Eventim Apollo, Londres
3 septembre 2014
En
février, une amie anglaise bien informée avait prévenu – sous le sceau
du plus grand secret – que des dates de concerts de Kate Bush seraient
bientôt annoncées sur Londres. On restait dubitatif… jusqu’à l’annonce officielle un mois plus tard, breaking news de l’année, que dis-je de la décennie !
On le sait, Kate Bush n’a fait qu’une seule tournée mondiale, en 1979. L’énergie et le temps ainsi dépensés l’ont découragée de renouveler l’expérience. L’arrivée de nouvelles technologies a ensuite fait le reste, l’éloignant de la scène une bonne fois pour toute en l’amenant à installer chez elle un home studio.
Perfectionniste, patiente, elle a produit des albums de plus en plus rares et de moins en moins accessibles au public qui acheta ses premiers singles.
On passera sur l’ouverture de la billetterie en ligne – grand moment de stress devant l’Éternel – pour se pencher sur cette drôle de promotion, axée sur des titres sensationnalistes (The Garbo of Pop is back! 35 ans après, Kate Bush remonte sur scène !) avec, tournant en boucle à la télé anglaise, les images de cette jeune fille de 19 ans faisant la roue en robe blanche sur les célébrissimes aigus de Wuthering Heights…
Aurait-il été possible de baser la promo sur des photos plus récentes ? Sur ses dernières vidéos ? Ce n’est pas qu’il y ait un réel malentendu, mais simplement que la Kate Bush des années 2010 n’est plus tout à fait celle des années 1980 – même si le concert de cette année aura été l’occasion de vérifier la pérennité de ses « obsessions » : le thème aquatique, le thème aérien (avec la plume pour emblème) et même le tir à l’arc, que l’on retrouve à la fin d’un tableau.
Également palpable, la promiscuité incestueuse de certaines chansons (quelques lignes de Cloudbusting entendues dans The Ninth Wave, l’intro de Top of the city qui rappelle celle du lancinant Wild Man, les cloches de Sensual World à la fin de Prelude…). Le genre de détails qui signent l’univers d’un authentique artiste, n’est-il pas ?
Eventim Apollo, 3 septembre 2014. Lorsqu’elle apparaît devant une salle debout chauffée à blanc, on réalise d’emblée l’injustice qu’a représentée son absence : une chanson est faite pour être interprétée sur scène, devant un public. En la voyant caresser la tête de son mari et de son fils (à la ville comme à la scène) dans Watching you without me ou se débattre dans l’eau sur l’écran vidéo de Ninth Wave, on note intérieurement combien ces images ont manqué à la compréhension de son œuvre.
Le
spectacle commence comme un concert de rock conventionnel avec la
chanteuse, pieds nus comme en 1979, bougeant tranquillement devant un groupe bien rôdé et des
choristes, dont celui à l’extrême gauche de la scène n’est autre que son fils,
Bertie. Sa voix a gagné en puissance et en profondeur – ce que
Tracey Thorn d’Everything But The Girl a décrit comme une prouesse pour
quelqu’un qui n’a pas chanté sur scène depuis aussi longtemps. Hounds of love et Running up that hill déclenchent une légitime hystérie, et c’est – on le savait grâce aux premières critiques – après King of the mountain
(magnifique version live, une redécouverte !) que le concert devait basculer dans le théâtre,
la comédie et l’art vidéo. C’est hélas à ce moment-là que s’est produit,
ce soir-là, un incident technique qui nous a valu 20 minutes d’entracte
et a sans doute donné des sueurs froides en coulisses. Envolé le bel
effet de transition… Le public, très cool, en a profité pour retourner faire main basse sur un merchandising hors de prix et revenir
s’asseoir, un litre de bière dans chaque main. Ma voisine est venue
spécialement de New York avec deux amies ; à sa gauche, ce sont des
Néerlandais et elle a croisé des amis venus du Japon.
