Désintox

D É S I N T O X
  
[article publié en mai 2020, régulièrement mis à jour]
 
« Le réel n’existe plus avec Internet. Ce n’est pas la vérité qui importe, c’est la viralité. Elle remplace la vérité, elle rime avec elle. Le plus important ce n’est pas que l’on dise vrai, mais qu’on dise et que ce soit répété. » (Kamel Daoud dans Boomerang le 1er octobre 2020).
 
Check News, Désintox, Stop Intox… On voit fleurir partout sur Internet de nécessaires remparts aux fake news, dont certaines peuvent nuire gravement au respect de la vérité, à l’intégrité de personnes publiques
Il ne sera évidemment question ici que de celles concernant Véronique Sanson, dans sa jolie vérité sur la photo de gauche, intoxiquée de barbouillages sur celle de droite – en l’occurrence par un petit Titou farceur ;-). 
Des détails, parfois. Des trucs plus embêtants aussi, surtout quand ils sont relayés par des sites qui ont pignon sur écran, comme la première intox, trouvée sur le site de la RTS ici comme dans Ici-Paris en juin 2020.


“Michel Berger a écrit pour Véronique Sanson.”
 FAUX  Archi-faux et quand même archi-facile à vérifier… Et pourtant ce genre de fake news n’est pas prêt de s'arrêter, reprise en boucle lors du 30e anniversaire de la mort de Michel (par exemple dans le JT de France2) jusqu’à une énième biographie de Françoise Hardy (par Christian Eudeline en 2022)… 
On sait que Michel Berger écrivait/composait pour d’autres – et principalement pour des femmes : Patricia, Cécile Valéry, Isabelle de Funès, Vanina Michel, Françoise Hardy et bien sûr France Gall – mais Véronique écrit et compose (à de rares exceptions près) ses propres chansons. C’était d’ailleurs le sel de leur relation, entre émulation et compétition : ils étaient très prolifiques, se donnaient des challenges “Demain, j’aurai écrit deux chansons” / “Moi trois !”. Ce que Jean Brousse (ami d’enfance de Michel) résume d’un “Entre eux, c’était un peu la course à l’échalote” ! 
Bien sûr on peut dire qu’il a écrit pour elle dans le sens “en pensant à elle”, mais c’est un tout autre débat…  Lire à ce sujet son interview dans Elle n° 1868 du 26 octobre 1981 dans laquelle il dit s’être “adressé à Véronique Sanson dans ses chansons d’amour” et l’analyse de leur correspondance en chansons par Yann Morvan sur ce lien.
 

“Véronique Sanson a quitté Michel Berger sur un coup de tête.”
 FAUX  On lit et on entend cela très fréquemment, avec une variante : elle est partie du jour au lendemain (voir photo). Sans vouloir refaire le chemin à l’envers entre la rencontre avec Stephen Stills (mars 72) et le départ pour le rejoindre (février 73), on ne peut pas vraiment parler de “coup de tête” : le départ, certes précipité et non annoncé, est arrivé presque un an après le coup de foudre. Entre les deux, Véronique a été “assiégée” par le guitariste américain. Les portables n’existaient pas mais il y avait des intermédiaires. Il y a même eu un faux départ, qui fait l’objet du paragraphe suivant.


“Véronique Sanson a quitté Michel Berger en 1972 alors qu’il l’attendait en studio. Il a terminé seul son album.”
 FAUX  et  VRAI  Cette histoire continue à être difficile à démêler (y compris dans ce nouveau portrait de Michel sur RTL). Il faut dire qu’aucun journaliste ne s’y est intéressé au moment des faits : Michel Berger n’était pas encore très connu – hormis pour ses 45 tours dans les années 1960 – et le départ de Véronique n’a été évoqué brièvement dans la presse qu’après coup, au moment de son mariage (et une seule fois à ma connaissance, dans Salut les copains). Une chose est vraie : si Michel a terminé seul De l’autre côté de mon rêve, c’est bien parce que Véronique n’est pas venue à un rendez-vous en studio et a disparu les jours suivants. Mais il ne s’agit pas du fameux départ pour New York. C’est Élodie Mialet, réalisatrice de Un jour, un destin, qui a rassemblé le puzzle (hélas, nous ne l’avons pas crue sur le coup et la version de son film est donc inexacte, tout comme celle du livre Les années américaines). Attendue en studio, Véronique a fugué quelques jours à Londres avec Stephen Stills, avant de revenir auprès de Michel. Ils ont même assisté ensemble 2 mois plus tard au mariage de Violaine, sœur de Véronique. Ce retour et la double vie de Véronique durant cette courte période inspireront d’ailleurs à ce dernier une superbe chanson, Le secret
Le faux départ dont il était question dans le paragraphe précédent est, lui, relaté dans le livre Les années américaines : début octobre 72, Stephen Stills et son manager espèrent repartir de Paris avec Véronique. Mais elle n’est pas prête (on ne peut donc encore une fois pas parler de “coup de tête”) et se rendra à l’aéroport sans son passeport, feignant l’étourderie et les les laissant repartir seuls, furieux. À ce sujet lire mon article publié dans Schnock n° 47 (été 2023) :
 
 

“Avec Michel, on ne s’est jamais revus.”
 FAUX  Là c’est embêtant pour un biographe parce que c’est l’artiste elle-même qui parle et que ce n’est pas vrai. Y a des preuves ! Il y a cet épisode qu’elle a souvent raconté quand elle a présenté son fils à Michel dans les bureaux de leur maison de disque commune (fin des années 1980, rencontre tout à fait fortuite), celui d’un coup de fil de Michel de passage à Los Angeles (au moment précis où elle voyait passer un rat dans sa bibliothèque) et qui a débouché sur une rencontre. Il y a l’enregistrement de la chanson pour sauver l’Éthiopie en 1985, une télé pour les Restos du Cœur début 1990, une autre où ils sont assis sur le même canapé toujours en 1990 (Étoile Palace de Frédéric Mitterrand). Il y a la représentation de Starmania (époque Maurane et Peter Lorne) à laquelle Véronique a assisté avec Christopher, et après laquelle ils sont passés en coulisses et ont salué Michel. Et il y a bien sûr aussi l’enregistrement de la seconde version de la chanson Allah… Si Véronique répond souvent qu’ils ne se sont jamais revus, c’est avant tout pour avoir la paix, pour que la question suivante ne vienne pas fouiller davantage dans des souvenirs qui ne devraient regarder qu’eux.


