille : outre une opération abdominale pour le bassiste et l'ablation d'une hernie pour le chanteur, la dernière tournée aura vu le batteur victime d'une rupture d'anévrisme. « Cela fait quelque chose d'approcher la mort de près, ou de voir un ami proche subir cette exepérience, admet Michael Stipe. ça remet les choses en place. Votre travail et son utilité reprennent une vraie valeur. »

« Notre meilleur album »

Remis sur pied deux mois plus tard, le batteur déborde d'une énergie communicative. Du coup, ce nouvel album rassemble l'essence de REM, cette capacité à écrire des chansons propres à séduire les fondus de MTV comme les lecteurs des Inrockuptibles, une sorte d'échantillonnage, un best of fait de nouvelles compositions.

Du piano exotico-jazz de How the West has won and how it got us à un rock quasi cacophonique (Leave) en passant par des textures plus proches d'Automatic for the People (New Test Leper), sans oublier la magie du single E-Bow the Letter, qui voit Patti Smith hanter les refrains de son timbre à la gravité si particulière (le titre faisant référence à une lettre jamais envoyée par le chanteur et à un effet de guitare que les spécialistes reconnaîtront sur le morceau).

Seul fil rouge, l'accent traînant de Michael Stipe et ses textes à la première personne du singulier. « Notre meilleur album », proclament-ils. Et on n'est pas loin de les croire…

• Barry Adamson / 1996


publié le 23 août 1996 dans Le Quotidien de Paris

A priori le genre d'objet à réduire à néant l'hypothétique envie de l'écouter : un nom, Barry Adamson, qui, même s'il sonne familier à l'oreille, n'évoque rien de particulier (le bonhomme est bassiste d'origine et c'est son troisième album) ; une pochette d'une noirceur d'encre (dont le crédit nous apprend qu'il s'agit du cliché d'un film de Philippe Garrel, au secours !) et enfin ce titre, Œdipus Schmœdipus (le dernier mot, d'origine germano-américano-juive, étant une variante péjorative du précédent) qui intrigue et prête vaguement à sourire.

En fait, une fois débarrassé de son encombrant alibi de concept-album, Œdipus Schmœdipus se révèle furieusement éclectique : gospel/pop (avec un premier invité de marque, Jarvis Cocker, leader de Pulp), piano-bar, jazz (reprise de Miles Davis) et surtout, il foisonne d'instrumentaux bande-son idéale d'un cinéma américain millésimé milieu des années 70. Meilleur exemple : The Big Bamboozle, plein de panache avec son intro tout en cuivres rugissants et ses arrangements impeccables, à faire passer Goldfinger pour le petit frère de Jeux interdits.

Mais on y trouve aussi pêle-mêle une sombre histoire de prince charmant contée par une joile voix féminine, Nick Cave, Billy McKenzie (et son timbre de velours pour un des plus beaux morceaux de l'album), un sample d'un vieux EP de Françoise Hardy

Mon conseil : sortez pinceaux et gouache pour peindre à même le carton du digipack une végétation luxuriante sous un ciel très bleu, avec une superbe James Bond girl sortant de l'eau en bikini blanc. Et surtout montez le volume !

A découvrir dare-dare en attendant la B.O. qu'il compose actuellement pour le prochain David Lynch.

• Dead Can Dance / 1996


DEAD CAN DANCE :
LE RYTHME SOUVERAIN

publié
le 26 juillet 1996 dans Le Quotidien de Paris

Heureuse parenthèse dans leur discographie classée gothique,
le nouvel album cosmopolite des Dead Can Dance, véritable dépaysement, est un hymne au rythme. Conseillé à tous ceux
qui ne quitteront pas la capitale cet été.

Sur la pochette, au premier plan, une statue de bois peinte intrigue. Dégradée dans un bleu océan, de dos, l'ombre d'un sorcier levant le bras, semble nous inviter à le suivre. Spiritchaser, nouvel album des Dead Can Dance est une excellente surprise et partir à leurs côtés à la recherche de l'esprit du rythme semble une aventure séduisante.