The Ninth Wave sur scène est la réalisation d’un rêve vieux de presque 30 ans, pour Kate Bush comme pour tous les vétérans dans la salle. On ne dévoilera pas ici pour ceux qui n’ont pas encore vu le show (n’est-ce pas Richard ?) l’incroyable mise en scène de chacun des titres de la conceptuelle face B de Hounds of love. Tous les artifices ont été déployés pour nous faire croire que la scène n’est qu’une immense étendue d’eau, l’utilisation du laser est impressionnante, et le souci du détail se retrouve jusque dans le nombre de rouleaux de soie qui s’entrecroisent avant de disparaître (9, bien sûr). Un carré dans le plancher s’ouvre et fait apparaître ou disparaître la chanteuse, mais il n’y a nul réservoir d’eau sous la scène, comme dans ce spectacle de la compagnie DV8 d’il y a une vingtaine d’années qui nous revient subitement en mémoire. Après une belle débauche d’effets spéciaux (y avait-il vraiment un hélicoptère au-dessus de nos têtes ou pas ?), les musiciens rejoignent simplement la scène, chaleureux, souriants, sur l’intro de The morning fog. Le voyage de la jeune femme prise dans les eaux glacées est terminé et c’est une incroyable standing ovation qui clôt ce premier acte.
L’entracte est le bienvenu, qui va nous permettre de mettre à jour nos données internes désormais obsolètes sur le chapitre de la musique anglaise qu’est cette Neuvième Vague, et surtout de reprendre nos esprits. D’autant que Kate Bush, qui n’en fait qu’à sa tête (et elle a bien raison) a prévu, à notre retour, une autre « face B » dans son intégralité (A Sky of Honey, le 2e CD d’Aerial) ! Le résultat est un peu copieux mais pas indigeste (sauf peut-être les guitares saturées à la fin du morceau intitulé Aerial) – les mélodies y étant en apparence moins riches que dans ses compositions précédentes. Les tableaux sont tous plus beaux les uns que les autres, les enchaînements différents de ceux du disque (tout comme pour The Ninth Wave dans la première partie), et pourtant, on ressent une certaine impatience dans le public qu’on analyse comme une volonté de participer davantage. Il lui faudra attendre Cloudbusting (« Our last song for tonight ») pour pouvoir enfin manifester bruyamment un amour retenu pendant toutes les années où Kate Bush ne se produisait pas sur scène.
Après le show parisien de mai 1979, on gardait en mémoire l’image d’une jeune fille excentrique et très imaginative. Aujourd’hui, on aurait envie de citer cette légende aperçue sous une photo dans la presse flamande (De Standaard) qui la décrit comme « a mother, a goddess, a living mythical figure ». Avec ses belles rondeurs, cet éclatant bonheur d’être sur scène contenu dans son sourire, Kate Bush est magnifiquement généreuse d’elle-même – et c’est cette énergie-là qu’on était venu chercher.
Il faut dire un mot de Bertie, le fils de Kate, 16 ans (en paraissant bien davantage) et saluer son incroyable assurance sur scène en tant que choriste et surtout en tant qu’acteur – sa performance vocale (il chante seul l’inédit Tawny Moon) étant un peu limitée par le timbre actuel de sa voix. Il faut enfin mentionner l’impressionnant groupe de musiciens qui groove magnifiquement, inventif et ultra-professionnel.
En réécoutant le pirate aimablement envoyé par un proche et en revoyant mentalement défiler l’affolante scénographie de certains morceaux, on se régale à l’avance du dvd à sortir – sans doute au moment des fêtes…
Kate, you know what? I love you better now…
Rare single japonais, dédicacé à Paris en 1985.
On le sait, Kate Bush n’a fait qu’une seule tournée mondiale, en 1979. L’énergie et le temps ainsi dépensés l’ont découragée de renouveler l’expérience. L’arrivée de nouvelles technologies a ensuite fait le reste, l’éloignant de la scène une bonne fois pour toute en l’amenant à installer chez elle un home studio.
Perfectionniste, patiente, elle a produit des albums de plus en plus rares et de moins en moins accessibles au public qui acheta ses premiers singles.
On passera sur l’ouverture de la billetterie en ligne – grand moment de stress devant l’Éternel – pour se pencher sur cette drôle de promotion, axée sur des titres sensationnalistes (The Garbo of Pop is back! 35 ans après, Kate Bush remonte sur scène !) avec, tournant en boucle à la télé anglaise, les images de cette jeune fille de 19 ans faisant la roue en robe blanche sur les célébrissimes aigus de Wuthering Heights…
Aurait-il été possible de baser la promo sur des photos plus récentes ? Sur ses dernières vidéos ? Ce n’est pas qu’il y ait un réel malentendu, mais simplement que la Kate Bush des années 2010 n’est plus tout à fait celle des années 1980 – même si le concert de cette année aura été l’occasion de vérifier la pérennité de ses « obsessions » : le thème aquatique, le thème aérien (avec la plume pour emblème) et même le tir à l’arc, que l’on retrouve à la fin d’un tableau.