Seras-tu là a été écrit pour France Gall.”
 VRAISEMBLABLEMENT FAUX  Une chanson n’est pas une lettre et personne ne possède une explication (véri)fiable des textes de Michel Berger, ni la date exacte de la composition de Seras-tu là. Une phrase comme “Pour nos souvenirs et nos amours / Inoubliables inconsolables” peut – si on considère l’option selon laquelle la chanson est adressée à France Gall – faire référence à leurs histoires d’amour passées à l’un et à l’autre (Michel évoquant Véronique en ce qui le concerne, et Julien Clerc en ce qui concerne France). Mais le couplet “Pour nos soupirs sur le passé / Que l’on voulait / Que l’on rêvait” penche plutôt pour une chanson adressée à Véronique : il n’a en effet pas encore de “passé”, ni de “rêves” avec France sur lequel “soupirer”. Ces mots correspondent davantage au regret d’une longue histoire d’amour plutôt qu’à l’évocation d’une relation débutante.
 
De plus, soyons réaliste : si Véronique Sanson s’était réellement fourvoyée en répondant (par son Je serai là en 1976) à une chanson qui ne lui était adressée, Michel Berger n’aurait-il pas réagi – en privé lorsqu’ils se sont revus ou bien publiquement, même si ce n’était pas vraiment son style ?
 
Pour en finir avec les infox sur Michel Berger :

 
  
“Véronique Sanson a reçu l’extrême-onction lors de son AVC en 1965.”
 FAUX  D’abord ce n’était pas un AVC mais une méningite et puis si le Père Hébrard était à son chevet, ce n'était pas pour lui administrer les derniers sacrements mais simplement pour lui rendre visite en tant qu’ami de la famille – il avait marié ses parents vingt ans plus tôt. Là encore, c’est souvent Véronique qui a raconté cette anecdote, reprise dans toutes les biographies. Un peu de storytelling ne nuit pas ;-)


“Véronique Sanson fait partie des personnalités pro-corrida.”
 FAUX  Il faudrait aujourd’hui conjuguer cette affirmation à l’imparfait. En effet elle a assisté avec ses parents à des corridas dans les années 1950-60, temps reculés où on s’inquiétait peu de la souffrance animale et qui ont fait d’elle une aficionada jusqu’à la fin des années 1990…  Son nom apparaît toujours dans une liste dressée en 2011 et elle continue à recevoir quelques messages haineux via le site officiel ou la page Facebook officielle… Mais aujourd’hui elle est évidemment et farouchement CONTRE, signe et partage (les rares fois où elle va sur Twitter – comme ici en 2016) des pétitions qui ne laissent planer aucun doute sur son engagement réel pour la cause animale : il est grand temps d’actualiser cette information. 


“Les deux sœurs portent un prénom commençant par le V de la Victoire.”
 FAUX EN PARTIE  La vérité se trouve déjà dans la biographie de Françoise Arnould et Françoise Gerber parue en 1986 : Colette Sanson avait pensé appeler sa première fille Marie, mais son époux avait craqué pour l’héroïne de la pièce de Claudel, L’annonce faite à Marie, qui s’appelle Violaine… et comme c’est lui qui est allé la déclarer… Pour leur seconde fille, ils étaient d’accord pour rester dans les V (qui rappelait effectivement la victoire de la Guerre) et le prénom Véronique rappelait à Colette “une très belle figure de la religion catholique”.


“Véronique Sanson porte encore la bague de fiançailles de Michel Berger.”
 FAUX  On trouve cette “information” page 59 d’une biographie approximative parue début 2020. Il y est aussi fait mention d’une cérémonie de fiançailles. En réalité il n’y a jamais eu de cérémonie de fiançailles. Après le départ de Véronique en 1973, sa mère a rendu la bague à Annette Haas, la mère de Michel… qui l’a rappelée peu après : la bague étant un cadeau, Michel ne voulait pas la récupérer. Comme l’a fort justement écrit Jean-François Brieu dans Doux dehors, fou dedans (2001), Véronique possède toujours cette bague et elle l’a seulement portée à quelques occasions sur scène. Nuance… 
 
 
“En 1978, Véronique Sanson a été la première femme à jouer au Palais des Sports de Paris.”
 FAUX  Nouveau mea culpa car c’est une information qui a été reproduite sans vérification dans Les années américaines. Il aurait fallu ajouter « européenne » :
Aretha Franklin l’avait devancée en 1977…
 

Allez, un scoop pour finir sur une note plus optimiste : 

“Véronique Sanson est synesthète.”
 VRAI !  Et personne ne le sait ! La synesthésie – merci Wikipedia – est un phénomène neurologique non pathologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés (de manière durable). Par exemple la synesthésie dite « graphèmes-couleurs » (qui représenterait 65 % des synesthésies) fait que les lettres de l'alphabet (ou des nombres) sont perçues colorées. C’est précisément celle qui touche Véronique depuis l’enfance : pour elle, une couleur est attachée à chaque lettre, à chaque chiffre. Toujours la même, mais dans des teintes qui peuvent être différentes. Le 7 est par exemple toujours vert, mais peut être vert tilleul, vert amande… Elle n’en a jamais parlé, pensait que tout le monde ressentait la même chose et a seulement récemment découvert le nom de cet état éminemment poétique…  (allo, Rimbaud ?)