Tout commence par un curieux effet sonore. Comme l'aller-retour stéréophonique d'un boomerang déchirant le silence d'une nuit australienne étoilée. Puis, dans la moiteur environnante, la lente échappée des percussions, doublée par la voix puissante de Lisa Gerrard, moitié lyrique des Dead Can Dance, nous entraîne vers l'Afrique. Afrique centrale, Afrique du sud. Le rythme va s'amplifier jusqu'à marteler l'espace, portant la mélodie à bout de bras, y puisant sa force, sa liberté. Gloire au rythme ! Au rythme souverain. Et au cœur qui bat.

Au faîte d'une carrière qui prouve combien il serait hasardeux d'imaginer la musique délimitée par des fontières, le duo à l'âme cosmopolite affiche une belle maturité. En neuf albums, son parcours ressemble à une multitude de drapeaux multicolores flottant sous la même bannière – les Dead Can Dance ayant toujours réussi à sauvegarder leur identité.

Originaires de Nouvelle-Zélande et d'Australie, Brendan Perry et Lisa Gerrard se sont rencontrés à Londres en 1981. Signés sur le légendaire label 4AD (pochettes arty, productions hors normes), on leur a très tôt collé une étiquette gothique (sur la foi, il est vrai, de la ferveur quasi-liturgique et des transes enfiévrées de la chanteuse, apparaissant sur scène dès les premiers concerts drapée dans une robe blanche). De spiritualité exacerbée en dépouillement monacal, de chants italiens du XIVe siècle en chants traditionnels catalans, l'écoute des opus de Dead Can Dance captive l'oreille autant que l'âme. Depuis 1993, le duo, qui collecte de par le monde des instruments de tous horizons et de tous âges, enregistre dan une église, en Irlande.

Récemment, on avait pu envisager l'angoissante éventualité d'un divorce musical, le dernier album (Toward the Within, indispensable live) jouant un peu trop l'alternance des vocalises éthérées de l'une avec les ballades guitare-voix de l'autre. C'était compter sans le miracle qui récompense parfois les couples qui s'octroient une liberté individuelle délimitée dans le temps : après avoir réalisé chacun un album solo (même si celui de Brendan Perry n'est jamais parvenu jusqu'aux bacs des disquaires), ils célèbrent aujourd'hui d'éclatantes retrouvailles.

En fait, ce nouvel album représente un tournant dans leur façon de travailler, plus que jamais placée sous le signe de l'harmonie. Ayant maintenant assouvi son impérieux besoin de prouver au monde la qualité et l'étendue de son talent vocal (proprement impressionnant), Lisa Gerrard semble ici jouer d'une certaine retenue. Au bénéfice du disque dans sa globalité.

A L'instar d'une Yma Sumac, légendaire princesse des Andes qui, dans les années 50, n'avait pas son pareil pour vous imiter le cri du zorzal les soirs de pleine lune, les Dead Can Dance expérimentent même l'« animisme » ou l'art de moduler sa voix à la manière de nos amis à plumes et à poils. Avec talent.

Le résultat, chanté en anglais, pidgin-français, mais également dans des langues non répertoriées, trouve un juste équilibre entre incitation au mouvement et à la méditation. Certains morceaux, au rythme ralenti, bercent doucement l'oreille et flatte l'imaginaire. Quasi anachroniques, les guitares - surprenantes de prime abord - ne manqueront pas de séduire dès la seconde écoute.

Spiritchaser, plus mature que ses prédécesseurs, aime prendre son temps (les titres sont plus longs qu'à l'accoutumée), s'arrêter pour écouter battre son rythme (notamment sur Indus où l'on croit voir les octaves, tels les volutes de fumée d'un cône d'encens, s'élever dans les airs) et se clôt sur une lente et somptueuse berceuse.

L'écoute d'une seule traite, suggérée par le fait que les morceaux se fondent les uns dans les autres, est vivement conseillée.

Mesure, équilibre, harmonie. On se prend à rêver d'une planète à l'image de l'univers des Dead Can Dance...

• Nina Hagen / 1996



HEUREUX QUI COMME NINA…


publié le 5 juillet 1996 dans Le Quotidien de Paris

Bee Happy, nouveau credo de Nina Hagen ou le retour discret de l'ex-enfant terrible du rock européen. Instantanés d'une carrière chaotique avant concert parisien le 12 juillet.

