Michel Berger, Véronique Sanson,
Quelques mots d’amour
Tu chantes ton remords,
moi c’est mon regret qui me poursuit…
par YANN MORVAN
Aube
des années 70. Un jeune couple moderne. Ils sont beaux, talentueux,
avec l’envie de dévorer le monde et le rêve d’être à l’avant-garde de la
chanson française. Et ils vont réussir.
Pour
être exact, l’un a ce rêve. L’autre voudrait juste vivre de musique.
Car ce n’est pas le moindre charme de ce couple solaire, ils sont aussi
différents, opposés même, qu’ils sont passionnément amoureux. Un affront
à la graphologie quand on remarque qu’il est pratiquement impossible de
différencier leurs écritures manuscrites ! Il est fourmi, cérébral,
besogneux, ambitieux. Elle est cigale, instinctive, dilettante,
foutraque. Bousculant sans vergogne les règles du yin et du yang (un
symbole qui illustrera l’album de son hommage à elle pour lui), lui un
peu précieux, presque féminin, elle garçon manqué ; il est eau, elle est
feu ; lui de jour, belle de nuit ; il ne fume ni ne boit, elle montre
déjà un penchant pour les excès. Ils sont d’un même milieu bourgeois
parisien où la musique est omniprésente, mais elle enfant chérie d’une
famille intimement soudée, lui démoli dès l’enfance par l’abandon sans
explication du père, blessure impossible à refermer.
Les
nombreuses biographies de Véronique Sanson et de Michel Berger
racontent par le menu leur rencontre, leur complicité musicale et
amoureuse, leur émulation créatrice prolifique, la gémellité de leur
style. Et comment lui, structuré et travailleur, va lui permettre à
elle, outrageusement inspirée et douée, mais terriblement dispersée et
paresseuse, d’accoucher de deux premiers albums d’anthologie qui vont
marquer un tournant dans l’histoire de la chanson en français.
Elles disent aussi comment après leur séparation, un dialogue en chansons se poursuivra pendant près de vingt ans.
Il
faut ici désamorcer une possible controverse, car il y a une histoire
« officielle », que certains tentent d’imposer, au mépris de vérités
moins lisses que les biographes « non autorisés » font émerger. On sait
maintenant qu’après son décès, France Gall, son interprète et sa
compagne depuis près de 18 ans, et la mère de ses deux enfants, aura
tenté, par tous les moyens, de figer l’image d’un couple idéal, en
occultant qu’ils étaient depuis longtemps sentimentalement engagés
ailleurs l’un et l’autre, et que leur album à deux voix Double Jeu – titre auquel on peut donner plus d’une interprétation –, était selon
toute vraisemblance leur dernier projet commun. Réfutant par presse
interposée, quand ce n’est pas en menaçant d’engager des poursuites
juridiques, ceux qui voulaient raconter une autre histoire.
Et
parmi les vérités niées, il y avait aussi celle de la correspondance en
chansons de Michel avec celle qui fut son premier grand amour. Après
ses deux premiers albums à elle, produits par lui, Véronique l’avait
quitté brutalement pour vivre une autre vie, et en avait nourri un
remords tenace, tandis qu’il exprimait regrets et désarroi, à travers
nombre de chansons qui se lamentaient, se suppliaient, se répondaient,
se consolaient, et ce jusqu’au dernier album solo du chanteur en 1990.
Un cas unique à notre connaissance, au moins dans la chanson
francophone. Mais un sujet qui paraît délicat à aborder, au point que
certains biographes mettent en doute la réalité de cette correspondance,
alors même qu’ils en donnent des exemples flagrants, au sein du même
ouvrage.
Dans
un livre récent, supervisé par les ayants droits, qui détaille chaque
chanson composée par Michel, des interprétations farfelues, et
disons-le ridicules, tentent de détourner l’adresse de certains textes
si évidemment inspirés par Véronique.
de Valérie Alamo & Stéphane Deschamps (Hors-collection, 2022)
Il
faut ici clarifier l’aspect « moral » qu’on serait tenté de porter sur
cet échange, certes amoureux, mais purement poétique et chaste, cette
relation épistolaire. Encore une fois, que France ait été l’épouse, la
mère de famille, et l’interprète idéale de Michel, personne ne songerait à le
contester. Qu’ils aient vécu ensemble une magnifique histoire amoureuse
et artistique est une évidence. Et qu’il ait pu continuer à écrire en
pensant à Véronique ne constitue pas une trahison ou un adultère
virtuel. Les artistes nourrissent leur inspiration de leurs blessures
profondes, de leurs douleurs enfouies, plus facilement que de leur
bonheur quotidien. « C’est drôle, France, les enfants […] ne sont
absolument pas ma source d’inspiration. Le couple, le quotidien ne
m’intéressent pas » (1).
Or
si Véronique s’est confiée sur cet échange épistolaire, d’abord dans la
première biographie qui lui était consacrée en 1986 (2), puis plus
précisément après la mort de Michel et surtout au moment de la promotion
de son album D’un papillon à une étoile, où elle chantait certaines des
chansons qu’il lui avait destinées, Michel, lui, s’est très peu exprimé
sur son inspiration en général et sur ce point en particulier. France
s’est donc crue autorisée à nier l’implication de Michel dans cette
correspondance, qui n’aurait été que le fantasme de Véronique, et à
affirmer qu’il n’aurait jamais songé à elle en écrivant ses chansons. Et
quand on lui soumettait des exemples de titres qui immanquablement
faisaient penser à son amour perdu, elle rétorquait que Michel
n’écrivait pas sur quelqu’un en particulier, mais sur les sentiments
humains en général, et que si l’absence et le regret emplissaient son
œuvre, il fallait plutôt se référer à l’abandon de son père ou à la mort
prématurée de son frère. Son argument massue : « C’est [la
correspondance en chansons] son cheval de bataille depuis la sortie de
son album D’un papillon à une étoile, un mythe qu’elle construit. Mais
c’est faux et ridicule ! Je défie quiconque de trouver une interview
dans laquelle Michel déclare qu’il communiquait par chansons interposées
avec elle, ou avec qui que ce soit, d’ailleurs. Quelque chose qui ne
viendrait pas directement de Michel n’aurait pas de valeur. » (3) Façon
aussi de désamorcer le témoignage de plusieurs proches attestant qu’il
évoquait souvent en confidences son amour de jeunesse, proches qui ne
sont pas restés les meilleurs amis de France, et dont on peut aussi
penser qu’ils sont de parti pris.
Elle
défie ? Relevons donc ce défi. La parole de Michel est rare, elle n’est
pas inexistante. D’abord sur son inspiration, il a déclaré : « Je
trouve que l’émotion c’est quelque chose de tellement musical… La
chanson, je crois que c’est vraiment fait au départ pour parler d’amour à
quelqu’un […] C’est sans arrêt autobiographique » (4), « Les sentiments
que je décris sont toujours des sentiments vécus »(1).
Voilà qui devrait suffire à répondre au supposé caractère général, non personnalisé, de son propos.
Ensuite,
cette interview dans Elle, exceptionnelle par cette parole unique : « À
qui je m’adresse ? Pas à France, non ! J’ai chanté pour Véro. Plus
maintenant. Mais un lien entre elle et moi demeurera toujours. Chacun de
notre côté, nous essayons de le briser. Nous nous en débrouillons mal.
C’est un passé en commun. Impossible à décrire. Vous me violez. Non, je
le refuse. » (1).
« J’ai
chanté pour Véro ». Il est difficilement contestable que le premier
album de Michel Berger en 1973 (pochette au cœur brisé, photo du
chanteur effondré dans un coin de pièce tandis que la silhouette floue
d’une petite fille s’éloigne, et presque toutes les paroles de chansons,
ne citons que Ce que la pop-music a fait d’une petite fille) est nourri
quasi uniquement de la douleur de l’abandon qui menace de le frapper ;
rappelons que la composition de ces chansons a lieu alors que Véronique a
déjà montré des velléités de départ, avant son envol définitif.
Françoise Hardy révèle que Message personnel s’inspire à la fois des
tourments amoureux du compositeur avec Véronique et de ceux de la
chanteuse avec Jacques Dutronc. Le deuxième album de Michel (1974) suit
en partie la même inspiration (Quand elle était timide, La chanson
d’adieu, Le bonheur à tout prix…).
On admettra donc que la question qui se pose en réalité n’est pas « Michel a-t-il écrit en pensant à Véronique ? », mais bien « Jusqu’à
quand Michel a-t-il écrit en pensant à Véronique ? ». Comme si le
problème était qu’il ait continué alors qu’il vivait avec France.
« Quand elle dit que Michel a écrit Seras-tu là ? alors que nous
commencions à vivre ensemble, elle laisse penser que Michel était
quelqu’un de malsain » (3).