• Véronique Sanson | 2024 Bxls

 

Véronique Sanson,
Cirque Royal, Bruxelles,
22 et 23 février 2024

Bulletin météo bruxellois de fin de semaine : déferlement de la tempête Louis. La nouvelle est partout alors qu’une autre tempête va décoiffer deux soirs de suite le Cirque Royal et qu’on n’en trouvera pas une ligne dans la presse locale, ni avant ni après deux concerts pourtant exceptionnels !

On aime ce Cirque, sa rondeur, son acoustique, ses sièges tout en haut qui donnent le vertige même de tout en bas. Seul inconvénient : la taille réduite de la scène – d’où le manche de la basse de Dodo qui viendra parfois chatouiller Mehdi… Le décor devra également être adapté : un des “arcs de lumière” sur la gauche dépassera de la scène et on notera l’absence de “l’auréole” qui descend habituellement  du ciel étoilé au moment des piano-voix.


Les balances de l’après-midi sont un régal. Avant l’arrivée de Véronique, le groupe répète à chaque fois un titre pas joué en ce moment (Annecy le jeudi et On m’attend là-bas le vendredi). Une explication plausible serait que ces chansons permettent de bien effectuer les balances tout en sortant un peu de la routine des titres de la setlist, mais on est en droit de suspecter du changement… Tout est en place quand Véronique arrive, s’excusant de son retard. Après avoir répété quelques titres, dont Les délices d’Hollywood, elle tient à retravailler les chœurs sur “C’est une ville de vacances…” avec Mehdi et Guillaume, facétieux duettistes, et ce jusqu’à ce que ça sonne exactement comme elle veut. Pendant la répète de la chanson Véronique (dont on entendra plusieurs variantes “Dominique, c’est mon nom” ou “Angélique, c’est mon nom”…), on chope un détail : au moment de la phrase “Je connais mes ennemis”, Guillaume prenant un air sérieux pour mettre la main sur l’épaule de Mehdi. Facétieux duettistes, on vous disait. Ce même Guillaume qui signe les arrangements de voix de la reprise de Rien que de l’eau, qu’on aime décidément vachement bien – On ne se gênera d’ailleurs pas pour le lui dire. Après le départ de la troupe, Véronique travaille ses intros piano-voix, et surtout une chanson qu’elle aimerait ajouter juste avant Bahia. Mais pas ces deux soirs-là… 

20 h dans la salle. En première partie, Chien Noir, inconnu en ce qui me concerne – à l’instar de toutes les autres premières parties de cette tournée pour être totalement honnête. La profusion de nouvelles voix nous ferait presque perdre le goût de la nouveauté, de la découverte… Chien Noir, donc, qui accroche pourtant nos oreilles dès le premier titre avec sa voix particulière. Il est de cette génération de garçons qui ne craint pas d’afficher une sensibilité non polluée par des siècles d’injonction viriliste. Son thème de prédilection est l’amour, son premier amour s’appelle Julia, et ça donne une bonne chanson qu’on peut écouter ici. On retiendra aussi son Je veux, je veux, je veux, (dans lequel s’est glissé un “Je veux que le diable m’emporte”…), à écouter ici. Avant son dernier titre, il se lâche et explique qu’il a assisté aux balances de Véronique et qu’on va “se prendre une grosse branlée”. Le deuxième soir, il sera un poil plus élégant : “Elle défonce tout, vous allez kiffer”… Quels que soient les mots employés, on ne va pas lui donner tort…


Il quitte la  scène au bout de 5 titres. Véronique ne montant sur scène qu’à 21 h, il reste environ 40 minutes… Et 40 minutes, c’est long, c’est court. Il y a les discussions avec les voisins, les visages absorbés par les smartphones, mais le ton monte régulièrement dans les rangs… “Elle a changé d’avis ou quoi ?” s’interroge ma voisine de droite tandis que celle de gauche glisse à son mari : “Mais qu’ils disent quelque chose…”. Une troisième enfin : “Elle aurait pu laisser le mec chanter plus longtemps”…

Sans être une stratégie de la production, cette impatience organisée peut être vue comme une façon (un peu risquée) de chauffer le public à blanc. Lorsque retentit la sonnerie et que les lumières s’éteignent enfin, que le public devine Véronique marchant vers le piano, c’est l’explosion, la récompense. Les minutes d’attente, le ressentiment s’envolent et l’image tant attendue que l’on a maintenant sous les yeux tranche instantanément avec tout ce qui a pu précédé, imprimant sur nos rétines la blondeur, le scintillement des strass de la veste, le piano blanc, conférant à Véronique un authentique statut d’icône. J’utilise rarement ce terme parce qu’il est tellllllement galvaudé, mais ce premier soir à Bruxelles, assez loin de la scène, a été l’occasion de mesurer en grand l’indiscutable pouvoir de Véronique Sanson – même si elle ne se donne pas la peine d’arriver en hélicoptère… Benjamin Locoge, journaliste de Paris Match croisé plus tard en coulisse, ne s’y trompera pas en parlant d’un “concert de légende” – lui qui n’en est pourtant pas à son premier strapontin (L’article est en bas de cette page).

Le reste du show est à la hauteur de cet impact initial sur le public, si ce n’est au-delà. Pour connaître Véronique, pour savoir qui elle est vraiment, il faut la voir sur scène. Les télés ne disent rien d’elle, sinon l’ennui qu’elle a parfois d’être sur un plateau sans son public, avec l’impossibilité de chanter ce qu’elle veut dans les conditions d’un concert. Le carcan de la promo-télé est trop petit pour elle. Que voulez-vous, elle est larger than life

Tout de suite après le premier titre, elle nous scotche en annonçant Comme je l’imagine d’une façon totalement inédite : “C’est l’histoire de quelqu’un qui est sur le point de se marier, et qui a le coup de foudre pour quelqu’un d’autre… Horreur !” – le premier soir, elle s’est frappée la tempe pour simuler le coup (de foudre) –, avant d’ajouter, philosophe : “C’est pas très très bien, mais enfin c’est la vie…”


 

Sinon, en bref (comme on dit aux infos) lors de ces deux soirs : Pas de battle bruxelloise entre les partisans du “Debout tout le monde !” et ceux du “Assis !” (Cf. CR de Châteauroux) Reprise-surprise des “C’est toujours, c’est toujours…” à la fin de Je suis la seule le 2e soir Le premier soir, après avoir dûment présenté chaque musicien, elle a ajouté “Et merci à vous évidemment !”, doublant très discrètement le “éviiiiidemment” sur l’air d’une chanson qui date de 1987…  Je me suis tellement manquée sera suivie les deux soirs d’une standing ovation – ce qui n’avait pas été le cas à Châteauroux.