Increvable, intenable, inclassable, toujours affable, Nina Hagen repointe le bout de son museau. Après bientôt deux décennies d'une improbable carrière en dents de scie, l'auto-proclamée « Mother of Punk » s'en vient défendre son nouveau CD, Bee Happy (sans faute de frappe mais avec jeu de mot), dans notre beau pays. Rappel de quelques dates et hauts faits de la dame.

Sur fond de scandale (Nina joignant le geste à la parole pour donner une leçon de sexualité aux jeunes filles solitaires lors d'un talkshow allemand), l'entrée en scène avait de quoi séduire : un premier album à la production carrée, d'une bargitude échevelée, révélant un joli brin de jeune fille, incontrôlable, rebelle pour de vrai et surtout dotée de l'organe le plus puissant de l'histoire du rock au féminin. De vociférations tonitruantes en gloussements de gallinacée, une voix d'opéra dans la tête d'une walkyrie désinhibée.

La mise sur orbite ne tarda pas. Propulsée par African Reggae (1979) et quelques déclarations explosives, le transfuge de l'Allemagne de l'Est allait parcourir l'Europe, le chaos comme étendard, semant le doute, l'effroi et le rire. Reine de l'auto-dérision, le cheveu rose fluo et un godemichet attaché à sa ceinture pointant sous sa cape noire, elle donnait à l'Olympia en 1980 un concert gravé dans la mémoire des survivants.

« Quand je commence à chanter, je ne pense plus, je reçois ». Consciente d'être considérée comme assez peu saine d'esprit par l'ensemble des médias, Nina en rajoute une couche en prénommant sa fille Cosma Shiva (on l'entend gazouiller dans une chanson au titre éponyme) et profite de cette période faste pour établir son personnage de diva rock échappée du cirque mais respectée pour ses octaves.

Jamais avare de grimaces, outrageusement maquillée, emperruquée sans grâce, elle apparaît dans des clips à la mise en scène bricolée, aux effets spéciaux à 2,50 F, d'un mauvais goût à faire passer les premiers films de John Waters pour des documentaires produits par Arte.

La rencontre avec le disco donna naissance à un album qui peut encore s'écouter aujourd'hui, Angstlos (ou sa version anglaise Fearless) sur lequel figurent, soutenus par le rythme binaire de Georgio Moroder et Keith Forsey (maîtres du genre à l'époque), l'un des premiers raps (co-écrit par son boyfriend d'alors, Anthony Kiedis, leader des Red Hot Chili Peppers) et le célèbre New York/NY (rien à voir avec Sinatra). Elle s'y fend également d'un hommage à Zarah Leander, légendaire star allemande d'adoption à la voix grave et sensuelle.

On la retrouve quelque temps plus tard pseudo-marié le temps d'un Punk Wedding avec un jeune Iroquois. Puis soutenant Gobatchev (Michaïl, Michaïl) ou reprenant Mahalia Jackson (Hold me).

Plus sereine

Sur tous les fronts (duo d'anthologie avec sa consœur Lene Lovitch contre la vivisection, interviews truffés de propos humanistes), Nina se découvre bientôt un maître spirituel (Babadji) et impose une image d'elle-même plus sereine. Après les Etats-Unis et Ibiza, elle choisit de s'installer à Paris avec un mannequin de chez Gaultier, Franck Chevalier (« I'm in love with Maurice Chevalier ! ») dont elle aura un fils, sobrement baptisé Otis.

Sort alors Revolution Ballroom, à la production impeccable (due pour certains titres à Dave Stewart, moitié d'Eurythmics), occasion pour Nina de vider son sac (« Tellement nul / Les mensonges sur le VIH / Tellement nul / L'énergie atomique mal utilisée / Tellement nul / Helmut Kohl » dans So bad).

Aujourd'hui rangée des voitures, survivant à ses multiples errances comme à autant de destinées (donnant l'impression de plusieurs vies en une), Nina Hagen vit à Los Angeles, dans la villa où vécut Janis Joplin, avec un nouveau compagnon. Suite à sa rencontre avec Dee Dee Ramone (des Ramones, de sinistre mémoire), elle a repris le chemin des studios pour un album dont la version allemande, parue il y a quelques mois, offrait l'avantage d'un emballage de première classe : des portraits hologrammes de la chanteuse teutonne plantés dans une couverture argentée. Bee Happy, qui sort aujourd'hui en France avec une pochette plus commune en est la traduction anglaise, augmentée d'un inédit Shiva.

