Dernier des 4 spectacles parisiens de Gréco au Théâtre des Champs-Elysées. On sait tout de suite que c'est un grand soir : Josyane Savigneau arbore un très élégant haut en lamé noir et s’affiche debout entre Laurence-Marie, fille de Juliette, et Keiko Nakamura, qui a tant fait pour la carrière de Gréco au Japon. Jean-Claude Carrière est au balcon et j'aperçois au premier rang un habitué des dames en noir, que Barbara appelait Lunettes.
Le noir (couleur dominante de toute la soirée) se fait presqu’à l’heure et Juliette Gréco, 82 printemps, trottine jusqu'à son micro qu'elle ne quittera que le devoir accompli, une petite trentaine de chansons plus tard.
Au démarrage, la voix surprend. Absente, dans le souffle, caverneuse. Adieu la sensualité germanopratine, les accents félins. Depuis quelques années, la caricature s'est accentuée... mais pour devenir plus crédible, serait-on tenté de dire. En effet, jeune, Gréco avait un physique de tragédienne. Aujourd'hui, elle en a la tessiture, elle est une tragédienne. Comme à son habitude, elle surjoue les textes, accentue presque chaque mot, précède certaines phrases de grande envolées de manches de velours noir. Les mains s'ouvrent, se referment, habiles alors qu’elle les a toujours jugées « pataudes ».
Les textes, elle les débite d'un seul trait, à chaque fois sur les deux ou trois premières notes de la mélodie, nous laissant tout loisir d'écouter le reste de la composition instrumentale nue, sans texte. ça ressemble à de la provocation, à du théâtre chanté. Elle dit plus qu'elle ne chante. Ce n'est pas nouveau mais ça s'est encore accentué. Et Gérard Jouannest est passé maître dans l'art de raccourcir la mélodie là où elle comprime le texte et réussir malgré tout à placer les petites ponctuations qui vont nous remettre la mélodie originelle dans l'oreille. Son jeu est époustouflant. Du grand art.
Les gestes de Gréco sont également des repères de mémoire. Une gestuelle qui précède les mots, les appelle. Même si, depuis peu, on voit son regard couler vers le prompteur à ses pieds. Pas souvent et apparemment plus pour se rassurer que pour y chercher du secours.
De Gréco sur scène, on retiendra qu'elle n’aura pas fait de spectacles best of, pas de compilation de ses vieilles scies comme dans une spéciale de la Chance aux chansons, mais qu'elle aura toujours pris soin de mêler quelques nouveaux titres et anciens. Outre Je me souviens de tout qui ouvre le récital, suivi d’une chanson écrite par Olivia Ruiz, elle glissera ainsi un titre d’Abd Al Malik (texte difficile pour lequel le prompteur se révélera finalement utile). Mais c’est surtout les classiques que le public attend – d’autant que l’acoustique ne permet pas toujours de découvrir au mieux les nouveaux textes.
Avant Déshabillez-moi (victoire à l’applaudimètre), elle prévient, mutine, « Je sais, je ne devrais pas… ».
A la fin du Né quelque part de Maxime Le Forestier, elle ose ajouter une réponse à la question posée (pour mémoire, « Est-ce que les gens naissent / Egaux en droits /A l'endroit /Où ils naissent »), vibrante et sonore : « Non » !
Incorrigible Juliette... N’est-ce pas elle qui a toujours déclaré « Je suis une femme debout. Même couchée, je suis debout » ?!
« Il paraît que ça fait 60 ans que je chante, annonce-t-elle ingénument, avant une chanson de Marie Nimier et Thierry Illouz. Je ne m’en suis pas aperçue. Un jour, j'ai mis ma main dans la vôtre et vous ne l'avez pas lâchée. » Applaudissements.
La chanson des vieux amants nous redonnera un peu de sa voix chantée, dans les refrains.
Puis vient le redoutable J’arrive de Brel, exercice obligé et toujours périlleux, « un dialogue avec la mort », comme elle l’annonce à chaque fois. L’émotion est palpable, renforcée par les éclairages crus et changeants (sur les J’arrive). Mais Juliette n’aime pas être là où on l'attend. Elle veut être toujours ce bel animal libre, instinctif, qui lâchera ses « J’arrive » quand elle le voudra, surprenant son pianiste de mari et l’éclairagiste à chaque fois. C’est une réussite et la première standing ovation, lancée des premiers rangs par sa fille.
Elle finira par ce qui devient dans sa bouche Ne m'quitt'pas, exécuté au grand galop (la durée d’origine de la chanson sans doute réduite de deux tiers). Et ne reviendra, encadrée de son accordéoniste et de Gérard Jouannest que pour saluer, 4 ou 5 fois de suite avec ces gestes tellement symboliques et bien trouvés : soit elle fait mine de recueillir toutes ces vagues d’amour pour s’en dorloter, se berçant dans ses propres bras les yeux clos, soit elle prend d'abord l’air surpris puis nous envoie des baisers, esquissant une humble révérence dont elle se relève la dernière fois en vacillant, ce qui la fait rire et la fait se raccrocher à son mari.