Après
« J’ai chanté pour Véro », il déclarait donc « Plus maintenant ». On
peut en douter. Les déclarations citées datent de 1981, après la
parution de son album Beauséjour, qui contient C’est pour quelqu’un,
Tout est possible, Attendre, ou Quelques mots d’amour. Et balayons ici
le reproche facile qu’on pourrait nous opposer, de ne prendre dans les
déclarations de Michel que ce qui conforte notre propos et de rejeter ce
qui le dessert, pour admettre, justement à cause de ces soupçons
d’« adultère virtuel » qu’un aveu contraire induirait, « malsain », pour
employer le terme de France, qu’il lui était impossible de déclarer que
son amour de jeunesse nourrissait encore son inspiration, alors qu’il
affichait un – réel – bonheur conjugal. « Mais un lien entre elle et
moi demeurera toujours. » était le plus loin qu’il pouvait décemment
aller. Et sa gêne dans l’évocation de sa relation à distance avec
Véronique est patente (voir la façon dont il se mord les lèvres en
télévision, en 1981 (4) ou en 1990 (5)).
Une
étude détaillée des textes des chansons invite à penser que ce
dialogue, commencé avant même leur séparation (quand elle menace Méfie
toi quand s’allumera l’étincelle / De l’infidèle, il écrit Si tu t’en
vas), ne s’est jamais arrêté.
Bien
sûr personne ne peut parler à la place de Michel Berger. Les poètes ont
leurs secrets, parfois même inconscients, et on sait des explications
de texte contradictoires des vers parfois abscons d’Arthur Rimbaud. Mais
les phrases de Michel sont simples, son histoire privée est connue, et
surtout, les expressions qui répondent directement à des mots adressés
par Véronique trop nombreuses pour être de simples coïncidences. La
continuité jamais démentie du thème du regret et du manque dans son
œuvre trop évidente pour être niée. Du Secret à Où es-tu ?, de
Rendez-vous sur la Cienega à Quelques mots d’amour, de Tant d’amour
perdu à La minute de silence, tant de détails de ses paroles confortent
cette thèse.
Avant
de plonger dans ce vertigineux vortex (pléonasme assumé), arrêtons-nous seulement pour
l’instant sur une plage du dernier album solo, parue en 1990, deux ans
avant la disparition du chanteur : L’un sans l’autre. Comme l’indique le
titre, il s’adresse à une absente, une amante invisible avec
laquelle il a partagé souffrances et bonheurs, avec qui il a appelé la
musique / En mettant notre cœur à nu (musicienne, donc) pour
retrouver un instant magique perdu, noirci des pages comme des
bouteilles à la mer (et autrice), Ces mots qui dansent enfouis en moi /
Qui parlent de toi. Répétons : Ces mots qui dansent enfouis en moi /
Qui parlent de toi. Quelqu’un avec qui cet assassin qui passe
suffit à évoquer le temps, sans le nommer. Ils sont nombreux les auteurs
à avoir usé de cette métaphore, une seule a intitulé une chanson Le
temps est assassin. Qui donc peut être Mon amante invisible / Ma
passion impossible à qui il donne Rendez-vous dans une autre vie ?
(1) Elle, 26 octobre 1981
(2) Véronique Sanson, par Françoise Arnould & Françoise Gerber, éditions Pierre-Marcel Favre, 1986
(3) VSD, 30 novembre 2005
(4) Bonjour bonsoir la nuit, 1er août 1981 (interview par Michel Lancelot)
(5) Étoile Palace, 6 octobre 1990
© Jean-Michel Hérin
La menace
Dès son premier album, où on ne peut encore parler de « messages à Michel » (ils sont ensemble), on devine que cet amour où tout est trop calme n’est pas tout à fait à la hauteur de la folie de Véronique.
Et devant moi celui que j’aime
Mais tout est trop calme
Pas de bruit infernal
Jamais de son original
Sauf celui de mon cœur
Quand il bat en mineur
VÉRONIQUE SANSON – VERT VERT VERT – 1972
S’il te plaît, je voudrais aller à Bahia
Je l’ai bien vu dans la lampe d’Aladin
Je retiendrai deux places dans l’avion
Très loin du son des accordéons
Et je t’aime
Caresse-moi
VÉRONIQUE SANSON – BAHIA – 1972
Et
dans le suivant, en grande partie composé après la rencontre
foudroyante avec Stills, outre les titres qui évoquent directement
l’attirance pour cette nouvelle passion – Comme je l’imagine, De l’autre côté de mon rêve, Une nuit sur son épaule –, une chanson qui pour la première fois s’adresse directement à Michel avec un avertissement très clair :
Si tu restes comme ça jusqu’à la moisson
Assis sur l’édredon
Tu vois bien que ta tête s’endort
Tu vas perdre le temps qu’il te reste encore
Et moi
Pourquoi pas moi ?
Pourquoi rester là ?
Si tu me laisses une seconde
Je m’en irai courir le monde
Et tu sais je suis infidèle
Méfie-toi quand s’allumera l’étincelle
De l’infidèle
VÉRONIQUE SANSON – TOUTE SEULE – 1972
La rupture
La
légende du départ brutal de Véronique à l’automne 1972, pendant
l’enregistrement du deuxième album, a fait long feu. Au fil des
recherches détaillées et des témoignages qui apparaissent, à l’occasion
des biographies publiées ou des portraits télévisés, une chronologie
plus complexe s’est dessinée. Après une rencontre coup de foudre avec
Stephen Stills en mars 1972, s’est ensuivi une cour assidue à distance
du Texan, avant des retrouvailles en octobre, où il est invité par le
staff WEA, Michel en tête, à faire une visite au studio où Véronique
enregistre De l’autre côté de mon rêve. Là commence véritablement leur
histoire amoureuse, par une fugue de plusieurs jours de Véro avec Steve,
autour du 14 octobre, sans doute à Londres ; il y aura d’autres
escapades, mais Véronique continue à assurer ses engagements
professionnels en France et aussi en Allemagne, promos télés et radios,
et galas en première partie de Claude François en novembre-décembre.
Michel l’accompagne au mariage de sa sœur Violaine, le 16 décembre et
ils partent ensemble aux sports d’hiver à La Plagne début février. Ce
n’est que le 20 de ce même mois que Véronique s’envole définitivement
pour New-York retrouver celui qu’elle épousera moins d’un mois plus
tard, alors qu’ils ont finalement jusque-là passé si peu de temps
ensemble, le rockeur désirant sûrement officialiser au plus vite une
envolée passionnelle qu’il sent fragile et possiblement fugace.
Véronique hésitera jusqu’au dernier moment à dire « oui », et confessera
à une proche (Nicoletta) le soir même du mariage, qu’elle aime toujours Michel.
Et
c’est justement au cours de cet automne 1972 passablement mouvementé
que Michel Berger, qui ne pouvait pas ignorer les infidélités de sa
belle, compose les chansons qui formeront son premier album, à la
thématique presque unique, mais déclinée suivant les phases de ses
sentiments :
1/ tu/elle m’a abandonné :
Une vie entière
À cacher mes larmes
Tu gagnes et je perds
Je dépose les armes
Je t'aime encore
Je t'aime vachement fort
Tu fermes les yeux
C'est ton cauchemar
Quand je me réveille
Je t'entends qui pars
Je t'aime encore
Je t'aime vachement fort
MICHEL BERGER – JE T’AIME VACHEMENT FORT – 1973
Pour me comprendre
Il aurait fallu au moins ce soir
Pouvoir surprendre le chemin d'un de mes regards
Triste mais tendre, perdu dans le hasard
Je l'ai connue toute petite
Dans les bras de sa grand-maman
Dommage, dommage
J'aimais tellement son visage
Il y a peut être quelque part
Un bonheur dont j'aurais eu ma part
Dommage, dommage.
