En préambule, reconnaissons que la tâche de biographe de quelqu’un comme Michel Berger est plutôt ardue : l’homme a quitté cette Terre en emportant tous ses secrets, n’a fait que de très rares confidences ; les témoignages de ses proches (ou se présentant comme tels) se contredisent et sa famille d’origine, tout comme celle qu’il a fondée, a toujours refusé de témoigner publiquement. D’où des hypothèses, des propos recueillis sans toujours se soucier de vérification, des prises de position risquées ou hasardeuses… Plutôt que d’innombrables biographies sur papier (et leur fatal lot d’incohérences), un site honnête et impartial remis à jour chaque fois qu’un nouvel élément intervient dans le récit de sa vie serait tellement plus approprié. Mais je rêve…
2022
Pas de pénurie de papier qui tienne, les anniversaires – même les plus tristes – ont de beaux jours devant eux. En 2022, on édite et réédite des biographies de Michel Berger jusqu’à frôler l’indigestion : celle d’Yves Bigot le 18 mars, de Grégoire Colard et Alain Morel le 1er juin et celle de François Alquier le 16 juin – suivies de 3 autres un peu plus tard dans l’année. Tour d’horizon.
Michel Berger, par Yves Bigot
À tout seigneur, tout honneur : le premier à dégainer cette année aura été Yves Bigot avec la réédition chez Seuil de son livre paru en 2012, ce qu’on appelle une édition augmentée. Elle l’est de fait, mais encore faut-il savoir de quoi.
Rendons-lui d’emblée justice : il est un des rares à oser parler d’un “style musical Berger-Sanson” dans une introduction qui ne figurait pas dans l’édition précédente. La disparition en 2018 de France Gall l’aura sans doute aidé à sauter le pas là où d’autres, peut-être moins intéressés par l’histoire de la chanson française, resteront focalisés sur le couple Berger-Gall. Extrait : “Pendant quelques années décisives au tournant de la décennie soixante-dix, ils se sont confrontés aux mêmes problématiques pour faire sonner le français, travailler leur phrasé et le balancement rythmique, faire danser les mots sur les notes avec la même dynamique que leurs héros, de Ray Charles aux Beatles.”
En 2012, la première édition lui avait valu un mail de 12 km de mon camarade en véronicologie Yann Morvan dont je lâche ce seul extrait : “Quand on reproduit les propos des divers témoins convoqués, doit on les consigner sans vérifications, ou doit-on se poser la question de leur justesse, au moins sur les faits publics et historiquement vérifiables ? Et si le soupçon d’ajouts de l’auteur entre les guillemets attribués aux interviewés rend difficile la recherche du responsable de l’erreur, le coupable au final est toujours celui qui met son nom au bas du texte.” Yves Bigot avait accusé le coup, concédant par mail l’année dernière : “Je me suis rarement fait avoiner comme ça !!! Yann est toujours fâché ?”. On le rassurait, tout en espérant que la nouvelle édition serait plus en phase avec la réalité des faits. Las…
Yves Bigot a en effet le grand tort d’avoir tendu son micro à tout un tas de gens à la mémoire plus ou moins fiable, et surtout à l’honnêteté intellectuelle douteuse : Bernard Saint-Paul par exemple – et pour ne pas le nommer – n’hésite pas à tenir des propos infamants, en général contredits quelques pages plus tôt ou plus loin par des témoins qui eux ne sont pas en procès avec Véronique au moment où ils sont interviewés*. Alors pourquoi les reproduire ? Vous avez quatre heures.
À la lecture, ça saute très vite aux yeux : il y a un problème de cible dans ce livre. Yves Bigot écrit sur Michel Berger mais truffe son texte d’inutiles parenthèses, périphrases et autres apartés, assommants jusqu’à sonner le glas d’une lecture sereine, dénotant certes une authentique culture rock mais qui passent sans doute bien au-dessus des oreilles des fans de Michel. Un exemple parmi douze mille : page 382, citant la ville suisse où Michel rejoint sa famille, il précise que c’est là qu’habitèrent Keith Richards et Anita Pallenberg – ce dont on se contrefout, on est bien d’accord. Idem pour les citations de Nietzche ou de Mérimée.