Le premier soir, en coulisses, Plastic Bertrand (pas forcément identifié par tout le monde sous sa casquette noire), accompagné de son producteur, ne cache pas sa déconvenue devant la porte fermée de la loge de Véronique : il a un peu hâte de l’embrasser et lui proposer de se retrouver tous ensemble plus tard. Le 2e soir est plus calme. Dans la loge, on se surprend à fredonner les cuivres de Salsa. Impossible de faire autrement, on les a en tête depuis la fin du concert… On regarde Véronique rassembler ses affaires (mille milliards de produits de maquillage) et on pointe, autour de son cou, ce foulard qu’elle a depuis des âges. Elle rit : “Et ce tee-shirt ! C’est celui de “Comme on l’imagine” !”. Incroyable, il n’est pas bleu, mais mauve… Elle explique que, comme pour la veste “de dompteur” en couverture du live 93, la couleur réelle n’a rien à voir avec celle imprimée : les mystères de la quadrichromie…

Comment fait-on pour redescendre sur Terre quand on a été ovationnée par 2000 personnes ? On lui (re)dit combien les gens avaient l’air heureux et épanouis, on lui parle de ceux (et pas forcément des perdreaux de l’année) qui dansaient dans les allées, oubliant l’état du monde le temps d’une soirée. Et puis on suggère la rencontre avec Chien Noir qui n’aurait visiblement pas osé frapper à la porte. Joli moment qu’on propose de terminer en photo-souvenir pour plus tard, avant qu’il aille lui chercher un exemplaire de son CD. 

 

Il est temps de sortir. Les gens de la nuit l’attendent de chaque côté des barrières. Il fait un froid de gueux, elle regarde chacun et chacune – comme elle n’oublie jamais de le faire de la scène, se dévissant le cou pour saluer les spectateurs les plus éloignés –, sourit à ceux et celles qu’elle (re)connaît et avance jusqu’à son van étoilé. Encore une affaire rondement menée…

Photos © LC


© Denis Carpentier

Véronique Sanson, un nouveau tour de chant magistral

Benjamin Locoge – 23/02/2024

Hier soir à Bruxelles Véronique Sanson présentait une nouvelle version de sa tournée “Hasta Luego”. Un concert raccourci mais plus intense que jamais.

Elle n'a pas de nouvel album à défendre. Ni même de compilation reprenant ses plus grands tubes. Mais depuis janvier, Véronique Sanson est repartie sur les routes, prolongeant sa tournée “Hasta Luego” par pur plaisir. Après une première salve de concerts en 2022, des festivals et des Zénith en 2023, on pensait logiquement hier soir au Cirque Royal de Bruxelles retrouver un tour de chant avec lequel on commençait à se familiariser. C'était mal connaître Sanson que de penser ainsi…
 
2000 bruxellois présents
Quand la salle se plonge dans le noir à 21h, c'est pour mieux laisser la patronne s'installer derrière son piano blanc pièce central du somptueux dispositif scénique. Et c'est en solo qu'elle plaque les premiers accords de Véronique chanson tirée de l'album culte “Le Maudit” paru il y a 50 ans. Concentrée Véro fait immédiatement preuve d'une grande forme vocale, guettant l'arrivée progressive de ses sept musiciens.
Si Basile Leroux a cédé sa guitare à Michel-Yves Kochmann, on retrouve les fidèles Dominique Bertram à la basse ou François Constantin aux percussions. “Je suis tellement heureuse d'être là avec vous ce soir, lance-t-elle aux 2000 bruxellois présents (dont Plastic Bertrand), on va partager des moments de colère, des moments de joie et des moments de douceur”.
Et c'est Comme je l'imagine qui arrive, pas totalement maitrisé, qui ouvre la porte à «Indestructible », l'occasion pour le groupe de musiciens d'être rejoints par trois cuivres. Les premiers rangs -ceux des fans les plus hardis ont les yeux écarquillés : leur idole a complètement renouvelé sa setlist, leur délivrant titres rares et peu joués. Comme Un peu d'air pur et hop ! manifeste écolo de 1988 que Véronique présente “comme le constat qu'absolument rien n'a changé depuis”. « Laissez-nous vivre et laissez-nous mourir vieux, sans imbécile et sans caca dans les yeux » chante-t-elle à l'attention de ceux qui massacrent la planète sous nos yeux impuissants.

Une première demi-heure plus que parfaite
Retour ensuite à l'amour avec Je suis la seule ballade émouvante de 1979, là aussi ressurgie du passé avec délice. Que dire de Sans regrets titre d'ouverture de l'album du même nom où Véro se demande ce qu'elle peut faire “pour calmer sa colère”, elle, qui erre “comme une louve solitaire” ? Magnifique moment suspendu où le jeu tout en délicatesse de Michel Yves Kochmann s'apprécie à merveille. Visuellement, un demi-cercle de lumière permet de varier les plaisirs selon les morceaux, tous éclairés avec une poésie bienveillante. Cette première demi-heure est plus que parfaite, tout en surprise et maitrise musicale, laissant présager le meilleur pour la suite.
Je me suis tellement manquée lance le début d'une deuxième partie de concert consacrée aux tubes. Et quels tubes ! Bruxelles se lève dès les premières mesures de Besoin de personne, ovationne Chanson sur une drôle de vie, écoute religieusement Vancouver ou Amoureuse, classiques intemporels, qui procurent tous toujours une sacré ??? d'émotions dans le public comme sur scène. Entre deux, Véro a glissé Les délices d'Hollywood échappé de l'album “Hollywood”  et Bouddha plus entendu depuis quelques années...

