• Judith Owen & Friends | 2014

Le Zèbre, Paris 
18 novembre 2014

Une semaine auparavant, je ne connaissais même pas son nom… et voilà que se présente une invitation venue de quelqu’un qui pense que si je m’intéresse aux “années américaines” de Véronique Sanson, un concert dans l'esprit de la scène des troubadours de Laurel Canyon, Californie, a tout pour me séduire…
Un lien conduisait vers l'écoute de Ebb and Flow, nouvel album de Judith Owen et là, l'hésitation n'était même plus envisageable. Un coup d'œil aux noms des fameux et légendaires friends de la dame, et on piaffait déjà : Waddy Wachtel à la guitare, Russel Kunkel à la batterie… et un certain Leland Sklar à la basse. Autant dire les musiciens qu'on retrouve aux crédits des albums seventies de Joni Mitchell, Linda Rondstadt, CSY, James Taylor ou Carole King… et bien sûr du Maudit de Véronique pour les deux derniers.


Pour ce beau monde, le Zèbre de Belleville est un écrin parfait. Cosy, chaleureux, avec le son d'un studio – son d'autant plus parfait ce soir qu'on chuchote que Judith Owen ne se déplace jamais sans son ingé perso… 
La salle est pleine, les rangs serrés, pas de place pour les genoux… Quelques journalistes, certains qu’on reconnaît, et la belle auteur-compositeur d’Une maison après la mienne juste à côté…
L'organisateur monte sur scène, rappelle notre privilège d'assister à ce concert privé et surtout nous enjoint de manifester notre bonheur d'être là aussi fort que possible pendant au moins 1 minute 30. Qu'à cela ne tienne ! 
Les musiciens s’installent donc sous les vivats spontanés, la scène est si petite que Lee Sklar restera caché derrière le piano noir pendant tout le concert. On cherche à voir si sa barbe dépasse entre les pieds de l'instrument, en vain… 


Le show démarre avec la chanson qui ouvre l'album, Train Out Of Hollywood, et  le ton est tout de suite donné car la chanteuse connait son affaire : Judith Owen est une authentique entertainer, une qui assure le show entre et pendant les chansons. Et, on ne peut pas le cacher plus longtemps, qui ose tout, en fait des caisses, des quintaux ! Rien ne l'arrête ! Des œillades plus qu'appuyées, d'innombrables envolées de crinières, des sourires forcés comme autant de grimaces… Cabotine majuscule, elle séduirait un tabouret ! Mais comment dire… On adore ça ! Elle le fait avec une telle décontraction, un air de ne pas être dupe une seule nanoseconde et elle y prend un tel plaisir qu'on la suit, qu'on marche à fond ! Elle nous rend complice de son jeu de séduction davantage que victime. Et puis il y a cette voix, recouverte d'un joli voile. Une voix d'hiver, sans trop d'ampleur ni d'aigus, qui fait mouche grâce à une technique imparable et sert parfaitement ses compositions comme ses covers (In the summertime de Mungo Jerry – qui n'a pas dû être repris si souvent Hey Mister, That's Me Up On The Jukebox de James Taylor, et Blackbird des Beatles en rappel).
Elle se présente elle-même comme dépressive, originaire du Pays de Galle, et parlant mal le français. "On m'a dit que les Parisiens ne crieraient pas…" Le genre de provocation qui fait toujours réagir, donne envie de prouver le contraire. Elle précise qu'elle est souvent venue à Paris (sa sœur était professeur à la Sorbonne), ne manque jamais une occasion de citer les illustres patronymes des musiciens qui l'accompagnent (et appelle Lee Sklar Barbapapa !), de souligner la chance qui est la sienne. Bien sûr ses longs cheveux roux, sa silhouette au piano rappellent un autre talent, une autre grande spécialiste du cabotinage – peut-être avec un peu moins de recul sur elle-même ? On les imagine sur la même scène… 

À la fin, innocente pour de faux, elle demande si ça nous ennuie qu'elle fasse une chanson seule au piano… Tu parles !…


Dans la salle après le concert, Judith Owen dédicace son CD. On ose lui dire qu’on n’en achète plus guère… Elle apprécie l’honnêteté, mais a des arguments. L’objet est plutôt beau et elle sait tellement bien le vendre qu'on ne tarde finalement pas à sortir le portefeuille… Merci encore à elle pour la dernière ligne ajoutée au moment où je repartais.