Le mythe Gréco existe encore bel et bien. Très sophistiquée en interview, d’un bel éclat brut sur scène, indomptable militante et irrésistible séductrice. Qui l'aime la suive...
Le noir (couleur dominante de toute la soirée) se fait presqu’à l’heure et Juliette Gréco, 82 printemps, trottine jusqu'à son micro qu'elle ne quittera que le devoir accompli, une petite trentaine de chansons plus tard.
Au démarrage, la voix surprend. Absente, dans le souffle, caverneuse. Adieu la sensualité germanopratine, les accents félins. Depuis quelques années, la caricature s'est accentuée... mais pour devenir plus crédible, serait-on tenté de dire. En effet, jeune, Gréco avait un physique de tragédienne. Aujourd'hui, elle en a la tessiture, elle est une tragédienne. Comme à son habitude, elle surjoue les textes, accentue presque chaque mot, précède certaines phrases de grande envolées de manches de velours noir. Les mains s'ouvrent, se referment, habiles alors qu’elle les a toujours jugées « pataudes ».
Les textes, elle les débite d'un seul trait, à chaque fois sur les deux ou trois premières notes de la mélodie, nous laissant tout loisir d'écouter le reste de la composition instrumentale nue, sans texte. ça ressemble à de la provocation, à du théâtre chanté. Elle dit plus qu'elle ne chante. Ce n'est pas nouveau mais ça s'est encore accentué. Et Gérard Jouannest est passé maître dans l'art de raccourcir la mélodie là où elle comprime le texte et réussir malgré tout à placer les petites ponctuations qui vont nous remettre la mélodie originelle dans l'oreille. Son jeu est époustouflant. Du grand art.
Les gestes de Gréco sont également des repères de mémoire. Une gestuelle qui précède les mots, les appelle. Même si, depuis peu, on voit son regard couler vers le prompteur à ses pieds. Pas souvent et apparemment plus pour se rassurer que pour y chercher du secours.
De Gréco sur scène, on retiendra qu'elle n’aura pas fait de spectacles best of, pas de compilation de ses vieilles scies comme dans une spéciale de la Chance aux chansons, mais qu'elle aura toujours pris soin de mêler quelques nouveaux titres et anciens. Outre Je me souviens de tout qui ouvre le récital, suivi d’une chanson écrite par Olivia Ruiz, elle glissera ainsi un titre d’Abd Al Malik (texte difficile pour lequel le prompteur se révélera finalement utile). Mais c’est surtout les classiques que le public attend – d’autant que l’acoustique ne permet pas toujours de découvrir au mieux les nouveaux textes.
Avant Déshabillez-moi (victoire à l’applaudimètre), elle prévient, mutine, « Je sais, je ne devrais pas… ».
A la fin du Né quelque part de Maxime Le Forestier, elle ose ajouter une réponse à la question posée (pour mémoire, « Est-ce que les gens naissent / Egaux en droits /A l'endroit /Où ils naissent »), vibrante et sonore : « Non » !
Incorrigible Juliette... N’est-ce pas elle qui a toujours déclaré « Je suis une femme debout. Même couchée, je suis debout » ?!
« Il paraît que ça fait 60 ans que je chante, annonce-t-elle ingénument, avant une chanson de Marie Nimier et Thierry Illouz. Je ne m’en suis pas aperçue. Un jour, j'ai mis ma main dans la vôtre et vous ne l'avez pas lâchée. » Applaudissements.
La chanson des vieux amants nous redonnera un peu de sa voix chantée, dans les refrains.
Puis vient le redoutable J’arrive de Brel, exercice obligé et toujours périlleux, « un dialogue avec la mort », comme elle l’annonce à chaque fois. L’émotion est palpable, renforcée par les éclairages crus et changeants (sur les J’arrive). Mais Juliette n’aime pas être là où on l'attend. Elle veut être toujours ce bel animal libre, instinctif, qui lâchera ses « J’arrive » quand elle le voudra, surprenant son pianiste de mari et l’éclairagiste à chaque fois. C’est une réussite et la première standing ovation, lancée des premiers rangs par sa fille.
Elle finira par ce qui devient dans sa bouche Ne m'quitt'pas, exécuté au grand galop (la durée d’origine de la chanson sans doute réduite de deux tiers). Et ne reviendra, encadrée de son accordéoniste et de Gérard Jouannest que pour saluer, 4 ou 5 fois de suite avec ces gestes tellement symboliques et bien trouvés : soit elle fait mine de recueillir toutes ces vagues d’amour pour s’en dorloter, se berçant dans ses propres bras les yeux clos, soit elle prend d'abord l’air surpris puis nous envoie des baisers, esquissant une humble révérence dont elle se relève la dernière fois en vacillant, ce qui la fait rire et la fait se raccrocher à son mari.
Le mythe Gréco existe encore bel et bien. Très sophistiquée en interview, d’un bel éclat brut sur scène, indomptable militante et irrésistible séductrice. Qui l'aime la suive...
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