La voix est puissante, les sourires, radieux
Avant Bernard's Song (il est de nulle part), Véronique Sanson chausse des lunettes noires pour mieux voir le public qu'elle harangue de sa frêle silhouette. Mais la puissance de sa voix, les sourires qu'elle balance montrent combien la scène est aussi pour elle une cure de jouvence, d'amour, un oxygène qui la porte. Sur la fin de Rien que de l'eau » elle annonce sortir “pour me mettre un coup de peigne, j'ai l'air d'une folle avec mes cheveux en bataille ”, rigole-t-elle, laissant ses musiciens conclure l'affaire.
Le public s'étonne quand ces derniers quittent leur poste au bout d'1h15 de concerts. Mais Véro réapparait et attaque Alia Souza qui fait swinguer le Cirque Royal. En plein milieu du titre, elle introduit un extrait de Salsa autre pépite oubliée, avant de longuement présenter les dix mecs qui l'entourent. Bruxelles croise les doigts : Sanson va-t-elle s'arrêter là ? La voilà qui s'assoit face à son instrument et envoie Ma révérence, en solo. Avant de demander à la salle de l'accompagner sur Bahia, “pour profiter de chaque micro instant de vous jusqu'au bout”.

Un concert de légende
Véro écoute Bruxelles chanter “et je t'aime, oh caresse-moi” puis semble gagnée par un orgasme pianistique, véritable leçon de communion musicale entre une artiste et son public. Un dernier regard, elle rejoint sa loge le poing levé, sans dire un mot. Bruxelles l'ovationne longuement.
Ce show 2024 fera clairement partie des concerts légendaires : aucun temps mort, une intensité immédiate et ininterrompue, une Véronique Sanson au sommet de son art et de sa puissance. On vous aura prévenu.

 

 

 

• Véronique Sanson | 2024

Véronique Sanson,
M.A.CH 36, Châteauroux,
16 février 2024
 
Nouvelle année. Nouvelle tournée. Alors pourquoi pas Châteauroux ? En fait la question aurait dû être : mais pourquoi diable Châteauroux ? Grève des contrôleurs SNCF, pluie torrentielle sur la route, ville grise entre cafés tristes et salons de coiffure tous les 100 m, hôtel moins 2 étoiles… Le bonheur nous attendait pourtant là-bas, au milieu de nulle part, dans une bulle au nom de rasoir posée entre un Buffalo Grill et une Pataterie – même si, et ça a l’air con de l’écrire parce que ça n’a rien à faire ici, on arrive en ce début d’après-midi le cœur brisé à l’annonce de la mort du résistant russe Alexeï Navalny. The show must go on, comme on dit…
 


Véronique n’est pas encore arrivée quand on débarque pour les balances, ce qui donne l’occasion d’entendre 2-3 versions instrumentales (sans piano) jouées par des musiciens déjà en place (dans tous les sens du terme) et de mettre en lumière le détail des nouveaux arrangements. La première qui parvient à nos oreilles est la chanson Véronique, dont on connaît finalement peu de versions live, et qui s’inscrit immédiatement et durablement dans notre imaginaire avec cette guitare lancinante qui n’est pas sans évoquer de vastes paysages américains (ça tombe bien, c’est quand même là-bas qu’elle a été composée). 
 

On s’installe dans la salle déserte sur l’un de ces affreux sièges en plastique orange et on est tout de suite saisi par la beauté du nouveau light show. La silhouette de Véronique s’y découpe bientôt. Elle attaque direct avec ce titre qui porte son prénom, puis Sans regret, avant Un peu d’air pur et hop ! et Indestructible. Elle donne énormément et on feint de s’en inquiéter en la retrouvant au pied de la scène. Elle rassure : “Ne t’en fais pas, j’ai de la réserve.” On la laisse repartir vers sa loge… pour la retrouver tout de suite après derrière la fenêtre ouverte de ladite loge qui donne sur le parking ! Toc toc. Elle lève la tête, surprise, réalisant qu’il va lui falloir baisser le store – ce qu’elle fait avec une hilarante grimace – si elle ne veut pas offrir un strip-tease aux passants de cette partie-là du parking…

Le camarade Baptiste Vignol est là. Il est l’heure de prendre des forces. Au retour, la donne a changé : le parking est bondé et, à l’intérieur de la salle, les accès aux places assises sont si embouteillés qu’on ne découvrira Coline Rio que de loin. Dommage parce qu’il semble que la jeune femme possède un univers bien à elle…  

Le public est chaud, lance des “Véro ! Véro !” dans les airs. De bonne augure. 20:40, on distingue Véronique marchant dans le noir vers son piano blanc. Un certain Mexicain avait milité pendant des années pour que Véronique soit la chanson d’ouverture, il a finalement été tardivement entendu. Véronique a beau ne pas être le titre up tempo qu’on trouve généralement en tête de setlist, il surprend et installe un certain climat. Les musiciens arrivent touche par touche. Le décalage entre la fille qui a écrit ces mots et celle qui les chante devant nos yeux est intéressant. La noirceur de cette écriture-là est derrière elle ; elle peut la convoquer sereinement. Véronique, c’est mon nom… Imparable introduction.
 