J'aimais tant certains paysages
Pour me comprendre
Il faudrait la connaître mieux
Que je ne pourrais
Il faudrait l'aimer plus que moi
Et je vous dirais
Que je n'y crois vraiment pas
Pour me comprendre
Il faudrait avoir rencontré
L'amour le vrai
Vous comprenez le grand amour
Et savoir qu'après
À quoi sert de vivre encore un jour
MICHEL BERGER – POUR ME COMPRENDRE – 1973
Demain, demain
Mon chagrin, chagrin
Sera parti, sera loin
Demain, demain
Je saurai très bien
Reconnaître mon chemin
Tu m'auras simplement laissé
Une certaine façon d'embrasser
Deux ou trois colères effacées
Par quelques moments d'amour vrai
Tu m'auras simplement laissé
Une certaine façon d'exister
Deux ou trois fous rires à pleurer
Et quelques moments d'amour vrai
Demain la fièvre de tes lèvres
Sera pour un autre que moi
Je réveillerai d'autres rêves
Où tu n'es rien, où tu n'es pas
Tu m'auras simplement laissé
Quelques belles phrases éparpillées
Sur la vie et la volonté
Et quelques moments d'amour vrai
Pourtant
J'avais espéré un moment
J'avais espéré autre chose
Autrement
Pourtant
J'avais espéré bien souvent
Vivre un bonheur différent
Autrement
MICHEL BERGER – DEMAIN – 1973
2/ tu/elle est revenue :
J'ai bien cru ne plus jamais revoir
La couleur de la mer, le soir
Je reviens de loin
Si vous n'en croyez rien
Demandez à mon ange gardien
Je pleurais du matin au soir
Et j'avais perdu tout espoir
Ma vie entière était bercée par le hasard
Et maintenant,
La vie comme une ombrelle
Maintenant
M’a repris sous son aile
Et je n'aime qu'elle comme avant
MICHEL BERGER – JE REVIENS DE LOIN – 1973
il faut nous reconstruire, aide-moi :
Beaucoup de jours sont passés
Depuis le jour où je t'ai dit
Que je t'aimais
Des jours de froid, des jours d'été
Passés à rire ou à pleurer
À pleurer
Donne-moi du courage
Maintenant
Toi seule, tu connais les accords
Vas-y rejoue-les moi encore
Et encore
Donne-moi du courage
Maintenant
Je me souviens seulement que l'on riait toujours
En jouant, en chantant toutes nos chansons d'amour
C'est maintenant que j'ai besoin
D'une présence et d'un soutien
D'un soutien
Il faut que tu sois près de moi
Que je te sente vraiment là
Contre moi
MICHEL BERGER – DONNE-MOI DU COURAGE – 1973
je
ferai tous les efforts pour être à la hauteur de la folie qui te manque
(le mot fou revient à plusieurs reprises) et réaliser tes désirs (Bahia
ou Bali, même combat) :
Demain ce sera peut-être
L'amour à Bali comme on en rêvait
Demain on dansera peut-être
Le flamenco fou dont tu me parlais
Dont tu me parlais
MICHEL BERGER – ATTENDS-MOI – 1973
Quand plus personne au monde
Ne croira plus même en mon ombre
Quand j'aurai fini d'étonner
Un regard de toi
Et je peux tout recommencer
Quand tu me sauras trop bien
Quand viendra la magie du lointain
Tes yeux qui flottent dans le vague
Je toucherai le fond
Mais c'est pour naître encore une fois
Je trouverai autre chose
Pour toi
Je serai quelqu'un d'autre
Et si tu veux la folie
Je serai plus fou que toi
Et si tu veux la folie
Nous vivrons comme des fous
Toi, moi
Quand plus personne au monde
Ne croira plus en notre monde
Ne croira plus en toi et moi
Tu riras une fois
Et puis tout recommencera
Je trouverai autre chose
Pour toi
Je serai quelqu'un d'autre
MICHEL BERGER – JE TROUVERAI AUTRE CHOSE – 1973
3/ Tes yeux qui flottent dans le vague : tu/elle pense sans cesse à l’autre, la menace est toujours là :
Elle s'assied près de la porte
Quel drôle de regard elle a
Et ses mensonges l’emportent
À dire des choses qu'elle ne voudrait pas
Et c'est bien difficile de vivre
Avec un secret comme celui-là
Elle dit qu'elle se sent nerveuse
Qu'elle a besoin de repos
Elle se persuade qu'elle est heureuse
Ou qu'elle le sera très bientôt
C'est bien difficile de vivre
Avec un secret comme celui-là
Elle me regarde dormir
Quel drôle de sourire elle a
Elle dit qu'elle voudrait mourir
Au fond elle ne le voudrait pas, non non
C'est trop difficile de vivre
Avec un secret comme celui-là
Et ces souvenirs de feu
Ces souvenirs d’amour fou
Disparaissent peu à peu
Et la peinent à tenir au bout
Et c'est trop difficile le vivre
Avec un secret comme celui-là
MICHEL BERGER – LE SECRET – 1973
Attends-moi
Laisse faire le temps, laisse-lui le choix
Et si tu m'oublies
C'est que le grand amour
C'est pour une autre fois
Attends-moi
Plonge toute entière dans ta solitude
Et si l'habitude
Vient s'y installer
Il faut se quitter
Attends-moi
Laisse le silence pénétrer en toi
Et quelle importance
Le temps qui s'écoule
Si tu comprends mieux
Attends-moi
Je saurais bientôt la vie comme elle veut
Et tout finira
Ou par un baiser
Ou par un adieu
MICHEL BERGER – ATTENDS-MOI – 1973
J'ai suivi le temps, qui passe
Que voulez-vous, que je fasse d'autre
Quand tu es là, je suis à ma place
La vie fait du bien, elle efface nos chagrins
Si tu t'en vas, si tu t'en vas
Je lâche tout, j'abandonne, là
Si tu t'en vas, si tu t'en vas
Je sombre et je déraisonne, voilà
Et si c'est ça l'amour
De piller et voler
Si c'est ça l'amour
De souffrir, détruire, aime-moi
Si tu t'en vas, si tu t'en vas
Le monde entier s'écroule, sur moi
Si tu t'en vas, si tu t'en vas
Je sens la mort qui me touche, du doigt
Notre vie dure ce qu'elle dure
Et les grands moments se mesurent bien
Le bonheur avait pris figure
Mais je ne suis plus vraiment sûr, de rien
Si tu t'en vas, si tu t'en vas
Je suis vraiment seul au monde, sans toi
Si tu t'en vas, si tu t'en vas
Ma vie en une seconde, s'arrête là, s'arrête là
MICHEL BERGER – SI TU T’EN VAS – 1973
Dans
un titre publié en 45 tours en 1974 (mais composé quand ?), il revient
même sur les atermoiements de l’automne 1972, quand il espérait encore
que les escapades de Véronique ne seraient qu’une passade ; un invité au
mariage de Violaine Sanson, le 16 décembre 1972, se souvient qu’une
question adressée à Michel et Véronique ce soir là « Et vous, c’est pour
quand ? » avait été tranchée par Véronique, le cœur ailleurs, d’un
lapidaire « Jamais ! ». On imagine le coup de poignard que ce fut pour
Michel, est-ce cela qu’il se remémore en écrivant Jamais, non jamais
jamais ?
J’ai cru pour un instant
Sentir sur moi comme l'ombre de sa main
J'ai cru pour un moment
Que notre regard prenait le même chemin
Mais elle disait
"Jamais, non jamais, jamais"
"Jamais, non jamais, jamais"
J'ai cru pour un instant
Que j'allais redevenir un enfant
J'ai cru pour un moment
Que son rire pouvait retenir le temps
Mais elle disait
"Jamais, non jamais, jamais"
"Jamais, non jamais, jamais"
J'avais peur qu'un matin
Elle se réveille en disant mon nom
Mais sans savoir bien qui j'étais
Un vague souvenir, une tache à l'horizon
J'avais peur d'être loin
Quand il aurait fallut être là
Ou bien peur d'avoir trop besoin de
Sentir sur mes lèvres, la trace de ses doigts
J'ai cru pour un instant
Que sa vie allait vraiment s'arrêter
J'ai cru pour un moment
Que son cœur allait partir en fumée
Mais je disais
"Jamais, non jamais, jamais"
"Jamais, non jamais, jamais"
MICHEL BERGER – JAMAIS, NON JAMAIS JAMAIS – 1974
Avec
dans tous ces titres la prééminence du rire comme image de l’amour
heureux, on sait que Véronique est très drôle et adore rire, et surtout
une constante qui apparaît et ne sera jamais démentie tout au long de ce
dialogue : ce qui nous lie avant tout, c’est la musique :
Tu m'auras simplement laissé / Deux ou trois fous rires à pleurer
Des jours de froid, des jours d'été / Passés à rire ou à pleurer
Quand plus personne au monde / Ne croira plus en notre monde / Ne croira plus en toi et moi
Tu riras une fois / Et puis tout recommencera
J'ai cru pour un moment / Que son rire pouvait retenir le temps
Je me souviens seulement que l'on riait toujours / En jouant, en chantant toutes nos chansons d'amour
Toi seule tu connais les accords / Vas-y rejoue-les moi encore
Ce que je sais
C'est que ce joli sourire qu'elle avait a disparu
Et que ces petits morceaux de chansons de rien
Elle n'en fait plus
Ce que je sais
C'est que ces gens qui ne l'aimaient pas
Se croient de la famille
Voilà ce que la pop music a fait d'une petite fille
L'amour de nos jours n'est plus rien
Peut-être on l'a trop chanté
Je comprends tout ça très bien
Mais cet amour doit résister
Ce que je sais
C'est que ces grandes photos sur les murs
Sont quelqu'un d'autre
Et ce sourire froid, ce regard dur
Est à une autre
Ce que je sais
C'est que personne ne voit les larmes dans ses yeux qui brillent
Voilà ce que la pop music a fait
D'une petite fille
MICHEL BERGER – CE QUE LA POP MUSIC A FAIT D’UNE PETITE FILLE – 1973
Tous ces titres (hormis Le secret et Jamais…
qui paraîtront plus tard sur 45 tours) ont été finalisés en studio en
janvier 1973, en présence donc de Véronique qui ne pouvait ignorer
qu’elles les avait inspirés, et qui fait même les chœurs sur deux
chansons (Oublie-moi de sitôt et l’inédit Je veux être avec toi).