Cerise sur le gâteau, devant le Zèbre, on tombe sur un autre « drôle de » : Lee Sklar, en personne. Violaine fait les présentations, parle du livre à paraître et Lee regrette de n’avoir pu y participer, annonce qu’il le fera pour la réédition, puis demande encore la date de parution. À l’écouter jouer ou bien à le regarder là sur le boulevard, il faut bien se rendre à l’évidence : ce qu’il dégage est d’un autre ordre que ce que nous connaissons des humains…

Judith Owen reviendra à Paris en février prochain pour un vrai concert avec un vrai public cette fois, à l'occasion de la sortie française d’« Ebb and Flow ». On sera là !



> Il y quelques vidéos live sur sa chaine YouTube

 

• Kate Bush | 2014

Eventim Apollo, Londres 
3 septembre 2014

En février, une amie anglaise bien informée avait prévenu – sous le sceau du plus grand secret – que des dates de concerts de Kate Bush seraient bientôt annoncées sur Londres. On restait dubitatif… jusqu’à l’annonce officielle un mois plus tard, breaking news de l’année, que dis-je de la décennie ! 

Rare single japonais, dédicacé à Paris en 1985.

On le sait, Kate Bush n’a fait qu’une seule tournée mondiale, en 1979. L’énergie et le temps ainsi dépensés l’ont découragée de renouveler l’expérience. L’arrivée de nouvelles technologies a ensuite fait le reste, l’éloignant de la scène une bonne fois pour toute en l’amenant à installer chez elle un home studio.
Perfectionniste, patiente, elle a produit des albums de plus en plus rares et de moins en moins accessibles au public qui acheta ses premiers singles. 

 

On passera sur l’ouverture de la billetterie en ligne – grand moment de stress devant l’Éternel – pour se pencher sur cette drôle de promotion, axée sur des titres sensationnalistes (The Garbo of Pop is back! 35 ans après, Kate Bush remonte sur scène !) avec, tournant en boucle à la télé anglaise, les images de cette jeune fille de 19 ans faisant la roue en robe blanche sur les célébrissimes aigus de Wuthering Heights… 

Aurait-il été possible de baser la promo sur des photos plus récentes ? Sur ses dernières vidéos ? Ce n’est pas qu’il y ait un réel malentendu, mais simplement que la Kate Bush des années 2010 n’est plus tout à fait celle des années 1980 – même si le concert de cette année aura été l’occasion de vérifier la pérennité de ses « obsessions » : le thème aquatique, le thème aérien (avec la plume pour emblème) et même le tir à l’arc, que l’on retrouve à la fin d’un tableau.
Également palpable, la promiscuité incestueuse de certaines chansons (quelques lignes de Cloudbusting entendues dans The Ninth Wave, l’intro de Top of the city qui rappelle celle du lancinant Wild Man, les cloches de Sensual World à la fin de Prelude…). Le genre de détails qui signent l’univers d’un authentique artiste, n’est-il pas ?


Beau temps sur Londres ce soir-là…

Eventim Apollo, 3 septembre 2014. Lorsqu’elle apparaît devant une salle debout chauffée à blanc, on réalise d’emblée l’injustice qu’a représentée son absence : une chanson est faite pour être interprétée sur scène, devant un public. En la voyant caresser la tête de son mari et de son fils (à la ville comme à la scène) dans Watching you without me ou se débattre dans l’eau sur l’écran vidéo de Ninth Wave, on note intérieurement combien ces images ont manqué à la compréhension de son œuvre.
La scène juste avant le concert.

Le spectacle commence comme un concert de rock conventionnel avec la chanteuse, pieds nus comme en 1979, bougeant tranquillement devant un groupe bien rôdé et des choristes, dont celui à l’extrême gauche de la scène n’est autre que son fils, Bertie. Sa voix a gagné en puissance et en profondeur – ce que Tracey Thorn d’Everything But The Girl a décrit comme une prouesse pour quelqu’un qui n’a pas chanté sur scène depuis aussi longtemps. Hounds of love et Running up that hill déclenchent une légitime hystérie, et c’est – on le savait grâce aux premières critiques – après King of the mountain (magnifique version live, une redécouverte !) que le concert devait basculer dans le théâtre, la comédie et l’art vidéo. C’est hélas à ce moment-là que s’est produit, ce soir-là, un incident technique qui nous a valu 20 minutes d’entracte et a sans doute donné des sueurs froides en coulisses. Envolé le bel effet de transition… Le public, très cool, en a profité pour retourner faire main basse sur un merchandising hors de prix et revenir s’asseoir, un litre de bière dans chaque main. Ma voisine est venue spécialement de New York avec deux amies ; à sa gauche, ce sont des Néerlandais et elle a croisé des amis venus du Japon.
 

