• Isabelle Adjani | 2022


Le vertige Marilyn
par Isabelle Adjani,
Maison de la Poésie, Paris
31 janvier 2022

 

Rien de prémédité dans mon calendrier des sorties théâtre, mais on ne peut s’empêcher de noter ce curieux télescopage dans le même mois : deux actrices pour deux icônes – Monica Bellucci convoquant Maris Callas et Isabelle Adjani, Marilyn Monroe. Les comparaisons s’arrêtent là : on est ce soir face à une performance dont le but est davantage de nous subjuguer que de nous émouvoir ou même simplement nous toucher. Le vertige Marilyn s’adresse plus à l’esprit qu’au cœur. Et en ce sens, c’est vraiment réussi.

Les places n’étant pas numérotées et le lieu plutôt exigu, il aura fallu arriver de bonne heure et patienter dans le froid, mais qu’importe : en elle-même, la soirée s’annonce déjà comme un véritable événement. Isabelle Adjani à la Maison de la Poésie pour trois soirs uniquement. Pour briller en société, on pourra dire plus tard qu’on y était, comme à ces soirées du temps jadis où l’on voyait au Palace chanter Jeanne Moreau ou Ingrid Caven…

Déjà plus de places à l’orchestre, on se précipite au balcon. Il aura fallu jouer des coudes mais on est face à la scène, non loin de la régie. Flotte dans l’air un délicieux parfum de fleur d’oranger : mon voisin de gauche ou bien ces fumigènes qui envahissent la scène ?

Sans être un spécialiste d’Isabelle Adjani, on se doute qu’on ne verra d’elle que ce qu’elle voudra bien montrer. D’où sans doute ce « brouillard » qui enveloppe déjà une intrigante structure métallique supportant des projecteurs… 


L’entrée en scène est soignée. Rideau noir toujours tiré, obscurité entretenue sur un fond sonore indistinct – Il y aura très peu de véritable silence pendant cette soirée, une très belle idée – et la voix enregistrée d’Isabelle Adjani ressuscitant un appel passé par Marilyn Monroe à une radio, « pour parler », quelques temps avant sa disparition. Les projecteurs s’animent et on aperçoit le dos nu et blanc de l’actrice, assise au milieu de ce curieux assemblage, prostrée. On n’y pensera que plus tard mais l’ensemble rappelle certains tableaux de Francis Bacon…
 
Alternance sera le maître mot de cette performance hybride : tantôt la comédienne nous fait face dans sa pose la plus célèbre (et si souvent caricaturée : ses mains cachant ses joues) et c’est une voix enregistrée qui s’adresse à nous ; tantôt elle lit le récit purement factuel des événements qui ont suivi la découverte du corps de Marilyn, debout au pupitre, nous rappelant une cérémonie des Césars. On la verra aussi nous parler d’elle, établir des parallèles entre la destinée de la star hollywoodienne et son propre parcours. On la verra enfin, lunettes noires lui mangeant le visage, affronter les flashs des reporters (remarquable lightshow de bout en bout) ou revivre une étonnante scène de la vie de Marilyn se donnant à un jeune livreur qu’elle attendait chez elle en peignoir (l’acmé de la soirée en ce qui me concerne). 
 
On suit Isabelle Adjani dans ce dédale labyrinthique pendant près d’une heure et demie, souvent subjugué par sa maîtrise de l’espace et du timing, parfois déçu d’entendre une nouvelle fois un magnéto alors qu’on a tout de même la chance qu’elle soit en chair et en os sous nos yeux. On admire l’envolée de sa main lorsqu’elle fait défiler le texte sur sa tablette, sa voix sensuelle inchangée par le temps qui a malgré tout passé, cette impression générale de légèreté qui se dégage de ses gestes, ses bras ballant le long de cette robe Dior de velours noir, copie conforme de celle portée par Marilyn lors de ce qui restera sa dernière séance photo en juin 1962 (tiens, ça me dit quelque chose ce genre de détail… Allo Tom Volf ?).
 
Le final la voit éteindre une à une les lumières du plateau, jeter à terre les malheureuses fleurs qui s’échappaient d’un vase posé à même la scène puis les piétiner avant de rejoindre l’obscurité derrière le rideau noir.
 
Les applaudissements nourris la ramèneront sous la lumière (mais pas trop : chacun a dégainé son portable pour repartir avec un souvenir), souriante, levant les bras de chaque côté du corps en signe d’interrogation modeste devant tant de chaleur. Vous exagérez, ce n’était pas grand chose, si ? Si, tout de même…



© LC