• Daniel Schick | 2017

Daniel Schick
Avec elle
26 octobre 2017


Deux jours avant, le mail de rappel stipulait 20 heures précises à la Maison de la Poésie, petit théâtre niché dans ce joli passage qui donne sur la rue Saint-Martin. On arrive un peu en avance. Les murs du hall sont couverts de tirages A4 de la couverture du livre. La salle est petite, très cosy. Sur la scène, un piano, quelques pupitres et, sur la gauche, un petit bureau avec une lampe. Au fond, un écran géant. Il reste quelques places non réservées. On s’assoit au même rang que François-Éric Gendron et Brigitte Kuster, Julie d’Europe 1 et son mari, le frère de Julien Clerc. En se retournant, on aperçoit Yolande Moreau. Catherine Frot, sur son 31 comme si elle allait monter sur scène, la rejoint bientôt. Zaz et son pianiste sont un rang derrière et on aperçoit aussi quelques têtes connues, des gens des médias (Alix de Saint-André, Mathieu Gallet, Béatrice Schönberg…). 20 h ont sonné depuis un bon quart d’heure mais il reste 2 places vides au rang juste devant. On ne peut décemment pas commencer sans elle.
C’est le moment d’échange dinformations entre voisins. D’aucuns ont reçu des messages de Daniel Schick aujourd’hui même mais n’en savent pourtant pas plus que nous, pauvres mortels, sur l’intrigant contenu de cette soirée. Personne ne sait rien ! Daniel a bien posté une vidéo sur Facebook mais on n’était pas plus renseigné après visionnage qu’avant… 
Soudain un frémissement, le placeur est venu prévenir le 2e rang qu’ils allaient devoir bientôt tous se lever. Véronique vient d’arriver et c’est dans un impressionnant silence qu’elle descend bientôt les marches – ce qui nest pas son passe-temps favori – conduisant au devant de la scène. Le noir se fait dès qu’elle et Christian sont installés. Voix off de Chantal Ladesou qui nous rappelle qu’il est interdit de téléphoner, de bouger, de respirer, de baiser… mais qu’en revanche, on peut filmer.
Visionnage de la vidéo de l’auteur dans Paris avec son cabas, et son prolongement logique : Daniel Schick arrive sur scène, traînant ledit cabas qu’il vide sur le petit bureau [Le lendemain après-midi, je croiserai à nouveau l’auteur avec son sempiternel cabas
rue Beaubourg : rien n’est jamais hasard]. Manuscrit en main, il entreprend de lire le chapitre de sa rencontre avec elle (Le piano des îles pour ceux qui ont le livre). Et il lit bien, le bougre – même sans lunettes (voir l’aveu qu’il fera à des amis plus tard en sortant des loges : “J’avais oublié mes lunettes, j’ai pratiquement tout lu de mémoire !”). La voix bien placée, il lit avec gourmandise, ménage ses effets. En quatre mots : il tient son auditoire
Nous regardons le silence, dernière phrase qui prend tout une page dans le format papier. 
Sur l’écran, ce sont maintenant deux danseurs dont les corps se cherchent sur Amoureuse, version maquette de 1971 – choix plutôt finaud.  
Lorsque la lumière revient, on s’aperçoit qu’on n’avait pas vu s’assoir Catherine Frot. Elle lit le texte d’Amoureuse, justement (dans les deux sens du terme).

© L. Calut

La lecture par l’auteur reprend. Les premières pages du chapitre 3, Nous. Puis vient le cit de laccident juste avant cette  émission de radio à la Tour Eiffel où il doit chanter en duo avec elle (“le rêve de chaque terrien”). Henri Demarquette, au violoncelle, transcende Ma révérence. À ce stade, la soirée pourrait ressembler à un enterrement de première classe : il n’en est rien et les nez rouges de clown que Daniel Schick a posés devant lui démentent à chaque instant le ton un peu grave qu’il veut donner à certaines phrases, le côté forcément durassien de sa prose. La solennité n’est qu’apparente, on sait bien qu’il peut tout dynamiter en une seconde. 
On pense très fort à Véronique, dont on ne distingue pas le visage. L’orgueil n’étant pas son fait, on imagine qu’elle doit ressentir un mélange inédit de (légitime) fierté et de gêne extraordinaire. Voilà qu’un intime depuis de nombreuses années la raconte par le menu, lève le voile sur ses mystères, décortique sa façon d’être au monde. Elle se dit peut-être qu’il va falloir épater encore, surprendre davantage celui qui l’a si intimement décodée (sans jamais cambrioler sa peau).
Vient la lecture de l’épisode de la mouche (Drame à ibiza), avec une référence directe à Marguerite D. Puis le récit de sa première fois à Triel, souligné par une vidéo où une petite voiture rouge est filmée par la fenêtre de sa voiture, sur lautoroute qui mène chez elle. Bien vu.
 
C’est maintenant Yolande Moreau qui lit Je me suis tellement manquée. À côté d’elle, Daniel Schick est un livre ouvert. Il réagit, encourage, apprécie. Ne se met pas en colère lorsqu’une jolie nuance du texte est escamotée (J’ai su que je devenais folle / J’ai su que je perdais la tête). 