The Ninth Wave sur scène est la réalisation d’un rêve vieux de presque 30 ans, pour Kate Bush comme pour tous les vétérans dans la salle. On ne dévoilera pas ici pour ceux qui n’ont pas encore vu le show (n’est-ce pas Richard ?) l’incroyable mise en scène de chacun des titres de la conceptuelle face B de Hounds of love. Tous les artifices ont été déployés pour nous faire croire que la scène n’est qu’une immense étendue d’eau, l’utilisation du laser est impressionnante, et le souci du détail se retrouve jusque dans le nombre de rouleaux de soie qui s’entrecroisent avant de disparaître (9, bien sûr). Un carré dans le plancher s’ouvre et fait apparaître ou disparaître la chanteuse, mais il n’y a nul réservoir d’eau sous la scène, comme dans ce spectacle de la compagnie DV8 d’il y a une vingtaine d’années qui nous revient subitement en mémoire. Après une belle débauche d’effets spéciaux (y avait-il vraiment un hélicoptère au-dessus de nos têtes ou pas ?), les musiciens rejoignent simplement la scène, chaleureux, souriants, sur l’intro de The morning fog. Le voyage de la jeune femme prise dans les eaux glacées est terminé et c’est une incroyable standing ovation qui clôt ce premier acte.
La setlist d’après le NME du 6 septembre
(4 pages sur le show)


L’entracte est le bienvenu, qui va nous permettre de mettre à jour nos données internes désormais obsolètes sur le chapitre de la musique anglaise qu’est cette Neuvième Vague, et surtout de reprendre nos esprits. D’autant que Kate Bush, qui n’en fait qu’à sa tête (et elle a bien raison) a prévu, à notre retour, une autre « face B » dans son intégralité (A Sky of Honey, le 2e CD d’Aerial) ! Le résultat est un peu copieux mais pas indigeste (sauf peut-être les guitares saturées à la fin du morceau intitulé Aerial) – les mélodies y étant en apparence moins riches que dans ses compositions précédentes. Les tableaux sont tous plus beaux les uns que les autres, les enchaînements différents de ceux du disque (tout comme pour The Ninth Wave dans la première partie), et pourtant, on ressent une certaine impatience dans le public qu’on analyse comme une volonté de participer davantage. Il lui faudra attendre Cloudbusting (« Our last song for tonight ») pour pouvoir enfin manifester bruyamment un amour retenu pendant toutes les années où Kate Bush ne se produisait pas sur scène. 


Après le show parisien de mai 1979, on gardait en mémoire l’image d’une jeune fille excentrique et très imaginative. Aujourd’hui, on aurait envie de citer cette légende aperçue sous une photo dans la presse flamande (De Standaard) qui la décrit comme « a mother, a goddess, a living mythical figure ». Avec ses belles rondeurs, cet éclatant bonheur d’être sur scène contenu dans son sourire, Kate Bush est magnifiquement généreuse d’elle-même – et c’est cette énergie-là qu’on était venu chercher.
Il faut dire un mot de Bertie, le fils de Kate, 16 ans (en paraissant bien davantage) et saluer son incroyable assurance sur scène en tant que choriste et surtout en tant qu’acteur – sa performance vocale (il chante seul l’inédit Tawny Moon) étant un peu limitée par le timbre actuel de sa voix. Il faut enfin mentionner l’impressionnant groupe de musiciens qui groove magnifiquement, inventif et ultra-professionnel.
En réécoutant le pirate aimablement envoyé par un proche et en revoyant mentalement défiler l’affolante scénographie de certains morceaux, on se régale à l’avance du dvd à sortir – sans doute au moment des fêtes…




Kate, you know what? I love you better now…


Ma chronique du concert de 1979, dans le fanzine Harmonies.