Bien sûr, on regrettera les octaves d'antan, tout comme la production rutilante et soignée du dernier album. Il est question ici d'un retour aux sources punks (prise de son brute, arrangements inexistants) et les textes, scandés sans effort, trahissent une évidente paresse.

Malgré tout, Nina Hagen garde aisément notre tendresse et on ne se fera pas prier pour la voir éructer une nouvelle fois sur la scène du Palace le 12 juillet prochain, tonitruante. Dans l'attente de nouvelles aventures…

• Scott Walker / 1996


RÊVERIES D’UN PROMENEUR

publiée en
juillet 1996 dans Live Music

Référence incontournable dans les CV de Marc Almond, Nick Cave ou Bowie au chapitre « voix influences », Scott Walker, le crooner ténébreux, est de retour avec la chanson générique de Toxic Affair, comédie française starring Isabelle Adjani. Parcours d'un homme (trop) discret.

Scott Walker ou l'éloge d'une voix. The Voice. Reflet d'une belle assurance mâle (des graves chauds et profonds) teintée de doutes, d'innocence, voire de pureté. Un organe au timbre suave, rompu à la technique des crooners, coupable de pâmoison auprès de milliers d'adolescentes dans les années 60. Evoquez Love Her, The Sun ain't gonna shine anymore ou Make it easy on yourself et regardez votre mère soupirer !

Voyage dans le temps. En 1965, Scott Walker forme les Walker Brothers avec John Maus et Gary Leeds. Une poignée de tubes, des tournées hystériques, une popularité menaçante pour les Beatles, le tout résumé par Scott en ces termes : « le plus grand groupe d'ivrognes »…

Deux ans plus tard, le groupe se dissout et Scott s'évapore. On ne le retrouvera jamais plus aussi accessible. Tournant le dos aux feux de sa jeune gloire, le géant américain (il mesure près de 2 mètres) se replie sur lui-même, lit beaucoup (Sartre, Camus) et développe une fixation sur Ingmar Bergman. En un mot, il part à la recherche de lui-même et sera bientôt en mesure de nourrir ses textes et mélodies d'expériences personnelles – jusque-là, le répertoire des Walker Brothers se cantonnait à des compositions (excellentes) apportées sur un plateau par la crème des auteurs de pop songs de l'époque.

Autre révélation : Brel, dont il va glisser des adaptations dans chacun de ses quatre premiers albums solo, reprises qui comptent parmi les plus appréciées par les puristes et qui, compilées, ont fait l'objet d'une réédition CD : Scott Walker sings Brel (tout comme chacun des albums solo sobrement baptisées Scott 1, 2, 3 et 4).

Ces enregistrements constituent les éléments majeurs de l'œuvre flamboyante d'une jeune homme ténébreux qui parle d'amour, de sexe et des solitude ; lentes introductions tourmentées, nuages de cordes somptueusement orchestrées et mélodies de voix inventives font de chaque écoute une expérience inoubliable.

Nouveau silence, brisé en 1984 avec Climate of the Hunter, magnifique anti-album dont la mévente lui vaudra la rupture de son contrat avec Virgin.

Entre temps, les faux frères Walker se reformeront le temps d'un hit (No Regrets, en 1975) suivi d'un album (Nite Flights, dont le titre éponyme figure brillamment repris, sur le Black Tie White Noise de Bowie). Les hommages et reprises ne manqueront pas, mais l'énumération serait trop longue ; il faut pourtant citer Julian Cope, à l'origine d'une compilation en 1981 et Marc Almond d'une autre en 1990 (Boychild, entrée en matière idéale pour néophyte à convaincre).

Depuis 1984, l'homme – un modèle de discrétion – est difficile à débusquer. Diverses collaborations (Eno, Lanois) sont évoquées, un album est même annoncé... lorsque, soudain, arrive la surprise de (petite) taille : un CD deux titres, fruit d'une improbable rencontre avec Goran Bregovic (auteur inspiré des BO du Temps des gitans et d'Arizona Dream).