Ce concert, à la fois plein d’énergie et de nuances, a pourtant bien failli être gâché par l’éternel souci de la réaction du public aux différentes chansons : se lever ou rester assis ? Reviennent en mémoire les “Assis ! Assis !” d’antan… Depuis des lustres, le combat se joue entre les expansifs et les timides, les bien-portants et les moins en forme, les après-moi-le-déluge et les je-pense-à-ceux-qui-sont-derrière-moi, et surtout les je-veux-envoyer-de-l’énergie-à-celle-qui-est-sur-scène et les spectateurs-témoins qui intériorisent leurs émotions…  
 

Tout a commencé sur Drôle de vie quand une partie du public (qui avait déjà dû voir le film) s’est spontanément massée contre la scène. Moment de grâce vite interrompu par des mains sur les épaules : “Veuillez regagner votre place”. Retour manu militari aux petits sièges en plastique orange. Mais du haut de la scène, Véronique n’en a pas perdu une miette et jette un regard noir en direction de la salle. Le type de regard qu’on aurait aimé immortaliser. Elle laisse passer Les délices d’Hollywood et Vancouver, mais avant d’attaquer Amoureuse, elle interroge la salle, l’air de rien : “On vous empêche de vous lever ?”. Ni une, ni deux, elle se dirige vers le vigile le plus proche qui va certainement passer le plus sale moment de sa carrière, contraint de désobéir aux ordres et abdiquer face à une foule qui rapplique à la vitesse de l’éclair, encouragée par Véronique qui lâche un yes de soulagement derrière son piano. Besoin de personne / Quand je me suis fait ma loi… Dopée par les sourires et les bonnes têtes qu’elle voit maintenant de plus près, électrisée par toute cette énergie, elle va donner le meilleur d’elle-même. 
 
On voyait cette nouvelle série de concerts pour la première fois, notant mentalement au passage les étoiles piquées dans le ciel de scène qui rappellent celles du van qui l’avait conduite jusque là, le retour du sketch de l’homme le plus fort du monde (feat. François Constantin), “l’argent de tes cheveux” qui se pose maintenant sur Guillaume Eyango, la divine contribution de Renaud Gensane à Besoin de personne, la formidable reprise de Rien que de l’eau après le départ de Véronique lorsqu’elle décrète qu’elle doit avoir “une tête de folle”… et toutes ces choses, petites ou grandes, qui font qu’on retournera encore et toujours la voir sur scène…
 


Après le show et le debriefing avec les musiciens, c’est l’heure des visites et des cadeaux en loge. Des signatures aussi, sur le Grand livre de la ville cette fois-ci. On jette un regard sur les pages précédentes, les photos collées sur les pages de gauche et les écritures manuscrites des uns et des autres (Élisabeth Borne, Gabriel Attal, des rappeurs…) en belle page. Espiègle, elle est tentée de redessiner une signature au graphisme un peu trop simple. On la retient et elle finit par s’acquitter de son devoir… On la quitte devant la grille du parking. Quelques irréductibles l’attendent avec des rires et des bravos. Elle leur consacrera un moment important…

 Photos © LC

• Interview Christopher Stills | 2023

Dôme de Paris, mars 2023
 
Intégrale interview Christopher Stills
pour “Schnock”,
février 2023
 
Le numéro 47 de Schnock comporte un copieux Grand Dossier dédié à son illustre mère, Véronique Sanson. Pour l’occasion, le camarade Baptiste Vignol et moi-même étions allés tendre notre micro à Christopher Stills, confortablement installés dans les moelleux fauteuils de l’appartement familial, à un mètre du piano où Véronique a posé ses petites mains à 3-4 ans, assise sur les genoux de son père. Christopher nous a raconté plein de trucs. Las, au moment de rendre notre copie, il a fallu sortir les ciseaux : nous ne disposions que d’une double page. Mais grâce aux dieux de toutes sortes, les blogs existent et permettent aujourd’hui de proposer ici l’interview in extenso
NB. Il sera en concert au Café de la Danse à Paris le 29 avril 2024.

Quel est ton premier souvenir musical ?

La première fois que je suis monté sur scène, c’était à Wembley dans les bras de mon père avec Crosby et Nash devant 90 000 personnes. J’étais bébé mais il a dû se passer quelque chose en moi. Cette espèce de masse de voix et d’applaudissements, quand tous les yeux sont fixés dans ta direction… La scène m’a toujours attiré. J’ai grandi en suivant mes parents et tous leurs musiciens en tournée, c’était des forces de la nature en connexion avec leur musique. Je voyais bien leur charisme, sans le comprendre. 

Wembley, 14 septembre 1974 (© Patrice Pascal)


Et ton premier concert ?

Mon premier vrai concert, c’était pour une High School Party à Paris, j’avais 13-14 ans. Je faisais 1 mètre de haut, j’étais un des plus petits de ma classe et je chantais avec des plus mecs plus âgés. Tout le monde buvait…


À quel moment la musique est-elle devenue une évidence ?

À l’âge de 10 ans, quelque chose a basculé : je rentrais de l’école et j’ai entendu Little Wing de Jimi Hendrix à la radio. J’ai trouvé ça tellement beau. À l’époque je pensais que les notes les plus hautes sur une guitare étaient en bas du manche. Cette chanson a éveillé ma curiosité qui est vite devenue une fascination. Je n’avais encore jamais utilisé la platine dans ma chambre, j’ai retrouvé un album de Buffalo Springfield [groupe de son père, NDLR]. Je me suis enfermé et j’ai mis For What is Worth cinquante fois de suite, sans savoir pourquoi. À partir de là j’ai compris que ce qui se passait sur scène n’avait rien à voir avec la vie de tous les jours, que c’était unique au monde et j’ai commencé à regarder d’une autre façon mon père et tous ces musiciens que je voyais sur scène et à la maison. Mon père raconte quelque chose d’approchant : un jour il est allé voir les Beatles avec sa sœur et c’est là qu’il a eu le déclic, qu’il a su ce qu’il voulait faire.

Paris, avril 1977


Ça donnait quoi, l’ambiance à la maison ?

