Silencio, Paris
27 octobre 2013
Dehors le vent est fantastique. En météo, on parle d'un avis de tempête. L'idée d'aller s'abriter dans les profondeurs de Paris paraît d'autant plus séduisante, surtout pour y écouter de la bonne musique...
Le Silencio, rue Montmartre, un dédale de caves transformé en club sélect par un cinéaste avec un univers (David Lynch). L'entrée ne paye pas de mine, on s'engouffre. Sur nos talons, deux grands et beaux yeux sous un casque de moto, avec un air de famille : l'ainée, toujours attirée par la douceur du danger physique. L'escalier est vaste et sombre et on le descend en songeant à ce qu'a pu être ce lieu au siècle dernier (une imprimerie d'où est sortie la première édition du "J'accuse" de Zola et où Jean Jaurès installa L'Humanité, dixit le site du Silencio).
Un vestiaire chic, des loups en carton vert avec des moustaches de chat à discrétion, une voûte couverte de feuilles d'or... Oubliés, les grands boulevards !
L'endroit est privé (la carte de membre à l'année coûte 840 euros !). Il y a du beau linge, quelques têtes connues, de la famille, des amis d'Ibiza, Daniel Schick, Raphaël Mezrahi... Celui qui n'a pas donné son nom à Véronique est assis dans un coin, il dit qu'il n'est encore jamais venu ici. On visite, avec l'impression étrange d'être sur un plateau de cinéma. On cherche les caméras...
Petit à petit, chacun se presse vers la minuscule salle de concert, ça bouchonne. La chaleur est étouffante et les places sont chères. Tant pis, on restera debout. La silhouette d'Angela McCluskey se découpe devant les lumières du fond de scène. Sa chevelure est curieusement mise en forme mais on n'en verra pas plus : son visage ne sera jamais éclairé de face. La voix, rugueuse et chaude, caresse l'oreille agréablement. On l'écoute avec une attention telle qu'on ne reconnaît pas tout de suite le guitariste à sa droite, Christopher en personne, qui assure aussi les chœurs, parfois juste chuchotés. C'est beau, c'est sensuel. Et drôle lorsqu'elle prend la parole (une vraie gouaille avec le juron facile) et qu'elle invite par exemple ses copines à venir du fond de la salle en leur disant que la chanson suivante est pour elles – avant de se raviser "Ah non, celle-là c'est sur l'amour lesbien" !
6-7 titres sans rappel et le rideau champagne rosé se referme. Les premiers rangs se vident, on va pouvoir s'approcher. Deux places se libèrent au pied de la scène, on se rue. Un peu d'agitation sur la droite, c'est l'arrivée de Véronique. Le copain de Pierre lui cède sa place. Les consignes "Photo and video not allowed" un peu partout sur les murs sont respectées. Elles le seront moins lorsqu'elle rejoindra la scène mais nous n'en sommes pas là.
Pour le quart d'heure (comme disait Colette Sanson), le rideau s'ouvre sur un batteur, un bassiste, Pierre Jaconelli à la guitare, deux très jeunes choristes (davantage là pour la déco qu'autre chose, soyons honnêtes les filles !) et Chris Stills, veste noire, chemise noire et pantalon noir. Il attaque doucement avec Hellfire Baby Jane, guitare d'intro qui rappelle un autre Chris (Isaak). Disons-le tout de suite parce que ça nous brûle le clavier : la performance de Christopher ce soir sera mo-nu-men-ta-le. Christopher n'a jamais été le "fils de" que pour la presse, un handicap sans doute plus qu'un passe-droit. Il n'est plus non plus Titou (il aura 40 ans en avril prochain), sauf dans les yeux de sa maman et, curieusement, il n'a jamais l'air de considérer comme une injustice le fait de jouer comme ce soir dans un petit club (même s'il est prestigieux) alors qu'il est de taille à remplir des Olympia, des Zénith... Au Silencio, charismatique en diable, il déploiera une énergie monstrueuse, et pourtant il annonce au micro que ça ne va pas fort : il a d'abord raté son avion au départ de LA, il a la crève... Mais de tout cela, on ne verra rien : agilité vocale, maîtrise rythmique et mélodique, Christopher puise ses forces aux mêmes sources que ses parents (zut, j'y fais référence aussi !). Il sera un jour, à son tour, une influence pour des musiciens à venir.
Quelques commentaires sous une vidéo sur YouTube
Calling the underground ("The Underground", c'est la Résistance) est bien plus pêchu que sur l'ep "Let it rain". De façon générale, ce sera le cas pour tous les titres, qu'il interprétera pratiquement dans l'ordre. On remarque au passage que "When my father and mother are gone / And there's nobody left to remind me / Of that crazy old tempest where I come from" (au singulier dans une version de travail) est devenu plus fédérateur : "When our fathers and mothers are gone / And there's nobody left to remind us / Of that great big old bang where we all come from".
"I heard a sad news tonight... Lou Reed... I'd like to dedicate this next song to him. I wrote it for my daughters... When I divorced... I had to leave the house. Just wanted to tell them 'I'll see ya when I'll see ya’" sont les mots de Christopher pour introduire le magnifique Leaving you behind – morceau dans lequel sa voix fait toutes sortes d'acrobaties.