Man from Reno et Indecent Sacrifice (tous deux extraits de la BO de Toxic Affair, comédie qui marque le retour à l'écran d'Isabelle Adjani sur fond d'échec commercial) nous restituent l'inimitable voix, calme mais sans une ride (Scott aura 50 ans l'an prochain), servie par une orchestration simple et pleine de charme. Le crooner a signé les textes. Et l'on se prend à rêver que ce petit objet soit le signe avant-coureur d'un véritable come-back…

• Everything But The Girl / 1996


UNE VOIX SOUL ET DES MACHINES

publié
le 24 mai 1996 dans Le Quotidien de Paris

L’après Missing (hit planétaire) ou le retour du duo pop avec chanteuse à voix : Walking Wounded confirme l’option dance
avec textes mélancoliques. Et surtout avec talent.


Une jeune femme devant un large miroir, le sourire fané, qui chante comme à elle-même And I miss you / Like the deserts miss the rain. Son compagnon amaigri déambulant dans un corridor avant de s’asseoir négligemment sur son lit pour jouer de la guitare. En fond, un beat d’une redoutable efficacité. Images multidiffusées, impeccables et dérangeantes. Missing, qui a fait le tour des discothèques de la planète, a imposé Everything But The Girl à la surprise générale, y compris celle des intéressés. Au point qu’on a pu croire qu’il s’agissait là du premier titre d’un groupe prometteur. En fait, après plus de dix ans de carrière, le découragement les guettait. De l’impact du remix réussi…

Ben Watt et Tracey Thorn se connaissent pratiquement depuis toujours. En 1984, leur premier album (le magnifique Eden) leur apporte leur premier hit, Each and Everyone. Suivront encore cinq albums - qui, réédités en CD, sortiraient tamponnés d’un sticker « déconseillé les jours de pluie » – avant Amplified Heart (1994) qui contient la version originale de Missing.

Echo à nos modernes solitudes

Dans les années 80, la scène dance était plutôt comique : souvenez-vous de ces créatures ivres d’elles-mêmes se trémoussant sans grâce dans un fracas de quicaillerie bon marché. Le disco ou le mauvais goût affiché. Signe des temps, la mélancolie, avec des sons feutrés et des voix plus nuancées, gagne aujourd’hui le dance floor, écho à nos modernes solitudes. Massive Attack, Portishead, Tricky ou même Björk en sont de dignes représentants. Les visages et les attitudes aussi ont changé. Au point qu’on pourrait croire la fonction sourire déprogrammée chez notre duo. S’ils avancent blessés (Walking wounded), ils ne sont pas masqués. Ben parle de la maladie sans la nommer, virus en forme d’épée de Damoclès, la traite même de façon paradoxalement humoristique dans un livre non traduit en France, Patient.

Aujourd’hui, avec la sortie mondiale de Walking wounded, la différence entre l’avant et l’après Missing saute forcément aux oreilles. Question de tempo. La voix soul de Tracey Thorn danse sur des « graffitis musicaux », sur des machines. La rencontre d’EBTG avac la scène dance aurait pu n’êre qu’un feu de paille, mais la mariée était trop belle et, avec ce disque, le duo officialise l’union. Y figure un parfait jumeau de Missing, Wrong, second single dont le remix offert en fin d’album hantera vos nuits d’été.

Por EBTG, la transition s’est faite tout naturellement ; grâce à quelques collaborations, en particulier celle avec Massive Attack en 94 à qui Tracey Thorn a prêté son timbre si particulier pour trois titres (dont le splendide Protection, émouvant chef-d’œuvre du genre). Puis, plutôt que d’abandonner leurs textes et partitions aux mains d’individus coupables d’ingents remixes à l’abattage, ils confient à Todd Terry le soin de remixer Missing. Les reste appartient à l’histoire…

« I could have loved you for ever / Or I could have left you for ever ». Comme sortis d’un programe informatique en binaire, les textes, assemblages de mots simples, cultivent l’art de l’ambiguité. A l’instar de leur image. Amis, amants, frère et sœur. Les combinaisons semblent toutes valables. A l’exception de Walking wounded, premier single co-écrit avec Spring Heel Jack et accompagné d’un très beau clip en noir et blanc, tous les morceaux de cet album sont signés par le duo. Signalons Single, qui utilise un sample du sublime Song To The Siren de Tim Buckley et Flipside (rythme lourd et lent, voix vocodée), réalisé en collaboration avec Howie B.