La
charge émotionnelle est donc immense, on comprend que c’est
principalement dans ce répertoire qu’elle composera son hommage posthume
en 1999 ; on comprend aussi que ces quelques mois de valse hésitation,
difficiles à raconter de façon publique, donneront naissance à des
légendes que la chronologie désavoue (un départ brutal en octobre de
Véronique, des chansons « prémonitoires » de Michel).
La
pochette même de l’album, publié donc après le départ de Véronique, ne
semble destinée qu’à elle : au recto, seul le nom de Michel Berger et un
énorme cœur déchiré par un point d’interrogation ; pour la promotion
d’un artiste encore inconnu, on a fait mieux en terme de marketing ! La
photo intérieure, signée Jean-Marie Périer (tout comme l’illustration du
cœur brisé), montre Michel effondré dans un coin de son appartement
vide et blanc de la rue de Prony tandis que la silhouette floue
d’une petite fille s’éloigne de lui. Cette petite fille n’est
autre que sa nièce Marine, à qui il avait déjà emprunté son petit piano
jouet rouge pour la photo du premier album de Véronique. Enfin le verso
le montre en très gros plan tête baissée regard triste.
Volontaire
ou inconscient ? L’année suivante, Véronique choisira pour la pochette
du Maudit un portrait d’elle exactement dans la même posture, cliché de
Tori Lenze alors vieux de deux ans, alors même qu’entre temps son look a
bien changé, cheveux très longs, plus blonds, visage plus émacié. Le
verso, également de 1972, est un cliché de Jean-Marie Périer. Même les
images dialoguent…
Les regrets et les remords
On sait que le départ de sa belle a laissé Michel dans une dépression profonde, sans espoir de retour une fois inscrites les épousailles aux registres d’état civil et Véronique installée dans les Montagnes Rocheuses. Sa première production sera le Message personnel chanté par Françoise Hardy, qui a écrit le texte parlé liminaire en s’inspirant de ses difficultés relationnelles avec Jacques Dutronc, alors qu’elle admet que la chanson a été inspirée à Michel par le départ de Véronique, ce qui donne une œuvre magnifique, mais quand on l’analyse de près étrangement hybride, dont la partie parlée s’adresse à quelqu’un qu’on n’a pas encore véritablement rencontré quand le texte chanté promet la porte ouverte à celle qui est partie :
Si tu crois un jour que tu m'aimes
Ne crois pas que tes souvenirs me gênent
Et cours, oui cours jusqu'à perdre haleine
Viens me retrouver
Si tu crois un jour que tu m'aimes
Et si ce jour-là tu as de la peine
À trouver où tous ces chemins te mènent
Viens me retrouver
Mais si tu crois un jour que tu m'aimes
Ne le considère pas comme un problème
Et cours, oui cours jusqu'à perdre haleine
Viens me retrouver
Si tu crois un jour que tu m'aimes
N'attends pas un jour, pas une semaine
Car tu ne sais pas où la vie t'emmène
Viens me retrouver
Si le dégoût de la vie vient en toi
Si la paresse de la vie
S'installe en toi
Pense à moi
MICHEL BERGER – MESSAGE PERSONNEL – 1973
Michel continue a écrire pour lui-même des chansons où la nostalgie de l’absente prédomine, publiées sur un deuxième album en 1974 :
Quand on sortait du cinéma
Elle n'avait pas grand chose à dire
Je lui parlais longtemps tout bas
Pour avoir un sourire
Et j'arrêtais l'auto pour la regarder rire
Et on parlait anglais sans avoir besoin de jamais rien se dire
Si vous l'aviez connue quand elle était timide
Vous l'auriez aimée comme moi
Vous l'auriez aimé autant que moi
On ne devrait pas changer au début du bonheur
Même si l'on a moins peur de la vie, et même si l'on oublie
Elle a perdu le charme de ceux qui craignent tout
Et son regard n'est plus plus à l'abri du combat de la vie
Si vous l'aviez connue quand elle était timide
Vous auriez eu envie comme moi
De la serrer au creux de vos bras
MICHEL BERGER – QUAND ELLE ÉTAIT TIMIDE – 1974
On apprenait l'amour ensemble
Si notre musique se ressemble
Ça n'a rien de bien étonnant, c'est facile à comprendre
On apprenait la vie ensemble
Si notre sourire se ressemble
Ça n'a rien de bien étonnant, c'est facile à comprendre
Nous voilà dans la vie
S'aimant trop pour être amis
Et cherchant seuls le bonheur
Le bonheur à tout prix
MICHEL BERGER – LE BONHEUR À TOUT PRIX – 1974
Véronique, de son côté, déchante plus qu’elle ne chante un rêve qui a peu à peu tourné au cauchemar, rongée par la culpabilité de son abandon et l’amour intact qu’elle porte à Michel. Après deux premiers opus balançant entre joie de vivre et mélancolie rêveuse, elle écrit ses premiers textes vraiment sombres pour un troisième album dont elle dira elle-même que sa seule raison d’être était de parler à Michel, et qui a failli s’intituler Un peu plus de noir :
Je voulais faire une chanson pour toi
Mais j’ai oublié tous les mots
Pourtant je l’ai au bout de mes doigts
Je l’ai au bout du piano
Mon cœur qui bat sous ma chemise
Ne me répond plus comme avant
Peut-être a-t-il eu des pensées grises
Et pleure des larmes de sang
Un peu plus de noir
Vient dangereusement
Troubler ma mémoire
Caresser ma raison
J’ai encore l’espoir
Qui vient dangereusement
Dois-je encore y croire
Lui donner un peu de temps
VÉRONIQUE SANSON – UN PEU PLUS DE NOIR – 1974
Mon univers ce n’est plus le tien
Moi je voulais un autre chemin
Un peu de terre m’a glissé dans la main
Ai-je agi si mal
Ou est-ce que c’est la vie ?
Là où je suis c’est bien différent
Je ne joue plus pour personne et si quelqu’un m’entend
Des chansons douces sortent de mes mains
Ai-je agi si mal
Ou… ?
C’est le diable qui est en moi
Ou c’est le grand Bouddha de là-haut
Comme tu dis
Et l’au-delà de l’amour qui m’a maudite
Quand ma mère m’a donné le jour
Comme tu dis
Et c’est au-delà des mers
Au-delà des vents
Que je vois ma peine d’antan
Qui fait «Aah… »
Et au-dessus des méridiens
C’est comme si j’attendais quelqu’un
Qui m’attend
VÉRONIQUE SANSON – BOUDDHA – 1974
Cette dernière phrase pourrait résumer à elle seule ce dialogue sans fin qui s’instaure : C’est comme si j’attendais quelqu’un / Qui m’attend. On verra que l’attente de l’impossible, le vœu de se revoir, seront un thème récurrent chez Véronique comme chez Michel, qui, c’est presque une curiosité, va décliner le verbe « attendre » à tous les modes dans les titres mêmes de ses chansons.
Et c’est elle-même qu’elle met en scène dans Le maudit, qui sera finalement le titre de l’album, pour essayer d’exorciser sa culpabilité ; on se souvient qu’une de leur rares (et la dernière) apparition publique commune eut lieu en 1990 sur un plateau de télé où elle venait d’interpréter Le maudit que Michel ponctua d’un compliment tremblant (« une des plus belles chanson jamais écrites »), où la gène et l’émotion étaient plus que palpables. Ils savaient, bien sûr, tout ce que la chanson disait de leur histoire. Ils ne savaient pas que c’était la dernière fois qu’ils se voyaient (au moins publiquement).