Il rejoint le piano droit, installé à gauche (il est contrariant) de la petite scène pour un Say my last goodbye qui balance bien et ne déparerait pas dans un récital d'Elton John. Là encore, il donne tout, termine en sueur. Il tombe la veste et enchaîne.
"In the meantime / the hell am I supposed to do? / In the meantime / I'm still in love with you". Ce titre, qu'on l'a vu chanter plusieurs fois sur scène en première partie de Véronique, est lui aussi plus fougueux ce soir que la belle et ténébreuse langueur de la version studio.
Il annonce maintenant une surprise et appelle "Mom" à le rejoindre sur scène, pensant qu'elle va venir des coulisses... Mais Véronique est dans la salle, le scène est haute et elle y sera hissée par Christian. Belle comme tout, tee-shirt rayé sur jeans, foulard gris à étoiles blanches, elle va vers le piano, met ses lunettes et se retourne vers la salle en lançant un "Aaaaahhh" bien sonore. Image rare de Véronique à un piano droit qu'on immortalise mentalement à défaut de pouvoir la prendre en photo. Christopher parle anglais au micro, Véronique le reprend "Parle en français !". Pour rire, il vérifie dans la salle le nombre de langues parlées, en appelant les noms de pays. Des mains se lèvent pour la France et l'Angleterre bien sûr, et même pour l'Equateur. Mais, sorry Chris, aucun Américain dans la salle...
© Claire Sergent (merci à elle)
Le batteur et les deux choristes sont restés, c'est peu dire qu'on se régale à l'avance de la version de Full tilt frog qui nous attend. Ces gens de la nuit-là ne savent pas tous de quoi Véronique est capable et on en verra certains lever les sourcils devant cette authentique blueswoman qui dépote sa race ! (Bon y a bien eu un morceau de couplet en yaourt, mais c'était pour voir si ceux qui connaissent la chanson suivaient bien.)
© Christian Meilhan
Elle ressort par les coulisses sous les applaudissements et Christopher enchaîne avec le sombre et magnifique Don't be afraid au piano, avant de faire le coup du faux rappel (après tout, pourquoi sortir de scène pour y revenir si vite ?) : pour gagner du temps, il recule de deux pas et on l'ovationne comme s'il était parti 10 minutes. Il empoigne sa célèbre guitare verte, et annonce un titre de son premier album, 100 year thing (qu’il avait déjà remanié l'année dernière, vidéo ici). Version particulièrement fougueuse d'un vrai guitar hero. Puis, cette fois-ci, il sort pour de bon.
Chris and Angie, © Kevin Abosch
Dernier rappel. On aperçoit du monde dans la minuscule loge au loin. Angela McCluskey en sort, suivie de Chris, et de Véronique qui va directement au piano. Debout devant son pupitre, Angela dispose des feuillets : les textes d'une chanson qu'un ami lui a fait écouter il y a longtemps et dont elle connaît maintenant l'auteure... "Strands of light upon a bedroom floor / Change the light through an open door / I’m awake but this is not my home"... Véronique la rattrape au piano, Christopher ponctue à la guitare, joue un accord là où Véronique aurait rejeté ses cheveux en arrière. Ça fait plaisir d'entendre Amoureuse en anglais et de pouvoir la chanter avec eux (pensent en chœur les deux véronicologues). Toute la salle est debout. Les feuillets n'arrêtent pas de tomber (la faute à la clim'), on n'est pas loin du running gag ! Peu importe, elle connaît les textes par cœur, tend juste le micro vers la salle pour les fins de couplets. Applaudissements... et voici que Véronique, assise sur un coin de tabouret façon Tori Amos, enchaîne un couplet et un refrain en français, le tout avec une énergie nouvelle, comme pour faire écho à ce qu'elle vient de voir sur scène. Plus tard, elle avouera qu'elle s'est surprise elle-même à le faire ("La version d'Angela était tellement différente, j'ai voulu faire entendre la mienne !"). C'est Angela qui conclura : "They're f***ing talented!".
© Christian Meilhan
Pas encore trouvé trace de vidéos du concert sur internet – car certains ont bien échappé à la vigilance de Kanou ;-)
On peut se consoler avec ce concert unplugged "One on One" (NY, 14 octobre 2013) et cette vidéo (NY, août 2012) dans laquelle on aperçoit Angela McCluskey.
On peut se consoler avec ce concert unplugged "One on One" (NY, 14 octobre 2013) et cette vidéo (NY, août 2012) dans laquelle on aperçoit Angela McCluskey.
Full Tilt Frog par sa géniale créatrice, sur un piano droit dans les sous-sols d'un club privé, ça laisse rêveur.... Merci Laurent pour ce fascinant compte-rendu.
RépondreSupprimerRichard F.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerMerci à vous deux ! Et si vous voyez passer la moindre photo ou vidéo...
RépondreSupprimerMerci pour ce superbe compte rendu qui m'a transporté dans ce lieu même si je n'y étais pas !!!
RépondreSupprimerC'est tellement bien raconté que j' y étais presque.
RépondreSupprimerMerci Laurent, quel moment fabuleux tu as du vivre, merci encore
& Many more ★★★
Bonjour Laurent , Merci pour votre commentaire sur mon blog , et merci aussi pour les précisions (je corrigerai celà dans la journée ) .
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