• The Divine Comedy / 1996

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LE DIVIN COMÉDIEN
JOUE LES CASANOVA

publié
le 19 avril 1996 dans Le Quotidien de Paris


Retour sous les projecteurs de Divine Comedy avec un album de printemps. Costumé en Casanova, le jeune Irlandais plein de panache a mis en musique les meilleures pages de son journal de séducteur. Ce qui ne devrait pas manquer d'asseoir une popularité déjà importante en France.

Curieux personnage que ce Neil Hannon, autoproclamé The Divine Comedy : auteur-compositeur-interprète au teint pâle, peigné comme un enfant sage. Fraîchement tombé du nid, à première vue. En vérité – et pour résumer – un bouillonnant ego et son univers d’ingéniosités nourri par quelques références classiques et chapeauté d’un sypathique sens de la dérision.

Esthète perfectionniste (mais jamais précieux), incurable romantique (mais jamais mièvre), le divin comédien s’est imposé en France dès 1992, sans clips, CD 2 titres, ni remixes dance. Deux copieux albums, Liberation et Promenade (sur la pochette duquel il pose fièrement devant la pyramide du Louvre) auront suffi à lui accorder les faveurs d’un public d’âge tendre fréquentant la fac de lettres. En concert, où la moindre de ses facéties fait mouche, on peut voir des jeunes filles se pousser du coude en riant. Tout cela avec un charme délicieux ; comme si le grunge et le rap ne s’étaient jamais abattus sur la planète pop.

« Des conneries ! L’art est mort ! »

S’inscrivant dans la plus pure tradition du récital d’antan, il était à Paris début mars pour présenter les nouvelles chansons qui composent « Casanova », son troisième album, dans les bacs ces jours-ci. Occasion de surprendre une foule exemplaire de discipline (à peine un sifflet après une bonne heure de retard) : l’homme, qui avait à cœur de rendre à un art jugé mineur ses lettres de noblesse, allait esquisser sous nos yeux hagards un spectaculaire pas en arrière, louchant effrontément du côté de la scène brit-pop. Plus de cordes ni de piano. En lieu et place, une formation rock basique (claviers, batterie, basse, guitare), flanquée d’un Hammond qui ira jusqu’à susciter un certain agacement chez le petit maître, demandant lors des présentations qu’on l’aplaudisse « quand même ».

Malgré tout, les anciens titres revisités rock sont convaincants, rythmés par un batteur de haut niveau. Mais Neil, engoncé dans son costume cravate plutôt neutre, ressemble assez peu à l’idée qu’on se ferait d’un Casanova moderne. Feignant l’innocence, il est pourtant habile à charmer le beau sexe, lâchant, l’air de ne pas y toucher, de petites réflexions franchement humoristiques ou vaguement provocatrices (comme sa réaction au Cercle de Minuit où, espiègle, il glissait : « Des conneries ! L’art est mort ! » avant d’attaquer Tonight we fly). Pour ceux et celles qui l’auraient raté, session de rattrapage à Paris à la Cigale le 10 juin.


L’album s’ouvre sur des gloussements de jeunes filles, rougissantes devant le grand méchant séducteur leur proposant la botte sans vergogne aucune. La mélodie démarre en trombe, joyeuse. Très vite, le ton est donné : adieu queues de pie et violoncelles, passez vos colliers de fleurs et rendez-vous sur le pont pour une croisière de rêve. Brillant architecte, Divine Comedy a toujours su charpenter ses œuvres : quelques mots échangés faisant office d’ouverture, coupés par une mélodie propre à entraîner les chansons comme autant de wagons affolés sur un grand huit, et une clôture en bonne et due forme : cette fois-ci, empruntant la voix d’un présentateur ringard, Joby (un des musiciens) désannonce l’album avant d’inroduire le Theme from Casanova, une franckpourcellererie qui ferait passer le générique des Feux de l’amour pour les Concertos Brandebourgeois.

Néanmoins, ne nous y trompons pas. Ici, pas de deuxième degré façon easy listening, cette énième pseudo-nouvelle vague que certains médias paresseux tentent mollement de nous imposer. Bien que prétendant au titre de ce qu’on appelait dans les années 80 the next big thing, Divine Comedy n’entend pas ratisser aussi large. D’où une autodestruction systématique dès que la mélodie se fait trop emmiellée et qu’on pourrait imaginer Neil arborant un sourire niais dans un clip façon Pierre et Gilles. Ce sont les moments que l’on préférera, ceux où la mélodie s’emballe sans crier gare, le temps d’un pont, empêchant une éventuelle lassitude. Jusqu’à « Charge » dans lequel la démesure l’emporte pour de bon et où il déverse enfin la violence difficilement contenue jusque-là (gravant pour la première fois ses aigus, découverts live sur la reprise du Wuthering Heights de Kate Bush).


« Je veux rendre les gens heureux » 

Si les abums précédents ont pu paraître quelque peu indigestes (l’impression d’avaler, tout droit sortis du mixer, une crème forcément anglaise, un coulis de framboise, de la glace à la vanille, une sauce chocolat et un peu de crème de marrons), la production de Casanova joue la carte de la légèreté inventive. Neil a bénéficié de somptueux crédits (grâce à son collègue Edwyn Collins et son tube A girl like you) et a pu, tel un gosse émerveillé, s’en donner à cœur joie (effets spéciaux en tout genre).

Ultime pirouette : Neil ôte le masque du fameux séducteur et va pour le dernier titre retrouver ses rêves de grandeur : Dogs and horses, hommage appuyé et sincère à un Scott Walker millésimé fin des années 60. « Avec ce titre, j’ai eu pour la première fois à ma disposition un véritable orchestre. C’était un rêve devenu réalité. Dans ma cabine d’enregistrement, je me disais : ça y est, je suis Scott Walker ! ».

Bien sûr, sinon la voix, l’intention est bel et bien là, et c’est en vain qu’on chercherait d’évidentes preuves de plagiat. Bel effort.

« J’écris des chansons joyeuses de quatre minutes avec des refrains et des couplets et je veux rendre les gens heureux » : souhait exaucé. Après plusieurs écoutes, on s’aperçoit que ces mélodies sont agréables à fredonner, à même d’accompagner notre vie quotidienne. Que demander de plus ?

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