Le résultat est donc copieux, voire indigeste, avec des informations en double (on lit au moins deux fois, pages 127 et 155, que les chansons de Véronique ont d’abord été proposées à France Gall, ou que Pierre Lescure était un ami de Michel Berger), et d’autres qui se contredisent. Exemple : page 289, on lit que Michel a enregistré 18 chansons pour son album mais n’en a conservé que 10 au final, et page 304, que “s’il avait besoin de dix chansons, il n’en écrivait pas onze”. Soupir…
Autre exemple, à propos de Béatrice Grimm : page 377, “Jannick Top ne l’a pas connue” (dans une phrase qui sonne comme un déni de l’histoire de Michel avec ce mannequin allemand) mais page 379, “il était dans la confidence”...
Passons sur les erreurs factuelles, ou plutôt non arrêtons-nous y ! Pourquoi préciser une date ou un nom lorsqu’on n’est pas sûr de son coup ? Page 42 : “Jim s’est pendu (qu’il chante chez Albert Raisner)”. On vérifie : point d’Albert Raisner dans cette affaire. Ou “Belles, belles, belles rubrique de Salut les copains” page 100, alors que c’était dans Mademoiselle Âge tendre. On trouve aussi le titre Clapotis (au lieu de Clapotis de soleil)…
Page 134, on lit : “France ira rendre visite à l’ex de son mec chez elle, dans la maison du Colorado”, ce qui est une relecture parfaitement malhonnête : c’est Julien Clerc qui est allé rendre visite à Véronique et qui a fait le voyage avec sa compagne de l’époque, France Gall. Y a nuance...
Au détour d’une page, Yves Bigot distille aussi, l’air de rien, de petites phrases qui méritent d’être relevées, comme celle en fin de paragraphe page 227, à propos de Christine Haas et France Gall : “Un soir, alors qu’elles sont seules toutes les deux à regarder la télévision, à sa grande surprise, France lui prend la main…” Sous-entendrait-il quelque chose ?…
Le sujet restant très délicat, on voudrait tout de même saluer le courage d’Yves Bigot. Celui de ne pas donner dans le “musicalement correct” et d’oser écorner l’image que France Gall s’est évertuée à construire après la mort de son mari. Page 378, on lit ainsi que Michel était “très dragueur” et que Béatrice Grimm n’était pas sa première “expérience extra conjugale”. Pour avoir rencontré (un peu par hasard) l’une de ces femmes, toujours restée dans l’ombre, je voudrais livrer ici une anecdote qu’elle m’a racontée en 2021. À propos d’une de ses chansons, Michel, qui ne faisait jamais d’explication de texte avec les journalistes, lui avait demandé quelle était sa “lumière du jour”, avant de lui dire que pour lui, c’était la musique, qu’elle était son ultime recours, venait toujours à son secours…
NB. La couverture reprend la photo de la première édition du livre de Grégoire Colard et Alain Morel. Chez l’éditeur, personne ne s’en était aperçu : c’est Grégoire qui l’a appris à son ami Yves ! Re-soupir…
* En ce qui concerne les propos qu’il tient page 342, je peux témoigner, l’ayant eue entre les mains, que cette lettre ne contient rien de tel.