« Nous voulions faire un album qui puisse aussi bien s’écouter en boite que chez soi », indique Tracey Thorn. A l’arrivée, l’ensemble, jamais morne, caresse gentiment le creux de l’oreille. bien sûr, on se prend à espérer un jour une improbable reprise de Shirley Bassey pour pouvoir apprécier pleinement l’organe de Tracey…Peut-être lors d’une prochaine collaboration.

• Mark Eitzel / 1996


MARK EITZEL EN SOLITAIRE

publié
le 16 mai 1996 dans Le Quotidien de Paris

Conteur sensible, le chanteur américain Mark Eitzel se penche sur ses souvenirs amoureux. 60 Watt Silver Lining, son premier slbum solo, est une collection de chroniques qui sait charmer l’oreille.
A découvrir.

Bien sûr, on pourrait énumérer une liste riche de flatteuses références, faire jaillir des myriades de superlatifs comme autant de lieux communs, d’alibis pour prévenir une éventuelle interprétation hors-sujet. Il y a peut-être mieux à faire. Extraire l’objet de tout contexte. L’isoler pour le mettre sous la lumière, comme pour le magnifier.

A titre tout à fait exceptionnel donc, faisons table rase du passé de Mark Eitzel (dix années au sein de l’American Music Club : en France, qui s’en souvient ?) pour ne nous attacher qu’au présent. Néo-virginité. « Mon départ du groupe a bouleversé ma conseption des choses. maintenant, tout est possible. » 60 Watt Silver Lining ou le disque d’un homme solitaire, sans artifice, débarassé de références.

Visuellement, l’objet est sobre. En couverture, un cliché signé Mark Eitzel lui-même, traité façon sépia, celui d’un bateau en pleine mer obliqué de façon optimiste. Le ton est donné : l’homme va prendre la mer, se jeter à l’eau. Rarement le mot solo n’aura trouvé un tel écho que dans cette aventure (intérieure). Mark Eitzel est un homme profondément seul. Depuis les bars de San Francisco où il passe bon nombre de ses soirées, il se penche sur ses souvenirs amoureux, regarde évoluer ses contemporains ; on l’imagine griffonnant quelques note sur un carnet, un demi-sourire aux lèvres. L’héroïsme est ici de ne jamais céder à la complaisance et d’appeler la solitude ou le désespoir par leur prénom.

Invitation à l’indolence

60 Watt Silver Lining est un album avec états d’âme, vite apprivoisé. A peine échappé des enceintes, et grâce à une production transparente comme l’eau claire, il tourne dans votre intérieur, cherche ses repères, caresse les objets familiers, envahit peu à peu l’espace. « Un cœur vide est une maison vide / remplie de vieux fantômes ».

S’il oscille entre une vraie gravité aux accents néo-jazzy façon Billie Holiday et une certaine légèreté apparente, l’ensemble est souvent nuancé par un sens de l’humour et du détail.

Homme plein de précaution, Mark Eitzel introduit chaque titre de quelques notes sur le livret, entre anecdote et désir enfantin (« Je veux que Barbra Streisand en fasse une reprise. Vraiment ! », écrit-il à propos de Saved, par ailleurs hommage à Burt Bacharach).

Mission Rock-Resort a été écrit pour une amie qui, à peine sortie de l’hôpital où elle faisait soigner ses lésions laissées par des injections, replonge dans la drogue.

When My Plane Finally Goes Down s’étire langoureusement sur fond de crépitement de feux de bois, la voix désincarnée évoquant la plainte ; la plupart du temps, libre, elle flotte comme en apesanteur, choisissant une syllabe ou un mot entier pour l’étirer, puis le relâcher, anamorphosé. Elle s’emporte peu.
Il faut saluer la trompette de Mark Isham, crépusculaire, le piano et les percussions, très présents ; Mark Eitzel sait cultiver l’art du pont, comme pour leur rendre hommage.

Peu avant la fin du voyage, Southend on Sea, anachronisme bienvenu, ferait un hit single tout à fait crédible et nous place devant une évidence : même si ce bateau semble bizarrement construit (une reprise pour ouvrir l’abum), il ne sombrera pas. L’énergie qui en émerge est malgré tout positive. Une invitation à l’indolence, idéale en fin de journée, à écouter seul ou bien accompagné.

Dernière étape, Everything is Beautiful est un titre somnambule écrit pour l’adaptation à l’écran d’un livre de Peter Handke (qui n’a pas encore vu le jour faute de moyens) après lequel le silence s’impose.