Également palpable, la promiscuité incestueuse de certaines chansons (quelques lignes de Cloudbusting entendues dans The Ninth Wave, l’intro de Top of the city qui rappelle celle du lancinant Wild Man, les cloches de Sensual World à la fin de Prelude…). Le genre de détails qui signent l’univers d’un authentique artiste, n’est-il pas ?
Beau temps sur Londres ce soir-là…
Eventim Apollo, 3 septembre 2014. Lorsqu’elle apparaît devant une salle debout chauffée à blanc, on réalise d’emblée l’injustice qu’a représentée son absence : une chanson est faite pour être interprétée sur scène, devant un public. En la voyant caresser la tête de son mari et de son fils (à la ville comme à la scène) dans Watching you without me ou se débattre dans l’eau sur l’écran vidéo de Ninth Wave, on note intérieurement combien ces images ont manqué à la compréhension de son œuvre.
La scène juste avant le concert.
The Ninth Wave sur scène est la réalisation d’un rêve vieux de presque 30 ans, pour Kate Bush comme pour tous les vétérans dans la salle. On ne dévoilera pas ici pour ceux qui n’ont pas encore vu le show (n’est-ce pas Richard ?) l’incroyable mise en scène de chacun des titres de la conceptuelle face B de Hounds of love. Tous les artifices ont été déployés pour nous faire croire que la scène n’est qu’une immense étendue d’eau, l’utilisation du laser est impressionnante, et le souci du détail se retrouve jusque dans le nombre de rouleaux de soie qui s’entrecroisent avant de disparaître (9, bien sûr). Un carré dans le plancher s’ouvre et fait apparaître ou disparaître la chanteuse, mais il n’y a nul réservoir d’eau sous la scène, comme dans ce spectacle de la compagnie DV8 d’il y a une vingtaine d’années qui nous revient subitement en mémoire. Après une belle débauche d’effets spéciaux (y avait-il vraiment un hélicoptère au-dessus de nos têtes ou pas ?), les musiciens rejoignent simplement la scène, chaleureux, souriants, sur l’intro de The morning fog. Le voyage de la jeune femme prise dans les eaux glacées est terminé et c’est une incroyable standing ovation qui clôt ce premier acte.
L’entracte est le bienvenu, qui va nous permettre de mettre à jour nos données internes désormais obsolètes sur le chapitre de la musique anglaise qu’est cette Neuvième Vague, et surtout de reprendre nos esprits. D’autant que Kate Bush, qui n’en fait qu’à sa tête (et elle a bien raison) a prévu, à notre retour, une autre « face B » dans son intégralité (A Sky of Honey, le 2e CD d’Aerial) ! Le résultat est un peu copieux mais pas indigeste (sauf peut-être les guitares saturées à la fin du morceau intitulé Aerial) – les mélodies y étant en apparence moins riches que dans ses compositions précédentes. Les tableaux sont tous plus beaux les uns que les autres, les enchaînements différents de ceux du disque (tout comme pour The Ninth Wave dans la première partie), et pourtant, on ressent une certaine impatience dans le public qu’on analyse comme une volonté de participer davantage. Il lui faudra attendre Cloudbusting (« Our last song for tonight ») pour pouvoir enfin manifester bruyamment un amour retenu pendant toutes les années où Kate Bush ne se produisait pas sur scène.
Après le show parisien de mai 1979, on gardait en mémoire l’image d’une jeune fille excentrique et très imaginative. Aujourd’hui, on aurait envie de citer cette légende aperçue sous une photo dans la presse flamande (De Standaard) qui la décrit comme « a mother, a goddess, a living mythical figure ». Avec ses belles rondeurs, cet éclatant bonheur d’être sur scène contenu dans son sourire, Kate Bush est magnifiquement généreuse d’elle-même – et c’est cette énergie-là qu’on était venu chercher.
Il faut dire un mot de Bertie, le fils de Kate, 16 ans (en paraissant bien davantage) et saluer son incroyable assurance sur scène en tant que choriste et surtout en tant qu’acteur – sa performance vocale (il chante seul l’inédit Tawny Moon) étant un peu limitée par le timbre actuel de sa voix. Il faut enfin mentionner l’impressionnant groupe de musiciens qui groove magnifiquement, inventif et ultra-professionnel.
En réécoutant le pirate aimablement envoyé par un proche et en revoyant mentalement défiler l’affolante scénographie de certains morceaux, on se régale à l’avance du dvd à sortir – sans doute au moment des fêtes…
Vivement la chronique !
RépondreSupprimerRichard F.