Michel Berger l’inoubliable, par Grégoire Colard et Alain Morel
Je connais suffisamment Grégoire Colard pour savoir qu’il n’est pas très à cheval sur les dates ni les détails. J’avais donc pris la liberté de lui dire que le mythe du départ de Véronique pour New York alors que “le pauvre Michel” continuait à travailler seul sur “De l’autre côté de mon rêve” avait fait long feu. Or on retrouve ici la même fable, avec ce côté sensationnaliste que les auteurs affectionnent (page 64) : “Michel ne parvient pas à réfléchir, à respirer, manger, se laver… Il ne vit plus.” Dans la réalité des faits, il vit suffisamment pour se rendre, inquiet, au mariage de son ami Jean Brousse…
Plus grave, les auteurs oublient de dire que Stephen Stills fera une petite visite au studio où Michel et Véronique enregistrent le 2e album. Il y a des témoins, et même des photos (dans Véronique Sanson, Les années américaines, 2015, Grasset, page 12)…
Les auteurs ne sont pas censés le savoir (mais ils peuvent se renseigner) : on sait aussi maintenant que la plupart des chansons du premier album Cœur brisé, dont Si tu t’en vas, ont été écrites alors que Véronique était encore là. Ça modifie quelque peu le sens du récit…
Enfin, page 81, à propos de Véronique, on lit que “Michel ne prononce d’ailleurs plus jamais son nom.” Curieux, on a tous vu ces interviews où Grégoire Colard raconte que, dès qu’ils étaient tous les deux, Michel lui parlait sans cesse de Véronique…
Michel Berger, Une vie en chansons, par François Alquier
Michel Berger, Vivre au rythme de la musique
par Valérie Alamo et Stéphane Deschamps
Détail plus loin, on trouve l’information selon laquelle Stills aurait été pressenti pour jouer sur Comme je l’imagine – information dont on aimerait connaître la source…
Le départ est comme souvent attribué au moment du mixage de “De l’autre côté de mon rêve”, erreur qu’il faudrait corriger partout, mais comment ? : “Michel termine seul ce nouvel opus, entendant comme dans un supplice chinois la voix de celle qu’il aime chanter des chansons qui ne s’adressent pas à lui.” Peut-être aurait-il fallu ajouter qu’il y en avait au moins une, Toute seule – même si c’est encore pire puisqu’elle y chante : “Si tu me laisses une seconde / Je m’en irai courir le monde / Et tu sais que je suis infidèle / Méfie-toi quand s’allumera l’étincelle”…
Page 64, on trouve “Avec ses guitares électriques, le titre J’aime est aussi une déclaration d’amour”. Nuançons : dans cette chanson où le piano domine, on n’entend qu’un court solo de guitare électrique…
Page 30, à propos de Véronique au sein des Roche Martin, on lit : “Cette fille derrière son piano dégage une telle aura”. Or il n’y a pas de piano dans les Roche Martin… Le paragraphe se termine sur l’idée qu’a Véronique de “composer son premier album solo”. Exact mais Michel produira d’abord pour elle un 45 tours chez Pathé sur lequel le livre fait l’impasse.
D’autre part, Michel rejoint WEA début 1971, et non en 1972 (page 39). On lit qu’il fait alors découvrir Supertramp à Véronique – ça peut paraître un peu tôt…
Page 71, on lit que France a entraîné Michel “dans l’ambiance survoltée de la première discothèque gay” (en Californie). On jurerait déceler une volonté d’effacer le rôle de leur attaché de presse (gay) de l’époque, Grégoire Colard, qui a toujours raconté que c’est France et lui qui avaient entraîné Michel…
Page 83, on lit aussi que la première version de Starmania s’est jouée “à guichets fermés”. On sait que c’est loin d’être le cas (du moins en ce qui concerne les toutes premières représentations) et pour ceux qui ont oublié (ou qui n’étaient pas nés), Yves Bigot le dit clairement page 194 de sa biographie (voir plus haut)…
Je viens de terminer le livre de Y.Bigot. Mais il est aussi agréable de vous lire. Merci.
RépondreSupprimerA.L
Merci !
SupprimerBon boulot !
RépondreSupprimerMerci !
RépondreSupprimerMerci Laurent de "remettre les pendules à l'heure" avec justesse et précision.
RépondreSupprimerBrigitte