• The Divine Comedy / 1996

Taille de police
LE DIVIN COMÉDIEN
JOUE LES CASANOVA

publié
le 19 avril 1996 dans Le Quotidien de Paris


Retour sous les projecteurs de Divine Comedy avec un album de printemps. Costumé en Casanova, le jeune Irlandais plein de panache a mis en musique les meilleures pages de son journal de séducteur. Ce qui ne devrait pas manquer d'asseoir une popularité déjà importante en France.

Curieux personnage que ce Neil Hannon, autoproclamé The Divine Comedy : auteur-compositeur-interprète au teint pâle, peigné comme un enfant sage. Fraîchement tombé du nid, à première vue. En vérité – et pour résumer – un bouillonnant ego et son univers d’ingéniosités nourri par quelques références classiques et chapeauté d’un sypathique sens de la dérision.

Esthète perfectionniste (mais jamais précieux), incurable romantique (mais jamais mièvre), le divin comédien s’est imposé en France dès 1992, sans clips, CD 2 titres, ni remixes dance. Deux copieux albums, Liberation et Promenade (sur la pochette duquel il pose fièrement devant la pyramide du Louvre) auront suffi à lui accorder les faveurs d’un public d’âge tendre fréquentant la fac de lettres. En concert, où la moindre de ses facéties fait mouche, on peut voir des jeunes filles se pousser du coude en riant. Tout cela avec un charme délicieux ; comme si le grunge et le rap ne s’étaient jamais abattus sur la planète pop.

« Des conneries ! L’art est mort ! »

S’inscrivant dans la plus pure tradition du récital d’antan, il était à Paris début mars pour présenter les nouvelles chansons qui composent « Casanova », son troisième album, dans les bacs ces jours-ci. Occasion de surprendre une foule exemplaire de discipline (à peine un sifflet après une bonne heure de retard) : l’homme, qui avait à cœur de rendre à un art jugé mineur ses lettres de noblesse, allait esquisser sous nos yeux hagards un spectaculaire pas en arrière, louchant effrontément du côté de la scène brit-pop. Plus de cordes ni de piano. En lieu et place, une formation rock basique (claviers, batterie, basse, guitare), flanquée d’un Hammond qui ira jusqu’à susciter un certain agacement chez le petit maître, demandant lors des présentations qu’on l’aplaudisse « quand même ».

Malgré tout, les anciens titres revisités rock sont convaincants, rythmés par un batteur de haut niveau. Mais Neil, engoncé dans son costume cravate plutôt neutre, ressemble assez peu à l’idée qu’on se ferait d’un Casanova moderne. Feignant l’innocence, il est pourtant habile à charmer le beau sexe, lâchant, l’air de ne pas y toucher, de petites réflexions franchement humoristiques ou vaguement provocatrices (comme sa réaction au Cercle de Minuit où, espiègle, il glissait : « Des conneries ! L’art est mort ! » avant d’attaquer Tonight we fly). Pour ceux et celles qui l’auraient raté, session de rattrapage à Paris à la Cigale le 10 juin.


L’album s’ouvre sur des gloussements de jeunes filles, rougissantes devant le grand méchant séducteur leur proposant la botte sans vergogne aucune. La mélodie démarre en trombe, joyeuse. Très vite, le ton est donné : adieu queues de pie et violoncelles, passez vos colliers de fleurs et rendez-vous sur le pont pour une croisière de rêve. Brillant architecte, Divine Comedy a toujours su charpenter ses œuvres : quelques mots échangés faisant office d’ouverture, coupés par une mélodie propre à entraîner les chansons comme autant de wagons affolés sur un grand huit, et une clôture en bonne et due forme : cette fois-ci, empruntant la voix d’un présentateur ringard, Joby (un des musiciens) désannonce l’album avant d’inroduire le Theme from Casanova, une franckpourcellererie qui ferait passer le générique des Feux de l’amour pour les Concertos Brandebourgeois.