Quelque part dans la ville
Tu marches
Sans savoir réellement où tu vas
Tu repenses à ta vie
Déjà
Tu comptes combien de gens tu as déjà trahis
Combien de gens à qui tu as déjà menti
Combien de gens tu as déjà fait souffrir
Et du fonds de ton remords
Tu l’aimes encore
Tu es prisonnier de ton secret
Mais ta douleur efface ta faute
VÉRONIQUE SANSON – LE MAUDIT – 1974
Et tandis que Michel, qui vient de rencontrer France Gall, tente de mettre un illusoire point final à ce dialogue avec Véronique :
Je marche aux bras d'une star
Je vis, je me prépare
À mourir sans toi
Je sors très tard le soir
Je m'amuse dans le noir
En parlant tout bas
Je casse les miroirs
Je roule la nuit sans phares
En riant aux éclats
Je défie le hasard,
La peur, le désespoir
La vie sans toi
À quoi sert de chanter tout ça
Encore une fois
MICHEL BERGER – LA CHANSON D’ADIEU – 1974
Véronique, en miroir, annonce aussi un dernier message à Michel, avec ce C’est ma dernière belle chanson qui sera largement démenti par la suite :
C’est ma dernière belle chanson
Que je te donne là
Tu sais je n’aurai plus le temps
Ni le goût de rester chez moi
Et c’est ma dernière belle chanson
Qui s’en va
Et c’est ma faute j’ai tout gâché
Quand je t’ai laissé là
J’aurais voulu te reparler
Mais ma musique s’en va
Oh je t’aime
Je t’aime tu sais
Et quelquefois j’ai de la peine
Tu es si loin de moi
J’ai voulu jouer la reine
Trop souvent déjà
Et ma tête m’abandonne
Si je te vois
Je vois le nord de l’Italie
Devant mes yeux le soir
Mon corps est plein de souvenirs
Mais ma musique s’en va
C’est ma dernière belle chanson
Que je te donne là
Tu sais je n’aurai plus le temps
Ni le goût de douter de toi
J’ai juste voulu te reparler
Rien qu’à toi
VÉRONIQUE SANSON – MA MUSIQUE S’EN VA – 1974
Et l’année suivante, compose une déchirante supplique qu’elle présentera elle-même comme une réponse à Ce que la pop music a fait d’une petite fille :
Si tu me vois
Les toucher de mon regard
Leur donner le goût de l’art
Avoir un sale goût de larmes
Dans mon fou rire
Ne m’en veux pas
Tu m’as rendue redoutable
Mais je suis si vulnérable
C’est si facile de faire mal
Et si tu me sens
Avoir des idées de mort
Tu sais très bien que mon cœur est mort
Tu vois bien que je t’attends
Depuis longtemps
Ne m’oublie pas
Tu m’as rendue redoutable
L’enfer est insupportable
C’est si facile de faire mal
VÉRONIQUE SANSON – REDOUTABLE – 1975
1975, deux ans passés, Michel vit avec France Gall et ce nouvel amour le réconforte autant qu’il le surprend, et donc l’inspire (Que l’amour est bizarre, L’amour existe encore, L’amour est là). Et à nouveau, on devine une tentative de se défaire du lien à Véronique, bonheur irréel et illusoire en regard de celle qui est bien là, à ses côtés :
À quoi ça sert de m'imaginer
Que ton amour, c'est la vérité
À quoi ça sert de se faire des idées
C'est la vérité qu'il faut accepter
Qui m'attend, qui m'attend, qui m'attend, qui m'attend chez moi ?
Qui m'attend, qui m'attend, qui m'attend, qui m'attend ? Pas toi
MICHEL BERGER – QUI M’ATTEND ? – 1975
Quitte à en faire un conseil à une âme seule attendant le grand amour (ou une tentative de se convaincre lui-même ?) :
Qui attends-tu, qui attends-tu ?
L’amour je l’ai déjà vécu
Et de lui j’ai bien trop attendu
Ne l’attends plus, ne l’attends plus
Le temps n’est pas fidèle
Tu ne peux pas compter sur lui
Il te prend sous ses ailes
Tu te retournes, oh mais il est déjà parti
Il s’est enfui
Qui attends-tu, qui attends-tu ?
Un morceau de vie, un chagrin de plus
De nouveau un espoir disparu
Ne l’attends plus
Ne l’attends plus, tu serais trop déçue
Au réveil tes rêves auraient disparus
MICHEL BERGER – NE L’ATTENDS PLUS – 1975
Pointons-le à nouveau : y a-il un autre répertoire qui contient autant de fois le verbe « attendre » dans ses titres ? Il est même troublant de trouver parmi les disques de jeunesse de Michel Berger, à l’époque où il était encore un espoir yéyé adolescent, un texte qui pourrait trouver sa place dans cette histoire intitulé En t’attendant ! :
Tous ces moments / De désespoir / De te revoir / En t'attendant
Mais elle tu vois / Elle, elle est bien là / Je ne l'attends pas / Je ne pense plus à toi
Ne l’attends plus, longtemps resté inédit, avait été composé pour la comédie musicale jamais terminée Angelina Dumas, qui sera le brouillon de Starmania, tout comme À qui donner tout ce que j’ai ? dont on retrouvera un écho inconscient chez Véronique plus tard : À qui donner l’onde d’un regard ? (Étrange comédie), elle qui, déjà en 1972, chantait Pour qui ? / L’amour qui brûle mon cœur.
Il tente donc de tourner la page, mais il ne parvient pas à effacer la douleur et les regrets, Michel est définitivement un Enfant triste.
Quand l'enfant triste est dans le noir
Sans rien comprendre et sans rien voir
Et sans vouloir
Mais qui l'a fait pleurer
En aurais-tu idée
Quand il avait l'air gai ?
L'enfant triste
Tu sais qui c'est
Quand l'enfant triste pense à toi
Il perd son esprit et sa voix
Il n'entend pas
Les gens autour de lui
Qui viennent et le supplient
De prendre un air plus gai
L'enfant triste
Tu sais qui c'est
Mais c'est l'espoir qui lui fait joindre les mains
Et pour te voir il vivra jusqu'à demain
Quand l'enfant triste se souvient
De ton sourire ou de ses mains
Quand elles se posaient sur toi
Elles trouvaient leur chemin
La première fois déjà
Elles le connaissaient bien
L'enfant triste
Tu sais qui s'est
L'enfant triste peut être gai
Si tu l'as décidé
MICHEL BERGER – L’ENFANT TRISTE – 1975
Toi qui diriges les sacrifices
Toi le bourreau de mes supplices
Où es-tu ?
Je te cherche
Tu es partout dans ma mémoire, dans ma maison
Je te cherche
Tu viens facilement à bout de ma raison
Assis dans le fond des fauteuils
Je m'entends t'appeler tout seul
Où es-tu ?
Toutes ces notes sont pour toi
Qui peut-être ne m'entends pas
Où es-tu?
Je te cherche
Tu es partout dans mes photos, dans mes cahiers
Je te cherche
Je n'imagine même pas de t'oublier
MICHEL BERGER – OÙ ES-TU ? – 1975
On continuera à relever des similitudes d’inspiration de part et d’autre : Toi qui diriges les sacrifices / Toi le bourreau de mes supplices est à rapprocher des envolées quasi mystiques de Véronique cherchant à se décharger de sa culpabilité sur des forces supérieures (Bouddha, L’étoile rouge) alors que Je m'entends t'appeler tout seul trouvera un reflet plus tard : Je t’appelle pour rien (Toute une vie sans te voir).
L’espoir de se retrouver revient comme une obsession, mais les deux anciens amants libres sont maintenant chacun engagés dans une vie de famille, qui serait difficile à bousculer, alors… plus tard ? Au bout du chemin ?
Et quand nos regrets
Viendront danser
Autour de nous
Nous rendre fous
Seras-tu là ?
Pour nos souvenirs
Et nos amours
Inoubliables
Inconsolables
Seras-tu là ?
Quand nos secrets
N’auront plus cours
Et quand les jours
Auront passé
Seras-tu là ?
Pour, pour nos soupirs
Sur le passé
Que l'on voulait
Que l'on rêvait
Seras-tu là ?
Pourras-tu suivre
Là où je vais ?
Sauras-tu vivre
Le plus mauvais ?
La solitude
Le temps qui passe
Et l'habitude
Regarde-les
Nos ennemis
Dis-moi que oui
MICHEL BERGER – SERAS-TU LÀ ? – 1975
Je sais quand je vois ton image
Que je serai là
Il n’y aura plus de mirage
Je serai là
Je parle de toi
Comme si tu étais mort
Mais j’ai le son de ta voix
Qui tourne encore
Mais si tu aimes comme moi
Et si tu vis pour moi
C’est facile d’oublier
Les années passées
Et si tu m’aimes pour moi
Et si tu vis comme moi
C’est facile d’oublier
Quelquefois
Qu’il nous restera la musique
Seulement celle qu’on fait à deux
Qu’il nous restera la musique
Quand on sera vieux
Tous les deux
Veux-tu encore de moi ?
Est-ce que tu m’aimes encore ?
J’ai redouté ton regard
J’ai redouté ton rire
Comme deux diamants jaunes
Autour d’un solitaire
J’ai voulu jeter dans le Rhône
Sans pouvoir le faire
Si tu n’as plus rien à me dire
Chante-le moi
Si nos amours te font rire
Chante-le moi
VÉRONIQUE SANSON – JE SERAI LÀ – 1976
Pas de scandale pour presse people dans cet échange. Il faut dire que malgré le très gros succès du premier album pour France, Michel reste encore un chanteur confidentiel, que Seras-tu là n’est pas encore la chanson culte qu’elle va devenir (de façon posthume, en partie grâce à Véronique), même si en revoyant les images d’une télé où il l’interprète, son regard fixement planté dans la caméra nous fait penser qu’il l’imagine derrière l’écran. Et Je serai là ne sera d’abord publiée que sur un album live.
D’autant que la même année, Michel et France se marient à leur tour et affichent leur bonheur en présentant leur premier succès commun, Ça balance pas mal à Paris, une des chansons où Michel essaie de désamorcer son éternel complexe de l’Amérique (Big Fat Mama, Ma vieille Europe…) alors même que la cruelle prodigue ne cesse de vanter la supériorité des musiciens anglo-saxons (la crème, acolytes réguliers de Steve Stills, James Taylor, Elton John ou Stevie Wonder) avec lesquels elle travaille désormais.