Il y avait tout le temps de la musique, surtout la nuit. Je m’engueulais avec mon père, je sortais de ma chambre : “Il est 4 heures du matin, j’ai école demain !”. Mon cousin, avec qui je vivais, disait que j’étais le seul à lui tenir tête. Tout le monde lui disait oui, moi je lui rentrais dedans. Je tiens ça de maman, je pense. Mais je ne faisais pas encore de musique à l’époque, un peu pour m’opposer à mon père…
Il faut dire que ce n’était vraiment pas un environnement familial idéal… Dans le studio, il y avait un grand bol de marijuana – le “reste”, c’était tout le temps gardé parce que mon père ne voulait jamais partager (rires). Crosby avait été arrêté, il était en taule. Un jour il a appelé à la maison et c’est moi qui ai décroché. Je devais avoir 10-11 ans et j’étais totalement désolé parce que j’avais vu dans les films que quand tu es en prison, tu as droit à un seul appel et comme j’étais tout seul, je me disais qu’il avait gâché son unique appel… Il est devenu sobre plus tard. Graham n’a jamais vraiment eu ce genre de problème, mais mon père lui, il tenait encore à l’alcool, il tenait à la fête. Il n’est pas très fier de tout ça…  


Tout a changé à ton arrivée en France ?

Oui, Véro vivait avec Étienne [Chicot, NDLR] à l’époque, qui avait deux fils, Alexandre et Adrien. Je retrouvais ma mère pour la première fois et dans un vrai cadre familial, une stabilité que je n’avais jamais connue. Je me suis installé chez mes grands-parents un moment aussi parce que c’était plus pratique pour aller à l’école. C’était des gens très bien élevés, très intelligents. Avec eux j’ai appris la dignité, un sens des responsabilités, les bonnes manières, la bonne bouffe, comment se tenir à table. Et la culture aussi : on regardait les news, on en parlait après. Mon grand-père dirigeait une association d’anciens Résistants de 40. Je prenais le sabre et j’allumais la flamme sous l’Arc de Triomphe, entouré de gardes. Tout à coup, je faisais partie de la République !


La musique, tu l’as d’abord apprise au piano ?

Oui quand j’étais petit, maman a essayé de m’apprendre des trucs, des bouts de Gershwin, de Bach. Je lui retirais les mains quand j’avais compris et je lui disais “À moi, maintenant !” et après j’improvisais, j’étais tout le temps au piano. Elle voulait que je prenne des cours mais les gammes, ça me faisait chier. Je jouais L’amour est un oiseau rebelle de Bizet pour mes potes à l’école à 7-8 ans. Le piano, c’était cette énorme masse collée dans une pièce, et quand je me suis retrouvé avec une guitare dans les mains, un instrument que je pouvais emporter dans ma chambre, j’avais tout à coup un petit cocon à moi, un peu à l’abri du regard des autres. Maman m’a appris les barre chords, sur un genre de blues à la John Lee Hooker. J’ai joué ça pendant des heures et j’ai trouvé mes doigts. 

 

Et tu as continué avec ton père ?

Mon père ne m’a jamais rien montré, et je n’ai jamais pris de cours de guitare. Un jour j’étais en tournée avec lui, et Doug Breidenbach, son guitar tech (le mec qui accorde, check les intonations, les amplis) m’a demandé si je jouais de la guitare. J’ai répondu non, il a trouvé ça bizarre. On était à Salt Lake City, on avait un jour off et il m’a montré Rocky Raccoon et Bungalow Bill des Beatles. J’ai appris assez vite et quand je suis rentré en France, j’ai proposé au prof de guitare d’accorder les 25 guitares espagnoles de l’école s’il me laissait en emprunter une quand je voulais. Il a accepté.

Paris, 2011 (© Christian Meilhan)


Parle-nous de la collection de guitares de ton père.

Quand mon père vivait à Berverly Hills, à côté de sa chambre, il y avait son studio et, derrière, une pièce avec toutes ses guitares. J’y ai passé des journées entières, c’était comme la caverne d’Ali Baba. Ses guitares de collection étaient dans une pièce en bas fermée à clé, dans des boites en bois. Il s’en est fait voler plein, il en a vendu d’autres… Il y a un numéro de Guitare Player Magazine consacré à sa collection, avec les numéros de série, je l’ai à la maison. On a écrit une chanson ensemble quand j’avais 10 ans, Stranger, ma première compo au piano, qui m’a permis de toucher mon premier chèque, quelque chose comme 800 $ (ce qu’on reçoit aujourd’hui quand on écrit un album entier !) avec lesquels j’ai immédiatement acheté pour maman un set complet de casseroles en verre dont j’avais vu la pub à la télé. J’étais fier de moi, mais elle m’a douché quand elle l’a reçu : “Mais qu’est-ce que c’est que ça ?” (rires).


Quand as-tu découvert la musique de ta mère ?

Bien plus tard que celle de mon père. Je me souviens de l’enregistrement de la chanson Le temps est assassin dans un studio en dehors de Paris [studio de La Frette, NDLR]. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser à sa musique. Avant ça, quand elle enregistrait le 7ème, je m’intéressais surtout au flipper dans la salle d’attente du studio à LA, j’y passais mon temps quand je n’allais pas à l’école. Ce qui est marrant, c’est que quand j’ai présenté Haim Saban, le père de ma première femme, à maman, je pensais évidemment qu’ils se voyaient pour la première fois mais ils se sont sauté dans les bras : c’était lui qui avait ce petit studio, il ne m’avait rien dit !
Un jour, elle a fait l’Olympia pour le 25e anniversaire d’un album des Beatles. Elle a joué Something, une chanson magnifique, et à la fin, backstage, devant tout le monde, elle a mis sur mes genoux le coffret CD des Beatles qu’elle avait reçu en me fixant dans les yeux : “Tiens, écoute ça” et juste après elle en a sorti “Sergent’s Pepper” et a dit “Commence avec ça !”. J’avais 13 ans, j’étais dans mon monde de petit garçon mais j’ai compris leur influence. Véronique faisait des tournées, plein d’Olympia, j’étais avec elle et c’était normal pour moi. Mais j’avais des potes qui allaient en colonie de vacances pendant que je me faisais chier dans les tourbus

Triel, années 1990 (collection personnelle V. Sanson)


Ton père était-il fier de tes premières scènes ?