Néanmoins, ne nous y trompons pas. Ici, pas de deuxième degré façon easy listening, cette énième pseudo-nouvelle vague que certains médias paresseux tentent mollement de nous imposer. Bien que prétendant au titre de ce qu’on appelait dans les années 80 the next big thing, Divine Comedy n’entend pas ratisser aussi large. D’où une autodestruction systématique dès que la mélodie se fait trop emmiellée et qu’on pourrait imaginer Neil arborant un sourire niais dans un clip façon Pierre et Gilles. Ce sont les moments que l’on préférera, ceux où la mélodie s’emballe sans crier gare, le temps d’un pont, empêchant une éventuelle lassitude. Jusqu’à « Charge » dans lequel la démesure l’emporte pour de bon et où il déverse enfin la violence difficilement contenue jusque-là (gravant pour la première fois ses aigus, découverts live sur la reprise du Wuthering Heights de Kate Bush).


« Je veux rendre les gens heureux » 

Si les abums précédents ont pu paraître quelque peu indigestes (l’impression d’avaler, tout droit sortis du mixer, une crème forcément anglaise, un coulis de framboise, de la glace à la vanille, une sauce chocolat et un peu de crème de marrons), la production de Casanova joue la carte de la légèreté inventive. Neil a bénéficié de somptueux crédits (grâce à son collègue Edwyn Collins et son tube A girl like you) et a pu, tel un gosse émerveillé, s’en donner à cœur joie (effets spéciaux en tout genre).

Ultime pirouette : Neil ôte le masque du fameux séducteur et va pour le dernier titre retrouver ses rêves de grandeur : Dogs and horses, hommage appuyé et sincère à un Scott Walker millésimé fin des années 60. « Avec ce titre, j’ai eu pour la première fois à ma disposition un véritable orchestre. C’était un rêve devenu réalité. Dans ma cabine d’enregistrement, je me disais : ça y est, je suis Scott Walker ! ».

Bien sûr, sinon la voix, l’intention est bel et bien là, et c’est en vain qu’on chercherait d’évidentes preuves de plagiat. Bel effort.

« J’écris des chansons joyeuses de quatre minutes avec des refrains et des couplets et je veux rendre les gens heureux » : souhait exaucé. Après plusieurs écoutes, on s’aperçoit que ces mélodies sont agréables à fredonner, à même d’accompagner notre vie quotidienne. Que demander de plus ?

• Nick Cave / 1996



publié le 30 mars 1996 dans Le Quotidien de Paris

Where the wild roses grow, improbable duo avec Kylie Minogue en était le single avant-coureur, le ténébreux rocker australien et sa voix d’outre-tombe sont de retour. Retrouvailles lugubres mais jamais mornes, Murder Ballads recentre Nick Cave sur ses obsessions poétiques : les rapports violence/innocence, la mort fatale et sa noire beauté, l‘œil cinéphile qui fait d’un assassin un héros (« Quand je l’ai tué, j’étais tellement beau / A cause de la lumière, à cause de l’angle » dans O’Mallye’s Bar). La voix lente et presque sentencieuse récite plus qu’elle ne chante des textes écrits dans un style purement traditionnel ; seuls deux titres font déjà partie du patrimoine, mais les compositions de Cave ne devraient pas tarder à les rejoindre. Les orchestrations sont dignes, les touches du piano martelées avec application.

Ces Ballades du Meurtre exhalent un parfum presque vénéneux et l’on s’enfonce voluptueusement dans ces chemins peu fréquentables. On y croise un jeune homme, une pierre à la main, penché sur une Ophélie endormie dans les eaux, déclarant en l’embrassant pour la dernière fois que « toute beauté doit mourir ». Ou la pauvre Mary Bellows qui s’est refusée à un étranger et a été retrouvée le lendemain, menottée à son lit, une balle dans la tête et une serviette hygiénique dans la bouche. Pauvre Mary Bellows.


Mais le « plus » du disque reste incontestablement les invitées : surprenante Kylie Minogue, parachutée dans cet univers un rien moins glamour que celui dans lequel elle évolue d’habitude (imaginez Bashung invitant une jeune Sheila pour une sombre ritournelle) et qui, superbement mise en lumière dans un clip ad hoc, parvient à susciter quelque intérêt. Autre guest star, PJ Harvey, déjà moins « pièce rapportée », jouant agréablement de son timbre quasi atone sur Henry Lee, le second single. Et on retrouve au final tout ce beau monde, rejoint par Shane Mac Gowan, sur Death is not the end, judicieuse reprise de Dylan. Recommandé !