• Véronique Sanson / 1979

Chronique d’un concert à l’Olympia 
parue dans Harmonies n°3 (hiver 1979)
 
© APS Médias/Abacapress

Olympia

21 h 30. La salle est pleine à craquer. Après quelques pubs, les lumières s’éteignent. Les murmures cessent instantanément. “Venu de Tucson, Arizona, le Bob Meighan Band !”. Apparaissent six musiciens qui vont brièvement assurer le lever de rideau. Pour commencer, un morceau sans texte, pas mal du tout, puis quatre chansons. Si dans le public tout le monde ou presque attend Véronique et râle dès que le groupe entonne un nouveau titre, personne ne reste insensible à cette musique superbe, et chaque rythme le tempo, qui de ses mains, qui de ses pieds. Puis soudain le silence. 

Grâce aux jeux de lumières bleutées, la scène ressemble à une clairière cachée au beau milieu d’un bois. Une note de synthétiseur s’échappe, puis s’amplifie et tout à coup les guitares s’enflamment et jouent une intro que tout le monde reconnaît malgré son rythme rapide, celle de Pour qui. D’ailleurs, arborant un superbe Borsalino blanc cassé, voici venir Véronique, un long foulard noir à paillettes artistiquement drapé sur son corsage blanc, portant un pantalon de cuir noir. Elle s’assoit sagement au piano. “Ce soir on va bien s’amuser”, lance-t-elle à la salle. Qui en douterait ? Un concert de Véro, c’est un moment merveilleux. 2 000 personnes ayant en commun le même “idéal musical” se sont donné rendez-vous dans cet endroit pour vibrer au son de sa voix. Voix à propos de laquelle tout a déjà été dit. Difficile d’être original… Disons simplement que la gorge de Véronique recèle un trésor fabuleux : une gamme de voix infinie, du murmure de ruisseau à l’ouragan. Besoin de personne, Une nuit sur son épaule, Le maudit se succèdent rapidement. Trop peut-être : lorsqu’elle repart en coulisse, on a l’impression qu’elle venait tout juste d’arriver.

© Christine Neveu

L’entracte est bien long. Dans le hall, on entend le live de 76 : c’est du matraquage !

Enfin tout le monde se rassoit. Véro revient, mais sans ses musiciens. On devine que ce sont ses moments préférés, ceux où elle peut se faire plaisir, se chanter des chansons douces. La partie instrumentale n’étant assurée que par ses doigts, elle est poussée à innover : quelques accords de blues dans Redoutable et ce changement de rythme pour “Tu danses, tu saisis une pensée bleu-rouge” que j’avais déjà apprécié dans les concerts précédents et qui s’affine d’année en année. Seule au piano, elle n’est plus sur la scène de l’Olympia : toute la salle, sous le charme, décolle avec elle. Personne ne serait déçu si elle finissait le concert ainsi. 

Toutes les pensées, tous les rêves s’élèvent dans les airs pour former un nuage dense au-dessus de la scène. Et soudain, c’est l’orage. Un premier éclair – assez doux : Mi-maître, mi-esclave où le saxo s’en donne à cœur joie. Puis Véronique se métamorphose : elle enfile un beau masque de démon, rejette avec arrogance  sa crinière blonde, force sa voix, arrangue la foule, hurlant ses textes sur un fond musical somptueux. Chaque instrument, la soutient en émettant la note qui convient au moment où il le faut. Ainsi stimulée, Véro nous offre des versions live vraiment parfaites, notamment Mariavah, bien qu’elle ait supprimé le passage où sa voix et celle d’Eric Estève se faisaient écho. 

Coup de tonnerre, très attendu : Véro attrape sa guitare électrique,  se la passe autour du cou et c’est On attend là-bas. La foule est en délire. Encore une chanson et elle dit – hypocritement – “Merci et à bientôt”. On a envie de lui dire “À tout de suite”, car chacun sait pertinemment qu’elle ne va pas tarder à revenir… En effet, après que Bob Meighan nous ait exhorté à nous lever, Véro réapparaît sur l’intro géniale de Celui qui n’essaie pas. Tout le monde est debout autour de la scène et danse. C’est dingue ! Sur la scène, Plato T. Jones vient prêter main forte à Éric Estève pour les chœurs. L’ambiance est vraiment extra. Le morceau finit trop vite et Véro regagne les coulisses. Un projecteur blanc illumine le piano : elle reviendra. 

Au lieu de “Une autre, une autre !”, mon voisin qui a déjà vu jouer le film crie “Bahia, Bahia !”. Il a raison, et c’est même un super Bahia, car la salle, surchauffée, applaudit dès qu’elle force sa voix sur les “caresse-moi”. Troisième rappel : Dis-lui de revenir. Sublime. On n’a vraiment pas envie de la laisser partir. 