Quand j’ai fait la première partie d’Eddy Mitchell à Bercy [25 au 29 janvier 2000, NDLR] pendant une semaine tout seul avec ma guitare. La première date, je ne savais pas ce que je faisais, je ne tenais rien. Ma mère faisait l’Olympia avec Lee Sklar à l’époque, ils sont venus me voir et Lee m’a dit “Tu joues dans une arène de sport, il faut que t’y fasses des titres up tempo et que tu les fasses le plus fort possible”.  Plus tard j’ai dit à mon père : “Papa j’a joué devant 12 000 personnes pendant une semaine !”, j’attendais un “Bravo mon fils, c’est génial” et il m’a regardé : “Maintenant on peut parler”. On peut voir ça comme un compliment, comme sa manière de dire “Tu es des nôtres”, mais c’était une sorte de warning : on n’est pas là pour se taper dans le dos, on est là pour faire de notre mieux, donc il n’allait pas me cirer les pompes. Je sais qu’il disait du bien de moi quand je ne n’étais pas dans la pièce parce qu’on me l’a dit, mais il ne me le disait pas en face…


Le problème de CSNY, on le sait, c’est qu’ils se battaient tout le temps…

Oui, c’est un peu l’histoire de leur groupe. La blague, c’est : la raison pour laquelle Eagles et America existent, c’est parce que CSNY ont passé leur temps à se battre, au lieu de faire des albums. Il y avait une saine compétition au départ à Laurel Canyon, sur les collines de Californie, avec Joni Mitchell, Mama Cass… L’époque était différente, il y avait tellement de création qu’il n’y avait pas de compétition, tout le monde s’en foutait. Il y en avait un qui disait “Tu fais rien avec ce bridge ?”, il le prenait et il en faisait un hit. Et quand ma mère est arrivée là dedans, elle a voulu sa place, elle a voulu prouver son talent à ces mecs-là et elle s’en est très bien sortie. Et elle a fait le bon choix ensuite en rentrant en France. Je vivais aux États-Unis à cause de la garde qui avait été donnée à mon père au moment du divorce, je l’ai rejointe dès que j’ai pu, après trois années un peu rock’n’roll chez mon père.


En 1993, on te voit avec tes parents sur scène à Los Angeles…

Oui, c’était la première fois qu’on était ensemble sur scène [au Greek Theatre, NDLR]. Je me posais des questions, je me demandais si mes parents allaient se remettre ensemble, tout en sachant que c’était une très mauvaise idée… En fait je pense que mon père était surtout là pour Stevie Wonder [qui parrainait la soirée, NDLR]. Quand je regarde les images, je trouve que maman a toujours ce côté un peu ado, pas assez sûre d’elle, alors que mon père trouve ça normal d’être là. Moi je faisais une chanson ou deux, c’était 5 ans avant mon premier deal avec une maison de disque. Je réalisais avec qui je jouais, mais je ne sais pas si je me prenais assez au sérieux. J’essaie depuis le début de garder ce côté Chuck Yeager [premier pilote à avoir franchi le mur du son, NDLR], qui était connu pour être toujours très cool même quand il était à bord de son avion. It’s only rock’n’roll and I like it, après tout…  


… et on vous retrouve ensemble en 2018 à La Rochelle. Il y a cette grande photo de vous 3 dans le salon chez ta mère…

 

[il réfléchit] Personne ne le sait mais il y a eu un énorme malentendu sur ce concert. L’idée de départ était, à partir du moment où mon père montait sur scène, de faire une chanson de maman, une chanson à lui et une à moi… et aux répétitions, rien n’était prévu à part On m’attend là-bas. Or je savais que c’était la dernière opportunité pour mes deux parents et moi de jouer ensemble sur scène… Alors je suis allé trouver Gérard Pont [directeur des Francofolies, NDLR] et je me suis battu pour qu’on sauve au moins For What It’s Worth, la chanson de mon père. C’était compliqué, il n’avait pas de retour, juste en Ears, et il est tellement sourd qu’il se fie aux vibrations des basses pour savoir où est le rythme. Une belle photo dans le salon, mais un souvenir un peu amer pour moi…


Quel serait ton Top 3 des chansons de tes parents ?

Il y en a tellement… C’est comme si je disais : “Apporte-moi une énorme boite de bonbons, mais je n’en veux que trois”. Non, prends toute la boite, va t’amuser ! Chez mon père, il y a les plus connues et puis, par exemple, cette petite chanson qu’il a écrite à Hawaii pour Véro, My Love Is A Gentle Thing. J’aime tout dans cette chanson, la mélodie, le texte, le son, le côté compact…


Penses-tu que Véronique aurait dû faire carrière aux États-Unis ?

Oui, à un moment elle a eu l’opportunité d’être représentée aux États-Unis et dans le monde. Elle a préféré se concentrer sur la francophonie. Son histoire est tellement incroyable en tant que femme, en tant que chanteuse française. Elle est tellement aimée, respectée… Dans la rue, on me dit souvent “J’ai grandi avec votre mère” et je réponds “Moi aussi !”.


Pour finir, quid de ta carrière en France ?

Après Cléopâtre [comédie musicale dans laquelle il jouait le rôle de César en 2009, NDLR] j’avais une bonne présence en France, mais j’ai été obligé de rentrer aux États-Unis pour raisons familiales… Mes parents ont mis leur carrière en premier, moi j’ai choisi de donner la priorité à mes enfants. Maintenant je voudrais revenir vivre en France avec ma famille et y faire de la musique. Et aussi y refaire du cinéma. Ça va se décider prochainement. 

Propos recueillis par Baptiste Vignol et Laurent Calut le 28 février 2023


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