• Starmania | 2022

Starmania,
La Seine musicale,
8 novembre 2022

Manifestement la Seine Musicale était the place to be ce 8 novembre, soirée de première de Starmania nouvelle version. En sortant du métro, après avoir traversé un décor futuriste évoquant Monopolis et montré patte blanche, on était dirigé vers la première entrée à gauche si on était un invité de marque, et vers la seconde entrée si on faisait partie du reste du monde. Là, en fonction de la première lettre de son nom de famille, on avançait vers des jeunes femmes derrière de petits comptoirs ornés d’orchidées blanches, qui vous fournissaient vos précieux billets. Grand luxe. 
 

Dans les allées, de grandes photos rappellent l’histoire de Starmania. Certains font des selfies devant un grand portrait noir et blanc de Michel Berger et Luc Plamondon. D’autres lorgnent le scénographe Thomas Jolly qui vient d’apparaître dans un costume flamboyant et ne se fait pas prier pour poser devant une immense affiche aux couleurs de
Starmania 2022, bleu nuit et or. Fabienne Thibeault est happée, pose également. Renaud Hantson aussi. Le ton est donné : les people sont partout !

On s’installe dans les premiers rangs et très vite le torticolis nous guette. Derrière nous (dans le désordre le plus total) : Valérie Lemercier, Alex Beaupain, Luc Plamondon, Fogiel, Vincent Lacoste, Jean-Claude Camus, Bruce Toussaint, Lola Lafon, Charlebois, Drucker, Anne Gravoin, Anne Hidalgo, Line Renaud, Ruquier, -M-, Coppé, Élisabeth Quin, Vincent Cassel, Brigitte Macron, Yasmina Benguigui, Renaud Capuçon, Isabelle Boulay, Natasha Saint-Pier, Mathilde Seigner, Gallia
, Rachida Dati, Nicole Coullier, Nathalie Baye, Anne Gravoin, Dominique Besnehard, Jean Brousse, Franka Berger, Bernard Serf… et, discret maître de cérémonie, Raphaël Hamburger évoluant en toute liberté : de l’avantage de refuser toute apparition médiatique.


 
Une voix (celle de Thomas Jolly ?) nous demande de pas filmer ou photographier pour ne pas spoiler. Avertissement bien reçu : le service d’ordre n’aura pas à œuvrer. Le buzz a-t-il suffisamment alerté sur le gigantisme pharaonique de ce que l’on va voir pour que chacun se dise que cela ne rentrera pas dans nos petits smartphones ? Vivons le spectacle en live pour une fois, pas par écran interposé…

Un premier clin d’œil nous cueille d’entrée de jeu : un piano blanc qui tourne et sur lequel joue furtivement un homme aux cheveux bouclés, de dos… Hommage subtil, bien vu. Plus tard dans le spectacle, un autre concernera France Gall. 

On a déjà lu partout ces chiffres affolants (7 millions de budget, 500 projecteurs, 1 million de spectateurs pour rentabiliser l’aventure, etc.) et on pense aux challenges. L’un d’entre eux sera d’alterner adroitement la démesure et le dépouillement, le gros son et une guitare sèche tout en conservant la fluidité du récit. Un autre sera de remplacer lentement dans notre imaginaire les versions archi jouées des chansons que tout le monde connaît par des voix nouvelles sans doute tentées par la démonstration de puissance pour épater (ou combler un manque d’émotion), le tout en évitant l’écueil d’un karaoké géant. Assez vite, tout cela sera balayé : la première voix à s’élever (Gabrielle Lapointe alias Cristal) rassure mais interroge aussi. Elle avance avec une belle assurance, n’a pas l’air d’avoir le trac… Comment fait-elle ?