Ce qui ne l’empêchera pas de poursuivre le dialogue, dans une chanson évoquant une avenue autoroutière de Los Angeles, où Véronique vit alors (la Cienega, « marécage » en espagnol latino) dont le troisième vers est Je serai là :
Rendez-vous sur la Cienega
Prends ta voiture jusque là-bas
Je serai là
Rendez-vous sur la Cienega
Tu connais le chemin je compte sur toi
Rendez-vous sur la Cienega
Ce ruban de macadam où on ne marche pas
Tu m'y verras
Rendez-vous sur la Cienega
Quand tu verras plus clair en toi
Tout seul tout seul
Sur ces trottoirs déserts
Tout seul tout seul
Dans ce cauchemar de verre
Tout seul tout seul
À marcher tout droit tu verras
Ce sera moi
Rendez-vous sur la Cienega
Tu baisseras ta vitre et tu m'apercevras
Je serai là
C'est facile sur la Cienega
Si tu regardes bien devant toi
Rendez-vous sur la Cienega
Et je sentirai que tu viendras
Je tendrai le bras
Rendez-vous sur la Cienega
Ce petit point au bout là-bas
Ce sera moi
Tout seul tout seul
Au milieu des voitures
Tout seul tout seul
Et de tes aventures
Le seul le seul
Qui t'aimera toujours pour toi
Tu me crieras par la portière
Si tu m'aimes autant qu'hier
MICHEL BERGER – RENDEZ-VOUS SUR LA CIENEGA – 1976
Si tu m'aimes autant qu'hier, sempiternelle question des deux côtés (Veux-tu encore de moi ? / Est-ce que tu m’aimes encore ?)
Et puisque la supplique solitaire du chanteur abandonné s’est désormais muée en vrai dialogue, on retrouve d’autres mots qui se répondent directement, en particulier à Ma musique s’en va, la première missive désespérée reçue :
Chante-leur des mots pour émouvoir
Fais reconnaitre ton pouvoir
Fais-les sourire fais-les souffrir
Fais-les bouger mais fais-les rire
Mais de l'est jusqu'a l'ouest
Et du nord jusqu'au sud
Suis ta musique où elle va
MICHEL BERGER – SUIS TA MUSIQUE OÙ ELLE VA – 1976
Répondant autant à Ma musique s’en va qu’à Redoutable, le voilà endossant à nouveau son habit de pygmalion, lui redonnant courage, la poussant à se donner à fond dans la musique, « Ce que la pop music a fait d’une petite fille, il te faut maintenant le cultiver ».
Possible, mais pas totalement certain, le rapprochement à faire entre Tu sais je n’aurai plus le temps / Ni le goût de douter de toi, toujours dans Ma musique s’en va, et le premier vers de Mon piano danse :
Comment oses-tu douter encore de moi ?
Même ton amour ne t'en donne pas le droit
Si une minute mes souvenirs se noient
Je te dis ton nom, je lui souffle tout bas
Et c'est le diable qui me prend par le bras
Mon piano danse
Mon piano rêve
Et m'entraîne vers toi
Mon piano danse
Mon piano vole
Et me conduit vers toi
MICHEL BERGER – MON PIANO DANSE – 1976
Là il n’est pas interdit d’imaginer que Michel puisse aussi s’adresser à une France comprenant que toutes les chansons d’amour ne lui sont pas destinées, et qu’il cherche à rassurer en lui disant que c’est pour elle que son piano travaille. Mais s’il souffle un nom tout bas pour que le diable le prenne par le bras, on a quand même envie d’y voir un amour plus interdit et dangereux… Je prie pour que le diable m’emporte… (Amoureuse) C’est le diable qui est en moi… (Bouddha)
Ici, seul lui aurait pu nous dire…
Et tandis que Véronique continue à associer la douleur de l’exil et sa solitude avec le manque de Michel, un piano qui danse et rêve, le sien rigole et fait des gammes, pour conjurer chacun sa solitude :
J’ai changé de pays
Soudain
J’ai de nouveaux amis
Bien
Mon piano rigole
Et fait des gammes
Ils croient que je suis folle
C’est triste tu vois
À quoi ça me sert si toute ma vie
N’est qu’une étrange comédie
À qui donner l’onde d’un regard
Si tout s’appuie sur le hasard
J’appelle un amour qui balance bien
L’amour que je cherche en vain
C’est le tien
C’est le mien
Je n’aime que toi
Je t’aime
Je t’aime
Et je t’aimerai
Toute ma vie
VÉRONIQUE SANSON – ÉTRANGE COMÉDIE – 1976
Lui revient sur leurs souvenirs communs, ses rêves d’amour perdu, tout en glissant un demain, peut-être bien :
Les tramways de Carouge
Me font faire le détour
De ma vie à rebours
De mes rêves d'amour
Les tramways de Carouge
Me rappellent tes doigts rouges
Sur le bord de mon col
Dans la maison de Feucherolles
Et puis quand tu dérailles
Des souvenirs en pagaille
Et puis ceux de demain
Peut-être bien
Les tramways de Carouge
Me rappellent la Savoie
Le chalet sous la neige
Où tu sors dans le froid
Et puis si je déraille
Ne demande rien d'autre
Où que notre vie aille
On s'aime mieux que les autres
MICHEL BERGER – LES TRAMWAYS DE CAROUGE – 1976
1979-1980. Après l’album Hollywood, plus centré sur les turpitudes de sa vie américaine, et qui achèvera de la consacrer comme la première pop star française, tandis que Michel se dédiait à la composition et à la production de Starmania, Véronique se débat dans une longue et douloureuse procédure de divorce, et traverse des moments de profonde dépression, qui la ramèneront à l’amour perdu :
Il est parti comme il était venu
[…]
Change mon destin
Touche-moi de loin
Je t’appelle pour rien
Mais ce que je crains c’est de passer
Toute une vie sans te voir
C’est ça qui me fait mal
C’est ça qui me fait vieillir
Toute une vie sans te voir
À seulement t’imaginer
Je suppose
Comme un pauvre prisonnier
Ou bien comme un homme qui donne
Tout
C’est ça qui me fait maudire
Certains choix du hasard
Voilà
Le temps passe et passera
J’ai déjà des cheveux gris
Et je ne peux plus brûler ma vie
Toute ma vie sans te voir
C’est ça qui me fait si mal
C’est ça qui me fait vieillir
Et j’ai perdu mon âme
Quand j’ai perdu ton sourire
Un jour
Quand j’ai tué mon amour
J’ai déjà des cheveux gris
Et je ne peux plus brûler ma vie
Toute ma vie sans te voir
C’est ça qui me fait mal
C’est ça qui me fait vieillir
Toute une vie sans histoires
À seulement t’imaginer
Tout seul
Comme un pauvre prisonnier
Ou bien comme un homme qui donne
Et qui donne pour oublier
Toute une vie sans me voir
VÉRONIQUE SANSON – TOUTE UNE VIE SANS TE VOIR – 1979
À nouveau la crainte de ne jamais se retrouver, et la culpabilité assumée : Et j’ai perdu mon âme / Quand j’ai perdu ton sourire / Un jour / Quand j’ai tué mon amour, comme dans Ma musique s’en va (C’est ma faute, j’ai tout gâché), Bouddha (Ai-je agi si mal ?) ou Le maudit.
Dans cet album où elle règle principalement ses comptes avec son ex-époux, où le désespoir tutoie les envies suicidaires (Quand on n’a personne / On se sent tellement minable / On se demande s’il vaut mieux pas passer ailleurs dans Mi-maître, mi-esclave), un contrepoint énergique vient atténuer la culpabilité :
C’est pas facile de tout laisser tomber comme ça
Surtout celle que tu tiens dans tes bras
Mais celui qui n’essaie pas
Ne se trompe qu’une seule fois
Vole, vole, vole
Va dans un pays où il y a du soleil tout le temps
Vers de nouveaux continents
Là-bas la musique sonne, sonne, sonne
VÉRONIQUE SANSON – CELUI QUI N’ESSAIE PAS – 1979
Elle l’a souvent dit, même si elle regrette cet amour désormais idéalisé, Véronique ne se repend pas tant d’avoir quitté Michel, que de la façon dont elle l’a fait. Mais ne pas avoir changé de vie aurait été définitivement une erreur.