Il faut des couilles pour lire le chapitre Le salaud alors que Véronique est en face de vous. Je ne connais pas Daniel Schick si intimement, mais il semble bien qu’il les ait : il n’a rien d’un inconscient. [Racontage d’une anecdote perso. Un soir au restaurant avec elle, Christian et Yann, un homme s’approche de notre table, et dit à Véronique : “Je vous admire depuis toujours. Vous savez, pour venir vous parler, il faut des couilles !. Réponse de Véro : “D’accord mais combien ?”]

Le piano sur scène est d’abord pour Thomas Enhco, joli mélange de grâce et de force. Il s’empare de Mortelles pensées, louvoie entre laccompagnement et la mélodie de voix, fait des détours impro jazz bien sûr mais retombe toujours sur ses pieds. On regrette de ne pas filmer, mais la salle est si intime… et puis personne ne filme autour de nous. Cest idiot mais on aurait l’impression de lui manquer de respect. Bien sûr on découvrirait des choses maintenant en regardant la vidéo, mais lorsqu’on filme le souvenir s’inscrit différemment en nous, happé par l’œil de la caméra.
Au balcon, la silhouette d’un homme, casquette américaine, lunettes et blouson de cuir. Un faux(vrai ?)-air de Titou…
 
Lauteur se rapproche du temps présent, raconte le concert de Bapaume (2011), lit de larges extraits du chapitre du livre. Bien sûr, depuis qu’il a commencé sa lecture, on a la tentation de lui coller un procès en narcissisme. Il parle d’elle mais aussi beaucoup de lui. Il donne à voir, ce qui revient à exhiber. Mais ça ne tient pas longtemps… et puis cet exhibitionnisme est une composante de sa personnalité, c’est ce qui le rend presque attachant. Dans son récit, vignettes impressionnistes, il ne se donne d’ailleurs pas toujours le beau rôle – ce qui est un bon point. 
Puisque Véronique finit ses concerts avec Bahia, on en entend quelques notes avant la version intégrale par Zaz, debout près du piano. Bluffant !

Dernier tableau en forme de pied de nez (rouge) : l’auteur-lecteur quitte la scène avec, sur un plateau, un énorme nez de clown éclatant symbole de leur complicité que Véronique chausse bien sûr et comment ! – avant de se retourner pour faire rire lassemblée et montrer ainsi sa complète adhésion à ce qu’elle vient de voir. > vidéo Instagram


C’est sur les notes de Dignes, dingues, donc… que Daniel Schick remercie celles et ceux qui l’ont accompagné dans cette drôle d’entreprise, ce spectacle ovni qui pourrait partir en tournée demain mais qui n’était pourtant qu’un exemplaire unique. Tous le rejoignent sur scène avant bien sûr qu’il n’y appelle Véronique. Elle n’hésite pas une seconde, rêvait sans doute du moment où elle pourrait enfin embrasser chaque artiste comme du bon pain et dire à l’auteur combien elle est fière de lui. Elle n’a pas de micro, Daniel tend le sien vers sa bouche. Elle avoue qu’elle a “un tout petit peu les larmes aux yeux”, qu'elle a gardé ses lunettes “parce qu’elle ne voit rien” et que ça tombe bien qu’elles soient fumées : on ne voit pas le rimel qui a coulé. Il pose ses mains sur ses épaules. “Voilà oh j’suis contente !”. Il la prend dans ses bras. Applaudissements. Elle souligne, avec l’accord de Daniel Schick, le nombre de fautes d’orthographe qu’elle a dû rectifier dans le manuscrit. Lauteur saute sur place comme un enfant : “We love you! We love you!”

© L. Calut

La salle se vide vers le hall, vers deux buffets où se distribuent des rafraîchissements qui vont du jus d’orange… au champagne, non loin d’un point de vente où Avec elle figure en très bonne place. On aperçoit Titou (c’était donc bien lui) en grande conversation avec Gérard Pont. Il racontera ensuite le grand écart entre Dallas, d’où il arrive directement, et ce petit temple de la poésie française !
L’auteur est encore dans les loges avec les artistes et avec elle. En quittant sa loge, Véronique tombe sur les ayant-droits de Jean Sablon. Ils rêvaient de lui demander – sans aucun souci inquisiteur – si elle avait entendu sa chanson Je tire ma révérence (qui date des années 1930) avant d’écrire la sienne. Elle répond sans détour que oui, bien sûr, explique qu’elle a écrit ce texte “d’un seul trait en exactement 3 minutes” et qu’elle aimerait bien que ce genre de choses lui arrive encore ! Ils souhaitent être pris en photo à ses côtés sur la scène du théâtre vide. Étant donné le mauvais éclairage, ils m’ont adressé la photo avec ce commentaire : “Nous sommes dans le ton de ...Vous qui passez sans me voir...” ! :

 
 

Dans le hall, tout est bien organisé, il y a même un coin photocall Daniel peut poser avec les artistes de la soirée – et avec elle bien sûr (dernière fois, promis) – avant un dîner organisé au Café Beaubourg. Juste avant d’y aller, c'est un Titou protecteur qui dénoue son cheich pour le passer au cou de sa mère

© L. Calut

On repart avec cette idée : le ton du livre se prêtant si bien à la lecture à voix haute, l’auteur devrait en enregistrer une version audio, à l’instar de ces cassettes qu’on avait jadis

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