Les tableaux se succèdent, bluffants, bien pensés. Il est clair que la combinaison des talents engagés dans cette aventure liée au fait que la plupart des moyens techniques utilisés aujourd’hui n’existaient pas en 1978 ne pouvait que porter de beaux fruits. La première partie est impeccable, avec pour point d’orgue (en ce qui me concerne) Le blues du businessman par David Latulippe. Son timbre n’a rien de particulier, son impeccable technique est attendue, mais il y a autre chose. Sa voix frappe net, carré, sans fioriture et avec une justesse qui sied parfaitement à son personnage. La chanson bénéficie de surcroît du plus impressionnant déploiement de projecteurs observé dans notre galaxie… 
 

 
On pourrait aussi citer l’utilisation des silences dans Quand on arrive en ville (Côme alias Johnny Rockfort), malheureusement gâchée (toujours en ce qui me concerne) par la représentation crue d’une violence gratuite qu’on aurait préféré voir suggérée.  

La seconde partie démarre par un chef-d’œuvre, Les adieux d’un sex-symbol, dont la version live d’origine (par Diane Dufresne) semble indépassable. La note finale, attendue par une salle haletante, donne le vertige à tout point de vue : elle est exécutée du haut du 3e étage de l’escalier de Zéro Janvier par Magali Goblet (alias Stella Spotlight). Voix puissante et un peu cassée, comme retenue à chaque fois qu’elle pourrait sombrer dans l’esbroufe.

Et les musiciens dans tout ça ? On les découvre parqués de chaque côté de la scène : guitare-basse-batterie à gauche et claviers à droite. La bonne nouvelle tient dans le respect des intemporels arrangements originaux. Rien ne vaut le tandem des Michel (Berger et Bernholc). Cela dit, et surtout dans la deuxième partie, j’ai cru noter comme une prééminence de guitares un peu funky FM… La version de Ziggy en guitare-voix par Alex Montembault (alias Marie-Jeanne) est un enchantement. Et on salue la production d’avoir joué la carte de l’ouverture d’esprit envers une personne qui se définit comme non-binaire – détail qu’on a presque honte de souligner ici. La modernité de ce spectacle n’est donc pas que dans les effets spéciaux… même si on retiendra aussi la scène de l’enlèvement de Cristal par Johnny Rockfort, qui commence en live et se poursuit sur écrans dans un stylisme noir et blanc digne d’une pub pour un parfum, pas désagréable pour autant.

On parle beaucoup de dystopie, du côté prophétique et visionnaire de Starmania. Le monde a quelque peu changé en 40 ans et il ressemble hélas dangereusement à celui imaginé par Michel Berger et Luc Plamondon, avec une actualité brûlante en ce soir de première : aux États-Unis, le sort de Joe Biden est menacé par des “baby Trump”. Au vu des résultats de ces midterms, la réalité sera moins terrible que la fiction. Pour le moment…
 
Lorsque la tour est détruite, je repense à l’anecdote de Christopher Stills, ado accompagnant sa célèbre mère voir Starmania en 1989 : aveuglé par les lumières figurant l’explosion finale, il est resté quelques secondes à se demander s’il pourrait recouvrer la vue…
 

Les tableaux de la fin ramènent de la douceur et jouent la carte de l’allégorie. La fumée de l’explosion de la tour se change en nuages sur fond de ciel bleu alors que s’élève la voix angélique de Marie-Jeanne. “Stone, le monde est stone…”
 
Rituel des saluts. Standing ovation. Tout le monde est là, y compris un fragile Luc Plamondon, main sur le cœur sous un immense portrait de Michel Berger signé Dominique Issermann. On ramasse machinalement un des confettis roses jetés à la fin de la première partie avant de sortir. Je n’avais encore jamais vu Starmania, curieusement pas très intéressé par la première version et pas davantage par les deux suivantes. Celle-ci est donc une première à tout point de vue, très convaincante et qui donnerait presque envie d’y retourner… 
 
Ce qui fut fait mi-décembre (en compagnie de Véronique). Même ressenti, avec l’impression que de légers changements avaient été opérés dans la deuxième partie. Et toujours cette impression de gigantisme, d’écrasement, si puissants qu’on reste spectateur jusqu’à la toute fin où l’on s’autorise enfin à applaudir…