Vendeurs de larmes | 2019


Vendeurs de larmes

Bien sûr je suis conscient que cet article ne va pas changer le cours de ces choses-là et bien sûr je sais qu’il est des combats plus urgents, plus nobles, mais, en passant chaque jour devant les kiosques parisiens, je ne peux m’empêcher de m’exclamer in petto : “Comment a-t-on pu en arriver là ?!”

Il y avait déjà les fameux “tabloïds” britanniques, disgusting presse de caniveau et je me souviens aussi avoir été carrément choqué en entendant parler en 2012 du National Enquirer (États-Unis) qui se demandait en couverture qui pourrait bien mourir après Donna Summer et Barry Gibb, photo de Liza Minnelli (entre autres) peu flatteuse à la clé… Mais, en France, on faisait encore figure de petits joueurs avec nos gentillets France-Dimanche, Ici-Paris et Voici.

Hélas, ils ont fait des petits ! Et le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas beaux à voir avec leurs noms plus subtils les uns que les autres, souvent en typo blanche sur fond rouge dans une couverture saturée de mauvaises nouvelles : Journal de France, Journal France, France Actu, Actualité de France, France Mag, France Matin, Matin France, Paris Confidences, Histoire Vérité, Grace, Lady, Olé!, Ouah!, Oops, Oulala, Diva, Gloria, Flash sans oublier Gossip, Closer, Clever!, Vedettes, Nouveau Vedette, Célébrité Magazine, Secrets de stars, Public, Spécial People, People Story, Confidences Dimanche, Ici!, Enquêteur National, Reality, Succès(et il en manque sûrement)
Bon sang, mais qui achète tout ça ?! 
Et comment s’en sortent les kiosquiers ?

“Ils se marient !”, “Ils divorcent !” : ce bon vieux Voici des années 1990, c’était de la p’tite bière !

Leur accroche préférée en couverture parle de mort imminente : C’est la fin ! En ce moment, c’est le tour de Delon, de Belmondo, de Line Renaud, de Renaud tout court… Pour Véronique Sanson, ils sont un peu pris de court puisqu’elle a elle-même répondu à un (vrai) journaliste (= révélé un douloureux secret, s’est confiée, a déclaré – tel que ce doit être traduit dans cette presse vendeuse de larmes) : “Je suis prête à mourir”. Pas tombé devant les yeux d’un non-voyant ! Aussitôt imprimé, aussitôt récupéré et mis en accroche sur la couverture de l’une de ces parutions (on ne va tout de même pas lui faire de publicité) au-dessus de… “Belmondo, c’est la fin !”. Moche.

Un détail, en passant : dans ce type de parutions, on ne s’embarrasse pas de créditer les photos. On chercherait en vain le moindre nom de photographe… “C’est open bar”, comme dit si bien Tony Frank dont les photos, piquées sur son site, paraissent avec son logo tramé en plein milieu !
Le dernier papier en date concernant Véronique figure une photo que j’avais faite (c’est peut-être ce qui a déclenché mon envie d’écrire ici) et qui n’a rien à voir avec l’article en question (pas important). On ne va tout de même pas appeler un avocat pour ça évidemment, mais c’est franchement rageant : il est clair qu’on ne fait pas une photo pour qu’elle atterrisse dans ce genre de publication…   


Mais le nivellement vers le bas ne se limite bien sûr plus au papier : ces “articles” sont maintenant lus par des voix-robots sur YouTube. D’aguicheurs raccourcis sont également préparés pour Twitter (mais disparaissent mystérieusement quelques semaines après leur parution…). On ne peut pas dire qu’ils fassent recette – sans doute parce que ce genre d’informations attire a priori une frange de la population qui twitte assez peu, n’utilisant son portable que pour appeler ses petits-enfants… L’un des comptes qui en poste s’appelle Pausefun – comment dire… On n’a pas la même notion du fun… 

Même si ce phénomène reste peu encore visible, il participe d’une banalisation du malheur des autres, et cet article n’a pas d’autre but que de le condamner. Recyclant les mêmes âneries nauséabondes d’un titre à l’autre, on souhaiterait juste que ces magazines soient légitimement imprimés sur papier recyclé !

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