• Mathieu Rosaz et Isabelle Mayereau | 2009


Archipel
24 novembre 2009

C'est un jeune homme
fougueux, prêt à en découdre, qui s'est élancé vers un piano de concert noyé sous des projections de motifs graphiques, mardi dernier à l'Archipel. Curieux Archipel, boulevard de Strasbourg à Paris, où l'on projette des films dans la journée et des images – parfois animées – sur des musiciens le soir...

Double plateau (avec Isabelle Mayereau) rimant parfois avec double public, Mathieu Rosaz ne fait pas les présentations : ceux et celles qui ne le connaissent pas, il va les prendre à la hussarde. Il affiche un air déterminé, doublé d'une certaine force intérieure. La voix est assurée, peut-être un peu plus grave, et l'acoustique est excellente qui nous la restitue claire et forte. Cintré dans une longue veste de velours noir doublée de mauve, il va donner en une quinzaine de titres un bel éventail de ce qu'il sait faire.

Il faut dire que
Mathieu Rosaz est un homme de scène. C'est là qu'il déploie ses ailes, qu'il respire. Et la formule piano-solo lui va à merveille.

"Je suis un fils de famille / qui ne tient pas son rang". Son répertoire d'un soir est pour moitié pioché dans son dernier album La tête haute quitte à me la faire couper !
. Avec l'aplomb de qui a ôté tous ses masques, il plante son regard dans les yeux des premiers rangs. "Je mets ma robe / Mon chapeau, des plumes, des paillettes / Si ça me botte / Je parais comme j'aime apparaître". Et pourtant, on est bien au-delà d'une gentille provocation ; Mathieu affiche la force tranquille de celui qui assume toutes ses différences et peut ainsi affronter tous les regards.

“Si je te disais / On s'en va / On s'enfuit / N'importe où / Loin d'ici".
On se demande parfois ce qui nous pousse à sortir, à aller s'asseoir dans l'obscurité et à fixer quelqu'un qui, lui, est dans la lumière. En ce qui concerne Mathieu Rosaz, c'est une évidence, il fait partie de ceux que la lumière appelle. Et puis il y a ses chansons qu'on fredonne, qui ont rejoint un patrimoine imaginaire, futurs classiques que trop peu de gens connaissent...
Anniversaire oblige (12 ans que Barbara s'en est allée), après un très beau Vol de nuit, il nous offre un Nantes tout en émotion, dans le respect de l'original, ni trahison, ni copie conforme. La synthèse est réussie : Mathieu sait convoquer d'illustres fantômes pour mieux les tutoyer et surtout nous rappeller qu'une chanson n'existe que si elle est interprétée sur une scène. En rappel, il sortira ainsi de l'oubli où il dormait un titre du répertoire de Cora Vaucaire, Heureusement on ne s'aimait pas, choses graves dites sur un ton léger.

“Ils font la fête sans moi / Dans la maison d'à côté"
.
Le piano tremble sous les coups martelés. La bouche s'éloigne du micro lorsque le ton monte et Mathieu baigne son beau visage dans les lumières, s'abandonnant un instant les yeux clos.
Vient le single Pour ne plus retomber dans ses nouveaux arrangements piano-voix. Et un dernier titre surprise. Comme un homme qui brûle de vous parler d'une rencontre amoureuse, il reprend C'est bon que tu sois là, écrit par Michel Berger pour un album de France Gall, occasion pour Mathieu d'annoncer la mise en chantier d'un spectacle de reprises des chansons de Berger pour 2010.

Il quitte la scène parce qu'il le faut bien et on se dit qu'il ne sera pas simple de lui succéder. L
es premières parties peuvent s'avérer dangereuses... Pourtant, Isabelle Mayereau n'a pas l'air inquiète quand, après un court entracte, elle monte à son tour sur une scène vidée du grand piano noir et où l'attend sagement sa guitare. Et elle a mille fois raison : son charme opère immédiatement et on bascule moelleusement dans son univers, sans même s'en rendre compte.

A l'inverse de Mathieu qui se laisse regarder dans une séduction passive, Isabelle Mayereau scrute chaque visage, convainc de ses regards appuyés, de son beau sourire et surtout avec cette voix si particulière. Les mots sont choisis autant pour leur sonorité que pour leur sens. Ils semblent éclore entre ses lèvres, parfaitement détachés, tranquillement chuchotés.

Il est à nouveau question de Différence : "
T'as pas les mêmes yeux / T'as pas les mêmes mots / Ta vie en couvre feu / Tu la vis en solo". Guitare inventive, impeccable. Connivence avec son public. Isabelle parle beaucoup entre les chansons, évoque ses voyages avec un humour irrésistible et on pense à Laurie Anderson...

Les titres s'enchaînent, liés par une sorte de concept créé pour inclure son nouvel album Hors-pistes à son répertoire et nous emmener loin, bien loin du boulevard de Strasbourg. Et les superbes images projetées derrière elle y sont certainement pour quelque chose.

Elle s'en va sur l'intemporel Tu m'écris, dernier titre avant rappel, repris sur son dernier album. Et le temps passe comme ça / Douceur de papier soie".

N'auront manqué ce soir-là que quelques titres chantés en duo...


