• Mark Eitzel / 1996


MARK EITZEL EN SOLITAIRE

publié
le 16 mai 1996 dans Le Quotidien de Paris

Conteur sensible, le chanteur américain Mark Eitzel se penche sur ses souvenirs amoureux. 60 Watt Silver Lining, son premier slbum solo, est une collection de chroniques qui sait charmer l’oreille.
A découvrir.

Bien sûr, on pourrait énumérer une liste riche de flatteuses références, faire jaillir des myriades de superlatifs comme autant de lieux communs, d’alibis pour prévenir une éventuelle interprétation hors-sujet. Il y a peut-être mieux à faire. Extraire l’objet de tout contexte. L’isoler pour le mettre sous la lumière, comme pour le magnifier.

A titre tout à fait exceptionnel donc, faisons table rase du passé de Mark Eitzel (dix années au sein de l’American Music Club : en France, qui s’en souvient ?) pour ne nous attacher qu’au présent. Néo-virginité. « Mon départ du groupe a bouleversé ma conseption des choses. maintenant, tout est possible. » 60 Watt Silver Lining ou le disque d’un homme solitaire, sans artifice, débarassé de références.

Visuellement, l’objet est sobre. En couverture, un cliché signé Mark Eitzel lui-même, traité façon sépia, celui d’un bateau en pleine mer obliqué de façon optimiste. Le ton est donné : l’homme va prendre la mer, se jeter à l’eau. Rarement le mot solo n’aura trouvé un tel écho que dans cette aventure (intérieure). Mark Eitzel est un homme profondément seul. Depuis les bars de San Francisco où il passe bon nombre de ses soirées, il se penche sur ses souvenirs amoureux, regarde évoluer ses contemporains ; on l’imagine griffonnant quelques note sur un carnet, un demi-sourire aux lèvres. L’héroïsme est ici de ne jamais céder à la complaisance et d’appeler la solitude ou le désespoir par leur prénom.

Invitation à l’indolence

60 Watt Silver Lining est un album avec états d’âme, vite apprivoisé. A peine échappé des enceintes, et grâce à une production transparente comme l’eau claire, il tourne dans votre intérieur, cherche ses repères, caresse les objets familiers, envahit peu à peu l’espace. « Un cœur vide est une maison vide / remplie de vieux fantômes ».

S’il oscille entre une vraie gravité aux accents néo-jazzy façon Billie Holiday et une certaine légèreté apparente, l’ensemble est souvent nuancé par un sens de l’humour et du détail.

Homme plein de précaution, Mark Eitzel introduit chaque titre de quelques notes sur le livret, entre anecdote et désir enfantin (« Je veux que Barbra Streisand en fasse une reprise. Vraiment ! », écrit-il à propos de Saved, par ailleurs hommage à Burt Bacharach).

Mission Rock-Resort a été écrit pour une amie qui, à peine sortie de l’hôpital où elle faisait soigner ses lésions laissées par des injections, replonge dans la drogue.

When My Plane Finally Goes Down s’étire langoureusement sur fond de crépitement de feux de bois, la voix désincarnée évoquant la plainte ; la plupart du temps, libre, elle flotte comme en apesanteur, choisissant une syllabe ou un mot entier pour l’étirer, puis le relâcher, anamorphosé. Elle s’emporte peu.
Il faut saluer la trompette de Mark Isham, crépusculaire, le piano et les percussions, très présents ; Mark Eitzel sait cultiver l’art du pont, comme pour leur rendre hommage.

Peu avant la fin du voyage, Southend on Sea, anachronisme bienvenu, ferait un hit single tout à fait crédible et nous place devant une évidence : même si ce bateau semble bizarrement construit (une reprise pour ouvrir l’abum), il ne sombrera pas. L’énergie qui en émerge est malgré tout positive. Une invitation à l’indolence, idéale en fin de journée, à écouter seul ou bien accompagné.

Dernière étape, Everything is Beautiful est un titre somnambule écrit pour l’adaptation à l’écran d’un livre de Peter Handke (qui n’a pas encore vu le jour faute de moyens) après lequel le silence s’impose.

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