Hélas, les lumières se rallument. La salle ne se vide cependant pas tout de suite… Espoir vain. À bientôt, Véro. 


 

• Kate Bush / 1979

Chronique du concert du 6 mai 1979
au Théâtre des Champs-Élysées, 
parue dans Harmonies 
n°3 (hiver 1979)
 
© Gered Mankowitz

Une Anglaise à Paris

Une boule en argent scintille dans les airs. Une canne danse toute seule. “Deux dans le même cercueil”, répète une voix d’outre-tombe. Des violons géants et roses dansent. Deux mini-écrans – encadrant une porte ronde et blanche façon soucoupe volante – montrent des paysages étranges. Au milieu de ce décor baroque, somptueux et mystérieux, entre un illusionniste et deux danseurs, ondule une fée. Sa grâce et sa souplesse féline la font évoluer sur scène de façon peu commune.

Cette fée, c’est Kate Bush. Il est assez difficile de classer sa musique. Son répertoire comprend aussi bien des chansons très douces (Feel it, In the Warm Room, ou The Man with the Child in his Eyes) que très rythmiques (Don’t push Your Foot On the Heartbrake). La majeure partie de son “œuvre” se situe cependant entre les deux (Wow, Hammer Horror et surtout le sublime Fullhouse). Ce sont des mélodies soignées à la ligne étrange et qui sonnent de manière inhabituelle à l’oreille. Mais laissons Véronique [Sanson] nous dire elle-même ce qu’elle en pense : “Ah, j’adore ! Sa musique est très riche. Il y a un côté mystérieux et envoûtant qui se dégage de ses disques et qui me plaît beaucoup.”

Kate Bush a 21 ans et elle a donné son premier et unique concert à Paris en mai dernier : Elle a à peine une demie-heure de retard et déjà le public – jeune en majorité – trépigne, manifeste son impatience. Soudain un long hurlement se fait entendre. On dirait qu’un vent très fort souffle dans la salle. L’épais rideau noir tiré, l’ombre gigantesque d’une svelte jeune femme qui danse se découpe sur un écran de soie verte. L’apparition de Kate Bush sur les premiers accords de Moving déclenche une formidable ovation. Libre de tout mouvement grâce à un micro astucieusement placé autour de son cou, elle exécute des contorsions bizarres. Chaque chanson est un mimo-drame dont elle est l’actrice principale. Ce qui donne lieu à de fréquents changements d’éclairage et de costumes : elle se déguise en sorcière, en parachutiste, ou bien enfile une jaquette, un haut de forme ou une combinaison de hors-la-loi ; ce show est conçu de manière à ce que notre œil ne se lasse jamais.


Sa voix ? Elle vous touche plus profond de vous-même, atteint avec une aisance surprenante les sons les plus aigus, même lorsque Kate Bush chante, par exemple, la tête en bas, roulée dans une boîte géante doublée de satin rouge (Room for the Life). Sur scène, ses chansons prennent une dimension nouvelle. Elle est accompagnée des neuf musiciens avec qui elle enregistre, notamment de Del Palmer (à la basse), de Brian Bath (à la lead guitar) et surtout de Duncan Mackay (aux claviers). Elle termine bien sûr son spectacle par Wuthering Heights, son titre le plus célèbre en France, sorti au printemps 78. C’est émergeant de la nappe de fumée qui recouvre la scène qu’elle incarne Cathy, hantant les Hauts de Hurlevent à la recherche d’Heathcliff.

Il y a dans ce show parfaitement rodé des moments d’une si bouleversante intensité qu’on les voudrait éternels. On a envie de savoir de quelle planète descend cet être qui met ces fantasmes et son imagination délirante au service de la musique, et on se demande, la lumière allumée, si ce mélange de féerie et de sorcellerie, de musique dingue et fantastiquement romantique, n’était pas en fait un merveilleux songe. Diane Dufresne, qui est dans la salle, est enthousiaste.

Si vous en avez l’occasion, embarquez dans la machine à rêves de Kate Bush. En attendant, écoutez ses deux superbes albums (édités chez Sonopresse) : The Kick Inside et Lionheart, dont elle est l’auteur-compositeur-interprète.
 
 
Ajouts 
• Outre Diane Dufresne (aperçue dans le le grand escalier lors de l'entracte), Michel Berger et France Gall ont également assisté à ce concert. 
• Après le dernier rappel, Kate Bush est revenue dire quelques mots en français. Si elle en avait dit un de plus, il aurait été coupé : c’était la fin de la cassette sur laquelle j'ai enregistré le concert, le magnétophone sur mes genoux. On peut l’écouter ici. 
Lionel Florence était un rang ou deux devant moi, mais nous ne connaissions pas à l’époque… 
• J’ai eu la chance de revoir Kate Bush sur scène à Londres en septembre 2014. Chronique à lire ici