• Juliette Gréco | 2009



Théâtre des Champs-Elysées

10 juin 2009

Dernier des 4 spectacles parisiens de Gréco au Théâtre des Champs-Elysées. On sait tout de suite que c'est un grand soir : Josyane Savigneau arbore un très élégant haut en lamé noir et s’affiche debout entre Laurence-Marie, fille de Juliette, et Keiko Nakamura, qui a tant fait pour la carrière de Gréco au Japon. Jean-Claude Carrière est au balcon et j'aperçois au premier rang un habitué des dames en noir, que Barbara appelait Lunettes.

Le noir (couleur dominante de toute la soirée) se fait presqu’à l’heure et Juliette Gréco, 82 printemps, trottine jusqu'à son micro qu'elle ne quittera que le devoir accompli, une petite trentaine de chansons plus tard.


Au démarrage, la voix surprend. Absente, dans le souffle, caverneuse. Adieu la sensualité germanopratine, les accents félins. Depuis quelques années, la caricature s'est accentuée... mais pour devenir plus crédible, serait-on tenté de dire. En effet, jeune, Gréco avait un physique de tragédienne. Aujourd'hui, elle en a la tessiture, elle est une tragédienne.
Comme à son habitude, elle surjoue les textes, accentue presque chaque mot, précède certaines phrases de grande envolées de manches de velours noir. Les mains s'ouvrent, se referment, habiles alors qu’elle les a toujours jugées « pataudes ».

Les textes, elle les débite d'un seul trait, à chaque fois sur les deux ou trois premières notes de la mélodie, nous laissant tout loisir d'écouter le reste de la composition instrumentale nue, sans texte. ça ressemble à de la provocation, à du théâtre chanté. Elle dit plus qu'elle ne chante. Ce n'est pas nouveau mais ça s'est encore accentué. Et Gérard Jouannest est passé maître dans l'art de raccourcir la mélodie là où elle comprime le texte et réussir malgré tout à placer les petites ponctuations qui vont nous remettre la mélodie originelle dans l'oreille. Son jeu est époustouflant. Du grand art.

Les gestes de Gréco sont également des repères de mémoire. Une gestuelle qui précède les mots, les appelle. Même si, depuis peu, on voit son regard couler vers le prompteur à ses pieds. Pas souvent et apparemment plus pour se rassurer que pour y chercher du secours.


De Gréco sur scène, on retiendra qu'elle n’aura pas fait de spectacles best of, pas de compilation de ses vieilles scies comme dans une spéciale de la Chance aux chansons, mais qu'elle aura toujours pris soin de mêler quelques nouveaux titres et anciens. Outre Je me souviens de tout qui ouvre le récital, suivi d’une chanson écrite par Olivia Ruiz, elle glissera ainsi un titre d’Abd Al Malik (texte difficile pour lequel le prompteur se révélera finalement utile). Mais c’est surtout les classiques que le public attend – d’autant que l’acoustique ne permet pas toujours de découvrir au mieux les nouveaux textes.

Avant
Déshabillez-moi (victoire à l’applaudimètre), elle prévient, mutine, « Je sais, je ne devrais pas… ».


A la fin du Né quelque part de Maxime Le Forestier, elle ose ajouter une réponse à la question posée (pour mémoire, « Est-ce que les gens naissent / Egaux en droits /A l'endroit /Où ils naissent »), vibrante et sonore : « Non » !

Incorrigible Juliette... N’est-ce pas elle qui a toujours déclaré « Je suis une femme debout. Même couchée, je suis debout » ?!

« Il paraît que ça fait 60 ans que je chante, annonce-t-elle ingénument, avant une chanson de Marie Nimier et Thierry Illouz. Je ne m’en suis pas aperçue. Un jour, j'ai mis ma main dans la vôtre et vous ne l'avez pas lâchée. » Applaudissements.


La chanson des vieux amants nous redonnera un peu de sa voix chantée, dans les refrains.

Puis vient le redoutable
J’arrive de Brel, exercice obligé et toujours périlleux, « un dialogue avec la mort », comme elle l’annonce à chaque fois. L’émotion est palpable, renforcée par les éclairages crus et changeants (sur les J’arrive). Mais Juliette n’aime pas être là où on l'attend. Elle veut être toujours ce bel animal libre, instinctif, qui lâchera ses « J’arrive » quand elle le voudra, surprenant son pianiste de mari et l’éclairagiste à chaque fois. C’est une réussite et la première standing ovation, lancée des premiers rangs par sa fille.


Elle finira par ce qui devient dans sa bouche Ne m'quitt'pas, exécuté au grand galop (la durée d’origine de la chanson sans doute réduite de deux tiers). Et ne reviendra, encadrée de son accordéoniste et de Gérard Jouannest que pour saluer, 4 ou 5 fois de suite avec ces gestes tellement symboliques et bien trouvés : soit elle fait mine de recueillir toutes ces vagues d’amour pour s’en dorloter, se berçant dans ses propres bras les yeux clos, soit elle prend d'abord l’air surpris puis nous envoie des baisers, esquissant une humble révérence dont elle se relève la dernière fois en vacillant, ce qui la fait rire et la fait se raccrocher à son mari.

Le mythe Gréco existe encore bel et bien. Très sophistiquée en interview, d’un bel éclat brut sur scène, indomptable militante et irrésistible séductrice. Qui l'aime la suive...