Michel publie l’année suivante l’album Beauséjour, qui lui permettra enfin de tutoyer les sommets sous son nom propre, grâce en particulier à La groupie du pianiste, Celui qui chante, et Quelques mots d’amour :
Il manque quelqu'un près de moi
Je me retourne tout le monde est là
D'où vient ce sentiment bizarre que je suis seul
Parmi tous ces amis et ces filles qui ne veulent
Que quelques mots d'amour
De mon village capitale
Où l'air chaud peut être glacial
Où des millions de gens se connaissent si mal
Je t'envoie comme un papillon à une étoile
Quelques mots d'amour
Je t'envoie mes images
Je t'envoie mon décor
Je t'envoie mes sourires des jours où je me sens plus fort
Je t'envoie mes voyages
Mes jours d'aéroport
Je t'envoie mes plus belles victoires sur l'ironie du sort
MICHEL BERGER – QUELQUES MOTS D’AMOUR – 1980
Une vie en apparence accomplie, une famille, des amis et pourtant Il manque quelqu'un près de moi. Un indice ? La capitale, Paris, où il vit. Pourquoi la capitale serait-elle qualifiée de village, sinon en comparaison avec la mégapole de Los Angeles ? Certes, il y a aussi une allusion à l’absence du père dans le troisième couplet : De mon village à cent à l’heure / Où les docteurs greffent des cœurs (le sien, c’était des reins, mais la symbolique du rein dans la poésie romantique reste encore à écrire…), mais il y peu de chances qu’il lui envoie Quelques mots d'amour quand on sait la rage froide avec laquelle il refusait de parler de son géniteur dans un entretien télévisé. Et puis les jours d'aéroport le ramènent sans cesse à celle qui vit toujours de l’autre côté de l’eau comme il le dit dans Tout est possible, ou comme il le chante au début d’Attendre :
Je regarde les avions qui dansent sur Roissy
Un jour ma fée descendra d'un de ces oiseaux de nuit
Peut-être aujourd'hui
Peut-être demain
Peut-être aujourd'hui
Qui connaît ma vie
Attendre attendre
Un autre destin qui nous ressemble
Attendre attendre
Un geste tendre
Mais comme c'est difficile
Comme le temps paraît long
D'attendre attendre
Un sourire qui sache tout comprendre
Attendre attendre
D'être enfin ensemble
Mais comme c'est difficile
Comme le temps paraît long
D'attendre
Je reste étendu dans l'herbe
A parler avec le vent
Qu'est ce qu'elle t'a dit pour moi
Est-ce qu'elle va venir maintenant
Peut-être aujourd'hui…
MICHEL BERGER – ATTENDRE – 1980
Et en attendant D'être enfin ensemble, il se prend à s’interroger sur l’amour :
Tout connaître, tout savoir
Le prix du bonheur et du désespoir
Et j'ai compris trop tard
Y a vraiment que l’amour qui vaille la peine
Y a vraiment qu'aimer d'amour qui tienne
Pas celui qu'on lit dans les mauvais poèmes
Mais le vrai, celui qui vous dévore le cœur, qui vous fait peur
Y a vraiment que l’amour qui vaille la peine
Prier pour qu'il reste, prier pour qu'il vienne
Pas celui qui dort au chaud dans la laine
Mais le vrai, celui qui porte la vie ou la mort dans nos rêves
MICHEL BERGER – Y A VRAIMENT QUE L’AMOUR QUI VAILLE LA PEINE – 1980
Pas celui qui dort au chaud dans la laine - Mais le vrai, celui qui vous dévore le cœur, qui vous fait peur
Est-il bien nécessaire de mettre des prénoms pour identifier ces deux visages de l’amour ?
Rappelons l’extrait d’interview déjà cité : « C’est drôle, France, les enfants […] ne sont absolument pas ma source d’inspiration. Le couple, le quotidien ne m’intéressent pas ».
Et la réflexion continue, avec la distance de la troisième personne, dans C’est pour quelqu’un :
Comme s'il dédiait sa vie / Au nuage rose et gris / De celle qui ne l'a pas suivi / Qui n'est pas ici
On visualise le typique coucher de soleil californien, ou on imagine Véronique trompant sa solitude en grillant des cigarettes, il y aura plus tard tes volutes de fumée bleue dans La minute de silence, mais on se souvient aussi des nuages rouges quand l’aube se lève qui coloraient ses rêves d’envol dans Comme je l’imagine. Et rappelons ces vers de Seras-tu là : Pourras-tu suivre / Là où je vais ?
C’est pour quelqu’un vient démentir frontalement les propos tenus à l’époque en interview, souvenons-nous encore : « J’ai chanté pour Véro. Plus maintenant », et surtout les théories selon lesquelles les chansons de Michel ne s’adresseraient à personne en particulier ; en commençant, une fois de plus, par cette maudite distance géographique :
C'est moins que rien le bout du monde
Pour l'emporter loin de sa folie
Cet homme court après son ombre
Il court après sa vie,
Et rien ne lui suffit
Tout ça
C'est pour quelqu'un
Tout ça,
Il le fait
Pour quelque chose
Ces mains qui se lèvent,
Au milieu d'un rêve
Je vous dis que tout ça,
C'est pour quelqu'un
Comme s'il dédiait sa vie
Au nuage rose et gris
De celle qui ne l'a pas suivi
Qui n'est pas ici
Ses gloires inutiles
Son sommeil fragile
Je vous dis que tous ça
C'est pour quelqu'un
Croyez, croyez, croyez moi,
C'est pour quelqu'un
MICHEL BERGER – C’EST POUR QUELQU’UN – 1980
Tout est possible, musique entraînante chargée d’une énergie positive, quand le titre L’amour impossible aurait été plus logique, contient elle aussi un rappel de l’éloignement. Ce n’est plus une thématique, c’est une obsession :
Tournez, tournez
Le doigt sur la mappemonde
On vous attend de l'autre côté de l'eau
L'amour impossible
Il est là devant vous
Comme un mur infranchissable
Mais qui vous donne une force incroyable
L'amour impossible
Vous l'avez dans le coeur
Vous devenez fort pour deux
Et mis à part d'être heureux
Tout est possible
Jamais vivre un moment avec elle
Jamais votre nom quand elle appelle
Imaginez-vous
Le plus solitaire d'entre vous
Sait la force des gens à genoux
MICHEL BERGER – TOUT EST POSSIBLE – 1980
Donc, mis à part d'être heureux / Tout est possible, cet amour impossible […] vous donne une force incroyable.
Et c’est le même état d’esprit de l’autre côté de l'eau, où Véronique, à l’heure des bilans et des transitions, face à un avenir incertain, ne se lamente plus sur l’amour perdu, mais se raccroche à sa puissance pour se donner du courage :
J’avance tout doucement
Vers d’autres temps
Qui m’effraient confusément
Qui m’attirent comme un aimant
Lentement
Mais toi je t’ai encore
Et même si tu es loin
Je dors
Tu prends ma tête entre tes mains
Et c’est ça qui compte pour moi
Car tu sais cet amour-là
C’est fou, c’est dangereux
C’est plus mortel qu’une lame de fond
L’amour qui bat
C’est fou, c’est mystérieux
C’est parallèle à nos destins
L’amour qui bat
Et le temps
Le temps qui voile et dévoile tout
Aura bientôt raison de nous
Rien n’est jamais hasard
J’avance tout doucement
Au bout du temps
Qui m’aspire comme un sable mouvant
Qui s’enroule comme un serpent
Lentement
Mais toi je t’ai encore
Et même si je suis loin
C’est si fort
Que dans mes rêves
J’ai toute l’onde de ta lumière
Et c’est ça qui compte pour moi
Car tu sais cet amour-là
C’est fou, on l’a en nous
Comme dans le fond d’un marécage
Sens-le qui bat…
VÉRONIQUE SANSON – L’AMOUR QUI BAT – 1981
Presque un double aveu d’impuissance, lui comme elle savent qu’ils n’inverseront plus le cours de leurs destins, mais ils peuvent se nourrir de la force de cet amour hors normes qui les maintient. Comme il le disait déjà : Où que notre vie aille / On s'aime mieux que les autres (Les tramways de Carouge). Un amour si puissant qu’il faudrait finalement y prendre garde, du moins du point de vue de Véronique désormais divorcée, comme si un retour n’était pas totalement à exclure :
Je cours la nuit
Je cours dans les ruelles
Sans souci des assassins
Avant le jour
Je serai celle
Qui chavira dans son chagrin
Sans toi la route est longue
Mais l’amour est toujours le même
Où que tu sois au monde
Je te retrouverai quand même
Aucune histoire
N’a été plus belle
Si difficile et différente
Tous les déboires
D’un amour rebelle
S’en venaient à tout venant
Sans toi la route est longue
Fais attention à mon amour
Écoute-le qui gronde
Écoute-le te faire la cour
Sans toi la route est longue
Mais l’amour est toujours le même
Où que tu sois au monde
Je te retrouverai quand même
Toi qui vis ta vie
Sans savoir où je suis
Souviens-toi, oui souviens-toi bien
Que je cours la nuit
À travers les ruelles
Sans souci des assassins
VÉRONIQUE SANSON – FAIS ATTENTION À MON AMOUR – 1981
Moi aussi je me perds dans le mystère des rues la nuit
Je crois entendre au loin comme un appel, un cri
C'est ton cri, c’est ma vie
Et tu chantes ton remords
Moi c'est mon regret qui me poursuit
Je sens revenir les paroles sur mes mélodies
Have mercy on me
Tant d'amour perdu
Tant d'émotions inconnues
Tant de moments disparus
Dans le temps qui passe
Tant d'amour perdu
Tant de caresses retenues
Tant d'espoirs déçus
Par le temps qui passe
Et ne reviendra plus
Tant d'amour
Tant de solitude
MICHEL BERGER – TANT D’AMOUR PERDU – 1981
Une chanson qui commence par Moi aussi ? Forcément une réponse directe :
– Je cours la nuit / Je cours dans les ruelles / Sans souci des assassins
– Moi aussi je me perds dans le mystère des rues la nuit.
