• Chris Stills | 2018

Chris Stills,
Rupture Store, Paris
12 février 2018
   
Le Petite Amour, alias Rupture Store, est un joli café dans lequel on peut boire des coups bien sûr, mais aussi acheter des disques, et même faire de la musique… jusqu’à 21 h 30. Chris Stills y a déjà joué début janvier (lire CR de Frédéric Dagneau ici). Ce soir, deux concerts sont annoncés, à des horaires variables. Le mieux est encore d’aller voir ce qu’il en est…  
À 19 h l’endroit compte déjà quelques clients, tous assis aux meilleures places, mais la scène est vide. On salue Franck Bardou (et la fidèle Marino) ainsi que de sympathiques habitués des premiers rangs des concerts de Véronique, quand débarque Bernard Swell (Bernie pour les intimes), flanqué de sa petite chienne Tiger Lilly. Il donne des nouvelles de son groupe The Lazy Bees, qu’on a vu jouer ici même, et dont un des membres arrivera un peu plus tard. Katia Miramon (qui fut l’assistante de Véronique au début des années 1980) le rejoint, accompagnée par Abel Jafri (à l’affiche cette semaine dans Voyoucratie). Petit à petit, le niveau sonore monte alors que David Bowie s’époumone à l’arrière-plan. Sur le comptoir, on découvre enfin des exemplaires du fameux CD “Don’t be afraid”, si difficile à débusquer en magasin depuis sa sortie officielle (2 février). Une PLV reprend le visuel de l’album et annonce le concert de Chris Stills au Café de la Danse le 26 avril, ainsi que les deux soirs à la Seine Musicale, en ouverture de Véronique.

 © Frédéric Dagneau

Peu avant 20 h, entrée de Christopher Sanson Stills, blouson de cuir à bandes blanches, chapeau à plume (discrète, la plume) et belle gueule bronzée. Il s’installe au fond de la salle et – surprise – attaque acoustique… avec 100 Year Thing – belle chanson, véritable démonstration de virtuosité vocale et guitaristique, mais qui ne parle pas forcément à tout le monde et surtout qui ne fait pas partie de l’album qu’il est sensé présenter ce soir. Gros succès quand même à l’applaudimètre grâce à la participation active du public pour rythmer le solo crescendo de la fin. Tandis qu’il accorde sa guitare (avec son smartphone ?), rêvant à voix haute d’une grande production où on lui apporterait des guitares déjà “tunées”, il explique qu’en plaçant ses doigts de telle façon, ça donne ceci puis cela, glissant tout naturellement vers l’intro d’Eleanor Rigby. Et là on imagine son producteur quittant la salle avec de la fumée lui sortant par les naseaux, tel De Mesmaeker chez Gaston Lagaffe ! Quoi ? Encore une chanson qui ne fait pas partie de l’album ! Sauf que tout va vraiment bien. En fait, pour annoncer les concerts de Chris, il n’est pas utile de s’encombrer de détails à propos d’un CD, ni bien sûr de rappeler de qui il est le fiston (non, j’l’ai pas dit), le mieux est encore ce qu’il écrit lui-même sur les réseaux : Come and join for a night of fun and music!
Quelques longues secondes encore à accorder l’instrument (“Nearly there, I swear!”), et il s’inquiète : How does it sound? It's sounds ok? Quel dommage que sa mère ne soit pas là, qui se serait levée d’un bond pour s’écrier : “En français !” :-) 


Vient maintenant le langoureux Leaving You Behind, poignante histoire d’un père divorcé qui laisse ses enfants derrière lui (et accessoirement premier titre joué ce soir du nouvel album). Changement de tempo ensuite avec ce Criminal Mind écrit sur “most of the women in my life”… La version acoustique est tout bonnement bluffante et, qu’on ait ou pas croisé ce type de personnes dans sa vie, on reprend tous en chœur les Woho hoho du refrain. Solidarité contagieuse. On ne peut s’empêcher de penser que si ce titre était sorti en single du temps où les singles existaient encore, Chris remplirait des stades à lui tout seul aujourd’hui. Pas certain pourtant que ça ait été un jour son ambition…

Arrivée de David Saw, nouveau complice, frère en harmonies vocales et excellent guitariste, également chapeauté. Chris raconte que quand ils se sont rencontrés, ils ont joué ensemble le genre de titres qui va suivre et se sont rendu compte instantanément que leur voix se mariaient carrément bien. Confirmation générale sur un très joli So Sad (des Everly Brothers), avant un dernier titre de la première partie de ce double set : Daddy’s little Girl ou l’éternelle histoire du père qui redoute le moment où il verra partir sa fille vers un autre homme (certains soirs à l’Olympia il a poussé l’honnêteté jusqu’à ajouter “ou vers une femme”), même si – inversion de situation due au passage du temps – il a certainement dû être ce jeune homme vers lequel courait une fille…  
Break de 10 minutes. Chris promet de revenir pour faire du bruit cette fois !