Et cette phrase qui synthétise à elle seule toute cette correspondance :
Et tu chantes ton remords / Moi c'est mon regret qui me poursuit.
Mortelles pensées
Mais Le temps passe et passera, le temps qui passe / Et ne reviendra plus, Toute une vie sans te voir, Tant d’amour perdu…
Dis-moi si tu t’en sors
Si tu existes encore
Les souvenirs, ceux qu’on aime
Faut pas rêver, c’est tous les mêmes
Dis-moi si c’est bien
Si tous les soirs tu sors le chien
Pour remonter dans ton troisième
Pour moi, tout va bien
Je boude les dîners trop mondains
Chaque fois j’y vois trop d’amertume
J’y perds la vie, j’y perds des plumes
Dis-moi si tu t’endors
Parmi tes lauriers d’or
Chaque fois que tu changes ton cap de bord
Y a deux mille mecs qui pleurent dehors
Pour moi c’est toujours bien
J’ai toujours peur de rien
J’ai pas donné dans le bas de laine
Faut pas rêver, c’est pas la peine
Oh toi qui tournes, tournes
Dans ma tête de paille
Enlève mon tatouage
Et laisse-moi tourner la page
Où sont nos rires
Dans tout ça ?
Où vont nos rires ?
La question reste vide
Mais réponds-moi
Où vont nos mirages
Dans tout ça ?
Où vont nos langages ?
Dis-le moi
Où vont nos vies
Fatiguées, démolies, oubliées ?
VÉRONIQUE SANSON – J’Y PERDS DES PLUMES – 1985
La quarantaine approche, leur inspiration, moins autocentrée, s’ouvre sur le monde, surtout chez Michel, mais aussi chez Véronique, et les dernières chansons échangées sur les albums des années 80 soufflent un parfum funèbre sur les espoirs, les attentes, les rêves de retour des anciens amants. Les missives ressemblent à des bilans, et toutes évoquent explicitement et plus longuement cette correspondance, seul véritable lien qu’il leur reste, Michel semblant même s’excuser des chansons où il tentait de se défaire de leur lien (Et cette violence / Dans mes doigts / Quelle inconscience / Effacer quoi ?) :
Un soir, tu trouveras des brouillons dans leur cachette
Pour voir, tu sortiras les disques de leur pochette
Notre histoire, tu la verras défiler dans ta tête
Alors chut, pose doucement un doigt devant ta bouche
Et lutte, efface de ta mémoire ces mots qui nous touchent
Brûle, ces images qui nous plongent dans la solitude
Écoute, ce qu'il reste de nous
Immobile et debout
Une minute de silence
Ce qu'il reste, c'est tout
De ces deux cœurs immenses
Et de cet amour fou
Et fais quand tu y penses
En souvenir de nous
Une minute de silence
Écoute passer mes nuits blanches
Dans tes volutes de fumée bleue
Cette minute de silence
Est pour nous deux
MICHEL BERGER – LA MINUTE DE SILENCE – 1983
Lui
Si délicat dans sa tendresse
Si raffiné dans ses caresses
Que j’ai tenu dans mes bras
Quand il avait besoin de moi
Je l’ai quitté pour d’autres mains
Pour des briseurs de destin
Et des empêcheurs d’exister
Bien fait pour moi
Si vous saviez comme je l’aimais
Plus qu’aucun autre je l’admirais
Depuis dans un brouillard
Je ne sais plus où je vais
Et je me ratatine à petits pas
Et je bous de le revoir
Pour apaiser mon désespoir
Je voudrais fuir vers d’autres nuits
Et j’ai chanté seulement pour lui
Nos souvenirs qui nous ressemblent
Et qui nous hantent
Qui s’en vont vers le soleil
Lui
Qu’il n’y avait plus de doute ni de douleur
Dans ma musique, ni dans mon cœur
Je le tuerais d’avoir pensé ça
Et s’il y a des choses qu’il ignore
Il n’a qu’à m’écouter plus fort
Jusqu’à ce que la mort de l’un
Ou bien de l’autre
Souffle la bulle de nos amours
Lui
Sans qui je ne serais rien au monde
Je l’aimerai toujours à genoux…
VÉRONIQUE SANSON – MORTELLES PENSÉES – 1988
On en a connu des souffrances
Et combien de matins heureux
Ou des moments sans importance
Comme tu veux
Comme on a appelé la musique
En mettant notre cœur à nu
En priant que l'instant magique
Soit revenu
L'un sans l'autre, l'un sans l'autre
Mon amante invisible
Ma passion impossible
Et cette violence
Dans mes doigts
Quelle inconscience
Effacer quoi ?
Ces mots qui dansent enfouis en moi
Qui parlent de toi
On en a connu des orages
Et des photos d'amis qui rient
Et puis cet assassin qui passe et qui nous suit
Comme on en a noirci des pages
Des mots jetés sur le papier
Comme des bouteilles roulent sur les plages
Abandonnées
L'un sans l'autre, l'un sans l'autre
Mon amante invisible
Ma passion impossible
Rendez-vous dans une autre vie...
MICHEL BERGER – L’UN SANS L’AUTRE – 1990
Quelle prescience, quels pressentiments avaient-ils l’un et l’autre de ce que le destin leur réservait ? Jusqu’à ce que la mort de l’un / Ou bien de l’autre / Souffle la bulle de nos amours. Rendez-vous dans une autre vie. Ils n’ont encore qu’une petite quarantaine, se sont revus, publiquement à partir de 1985, ont même retravaillé ensemble, et savent que malgré la force intacte de leur lien, rien ne sera plus comme avant entre eux.
Mais aussi que seule la mort les séparera vraiment.
Le cœur de Michel Berger s’arrête de battre le 2 août 1992, à seulement 44 ans, et le dialogue s’éteint avec lui. Véronique lui donnera une autre forme en dédiant D’un papillon à une étoile un magnifique disque de reprises dont une bonne moitié des titres s’inscrivent dans cette correspondance de près de 20 années, qui n’a cessé de se nourrir d’elle-même :
Toi seule, tu connais les accords / Vas-y rejoue-les moi encore
Je voulais faire une chanson pour toi / Mais j’ai oublié tous les mots
Là où je suis c’est bien différent / Je ne joue plus pour personne
C’est ma dernière belle chanson / Que je te donne là / J’ai juste voulu te reparler / Rien qu’à toi
Toutes ces notes sont pour toi / Qui peut-être ne m'entends pas
Il nous restera la musique / Seulement celle qu’on fait à deux / Quand on sera vieux / Tous les deux
Mon piano danse / Mon piano rêve / Et m'entraîne vers toi
Mon piano rigole / Et fait des gammes
Je t'envoie comme un papillon à une étoile / Quelques mots d'amour
Et tu chantes ton remords / Moi c'est mon regret qui me poursuit
Un soir, tu trouveras des brouillons dans leur cachette / Pour voir, tu sortiras les disques de leur pochette
Notre histoire, tu la verras défiler dans ta tête
Et j’ai chanté seulement pour lui / Nos souvenirs qui nous ressemblent / Et qui nous hantent
Et s’il y a des choses qu’il ignore / Il n’a qu’à m’écouter plus fort
Comme on en a noirci des pages / Des mots jetés sur le papier
Comme on a appelé la musique / En mettant notre cœur à nu
Ces mots qui dansent enfouis en moi / Qui parlent de toi
(Cette analyse a servi de base à l’article paru dans Schnock n° 47, été 2023)
Cette correspondance est au cœur d’un spectacle, Toute une vie sans se voir, au Studio Hébertot à Paris en septembre 2023 (réservation ouverte).
Quel travail ! Quelle connaissance des deux artistes ! Si pour certains, après ces révélations, « tout est cassé tout est mort » il n’en reste pas moins une formidable et complète analyse, tout est dit ! Merci à Yann Morvan. Laf Lionel
RépondreSupprimerMagnifique recherche à travers les mots d'elle et de lui...Démo...des mots dits...des mots doux...d'où qu'ils viennent...Je comprends encore mieux l'émotion qui gagne le choeur Spectacul'Art, quand vient dans l'air du soir, "La minute de silence"...lors du France Gall tour ...Il reste quelques dates en septembre et octobre avec un final en décembre à l'opéra d'Avignon...Tous ces mots d'amour s'y chantent si bien...
RépondreSupprimerMerci pour cette analyse, quel travail de fourmi! Intéressant, touchant, attachant. On croit connaître plein de choses et en lisant, avec cet éclairage supplémentaire on se rend compte que...non. Merci encore!
RépondreSupprimer