On jette un coup d’œil aux 33 tours sur les murs. Du beau monde, et cette girafe dans la neige qui nous fait de l’œil à côté de Stills père à la guitare. Un jouet de Titou ? Peut-être, mais à l’origine plutôt un message adressé à Rita Coolidge d’après ce qu’on peut lire ici. Pas très loin, il y a Véronique souriante en tee-shirt bleu. Katia se souvient bien de la séance photo pour le 7ème à Los Angeles, rendez-vous décalé de deux jours parce que Véronique était allée faire du bateau en plein soleil… On songe à cette scène du film My Own Private Idaho où des couvertures de magazines s’animent et où les mannequins dialoguent entre eux. Que se diraient Véronique et Stephen, eux qui ne sont physiquement là ni l’un ni l’autre… ?

© Julien Tricard

Retour du héros du jour, dans une formation basse-batterie-guitare(s)-clavier cette fois (Christopher Thomas et Larry Ciancia en sus). Il présente son cousin Julien Tricard, assis au premier rang, et invite à venir s’asseoir plus près : il y a des chaises vides pile devant lui. “Don’t be afraid”, lance-t-il pour faire un parfait placement promo ! Trop tard, on est bien installés dos à la vitrine et avec un peu de chance, on finira stoned again : il y a un peu d’air qui passe et ça sent grave le shit… Or personne ne fume dans le café… On se retourne pour découvrir dehors deux consommateurs intrigués par la musique… 
À l’autre bout du café, That’s Cool aussi, titre d’une chanson qui aurait tout à fait pu figurer sur le nouvel album, suivi de l’excellent Hellfire Baby Jane, “Cause there ain’t no better condition/Than when I lose my self control”. On ne quitte pas cette belle ambiance californienne avec l’aérien This Summer Love, popsong parfaite qui se révèle plus riche à chaque écoute. Chris n’a pas le temps de finir ses phrases pour la présenter : dans la salle, certains ont déjà vu jouer le film et le font pour lui. 

La setlist semble finalement pensée comme un roman, avec les trois titres suivants qui justifieraient à eux seuls l’achat du nouveau CD. On plonge d’abord dans les affres d’une histoire d’amour finissante avec In the Meantime, avant le magnifique Lonely Nights pour lequel Chris délaisse sa guitare pour aller tâter du clavier sur ce titre qui convoque l’Elton John des débuts ainsi que les Queen. Une véritable prouesse puisque tout se tient et qu’à l’arrivée, occupé à battre la mesure sur la table devant soi, on n’entend rien d’autre que du Chris Stills. L’histoire se poursuit avec une certaine logique : In Love Again, avec la voix de Chris au début rappelant celle de Rufus Wainwright. C’est le retour de l’amour mais il y a un hic : “I’m frightened”. Christopher est honnête et touchant. Même pas peur d’avouer qu’en homme blessé, il n’est pas franchement à l’aise à l’idée de se lancer dans une nouvelle histoire d’amour : ”With an endless pain / That keeps hanging on / How could I love anyone?”
 
David Saw, qui vient de se distinguer par son picking sur In Love Again, propose maintenant un titre à lui, One More Time, hit en puissance repris sans problème par la salle, avec Chris aux claviers et aux chœurs. 
Au micro, on appelle maintenant du renfort pour une petite protest song. Bernie, chaud bouillant, ne se fait pas prier pour donner de la voix sur le toujours nécessaire Ohio de Neil Young. “Four dead in Ohio”, 4 étudiants tués par l’armée lors d’une manifestation en 1970… Le temps n’existe plus, on ne sait plus ni où on est, ni en quelle année, et c’est très bien ainsi. 

Final en apothéose rock : Revolution (qui ne figure pas sur l’album – et pourquoi ?) et Blame Game, écrit par un Chris Stills consterné au moment de l’élection de Donald Trump : “Never in my lifetime did I ever fear / That the land of the free / Would elect a bigot fascist leader”… Même si on peut tous s’exprimer un peu partout, ça fait du bien de voir un artiste se positionner, cracher sa rage face à une situation qui n’aurait jamais dû arriver. Les artistes sont là pour nous représenter, dire mieux que nous et surtout tout haut ce qui nous trotte dans la tête.


Le CD est en vente sur place, chacun s’approche du fond du café. Chris joue le jeu des dédicaces et des photos qu’il transforme habilement en selfies, prenant lui-même la photo à bout de bras, façon assez maline de vérifier l’angle, la lumière et le sourire. Pas con !  
Au comptoir, Julien en dit plus sur l’avancement de son projet de film biopic de Véronique. Katia veut une photo avec Titou. On s’exécute. 




On rejoint les rues de Paris en 2018. Une fois de plus, Chris Stills a confirmé tout le bien qu’on pense de lui, de ses compositions, de ses textes. On attend la suite avec impatience, certain qu’il a encore des dizaines de chansons dans sa guitare, dans le ventre de son piano…  


> Les crédits de l’album sont sur l’excellent site Discogs ici 
> De nombreuses vidéos du concert sont sur la page Facebook de Frédéric Dagneau 

À noter : sortie en France le 21 février de Moi, Tonya. On y entend la reprise de “How Can You Mend a Broken Heart” des Bee Gees par Chris (arrangement de Mark Batson). En vidéo ici
 © Vivien Killilea/Getty Images North America