• Jeanne Cherhal | 2012

 104, Paris
21 mars 2012

40 ans et un jour après la sortie officielle du révolutionnaire et premier album de Véronique Sanson, Jeanne Cherhal s'apprête à remplir deux fois de suite la salle 200 du 104, à Paris, pour un concert en haute-fidélité ! 
Dès l'annonce de ce projet, on était emballé et certain que ce serait une réussite. Le soir même, en sortant de la salle, on espérait même que soit né un nouveau concept : la reprise d'un album vintage dans sa version studio initiale, sans tenir compte des versions live et autres reprises qui modifient forcément les titres au fil des ans. Qui pour reprendre l'année prochaine l'album Cœur brisé de Michel Berger dans son intégralité ?

20 heures, premier concert. 
– "Plus long le vibrato ? Vous voulez me tuer ?
– Ah mais je ne vous demandais pas une performance technique, je voulais juste la suite de la chanson..." Le public, recueilli, écoute sagement défiler en boucle la bande son du Discorama de juillet 1972.

Assise devant nous, une journaliste dont j'ai oublié le nom nous prie vertement de nous taire : elle prend des notes. On lui rappellerait bien que le coffret dvd de Discorama est en vente libre et que celui avec Véronique est visible un peu partout sur internet mais la dame n'a pas l'air commode...

Jeanne Cherhal entre en scène et – quelle belle idée ! – se dirige vers une petite table éclairée d'une lampe, à droite du piano, prend le 33 tours posé à côté de l'électrophone, sort le disque de sa pochette et le pose sur la platine. Gestes d'un autre temps bientôt suivis par le craquement sonore du vinyl...
Elle s'assoit au piano et la magie opère immédiatement. Il faut dire qu'à ce moment précis, on a quitté 2012, internet, les portables, facebook... Comme si, en passant la porte de cette salle, on s'était installé dans une fabuleuse machine à remonter le temps pour atterrir dans cette soirée où tout nous évoque quelque chose, tout nous semble familier. L'album est court, on sait que ça va passer vite, trop vite, et toute la salle semble tendue dans l'écoute, attentive à ne pas en perdre une note. 

Les musiciens (Sébastien Hoog à la guitare, Laurent Saligault à la basse, et Eric Pifeteau à la batterie), sans être déguisés, ont un côté très seventies et leur interprétation, calquée note pour note sur celle de l'album original, nous donne davantage l'impression d'assister à une gigantesque séance d'enregistrement (sachant que la prise de son du disque avait été faite en direct) qu'à un concert donné à l'époque. Et quel plaisir de ré-entendre l'attaque des percussions dans le refrain d'Amoureuse, de voir un guitariste exécuter sous nos yeux le solo de Bahia ! Sans parler de l'occasion de redécouvrir en continu l'extraordinaire modernité de textes "jeunes" de 40 ans.
Jeanne Cherhal ne parle pas entre les chansons, enchaîne même le 3e titre au second sans attendre les applaudissements, baisse souvent les yeux. Parfois, lorsqu'elle sourit, on retrouve un peu du sourire de Véronique, millésime 1972.
Sur Mariavah, elle reste assise au piano, tournée vers nous à la façon d'une Tori Amos, faite d'innocence et d'énergie. Bien sûr, elle n'est jamais dans l'imitation d'aucune sorte et le fait d'avoir travaillé aussi longuement les titres de l'album fait qu'ils sont bien à elle ce soir. Sa voix nous trouble, ses aigus sont jolis, un peu voilés.
Sur les applaudissements qui suivent Pour les Michel, elle se lève, prend le 33 tours, le retourne pour jouer la face B et se rassoit pour attaquer Pour qui. Bien vu !
Magnifique Vert, vert, vert, très beau C'est le moment ("Une pensée bleue ou rouge"). 

Après le dernier titre, Dis-lui de revenir, le groupe enchaîne une reprise du thème de la chanson, avant de disparaître en coulisses. Impossible que cela se termine ainsi ! Peut-être un petit Clapotis de soleil ou un Panne de cœur en rappel ? 
Jeanne revient avec ses musiciens, avoue qu'elle va sortir du concept pour aller jusqu'à l'album suivant, sorti la même année (on la sent épatée) et interpréter Comme je l'imagine et Une nuit sur son épaule avec la même intensité.
21 h 30, second concert. Véronique, dans le hall, semble avoir le trac comme si elle allait elle-même monter sur scène – alors qu'elle a déjà prévenu qu'elle n'en ferait rien ("De toute façon, je suis habillée en campagne..."). Une caméra de France 5 la suit partout, sans qu'elle y prête attention. Elle saute dans les bras de Violaine, qui la soulève de terre, un peu à la manière de François Constantin sur scène, et salue quelques têtes connues avant d'entrer à son tour dans la salle et y être longuement applaudie. Par la magie du jeu des chaises forcément musicales (changement de place avec mon voisin à la dernière minute), c'est sur le siège pile devant qu'elle vient s'asseoir. Les vibrations de la scène vont donc voyager à travers l'écran de ses pensées...
Même épisode du vinyl sur la platine. Jeanne, bien sûr au courant de la présence de celle qui lui a envoyé un énorme bouquet de roses, a l'air un poil plus traqueuse qu'à 20 h. Véronique, elle, est très émue. Qu'on se rende compte : la voix d'une jeune femme de 2012 va renouer avec son intimité d'il y a 40 ans, porter ses mots à elle, jeune femme de 1972. 

Les larmes couleront dès les premières notes de la première chanson, qu'elle a pourtant souvent chantée depuis... 
On a rarement l'occasion de voir Véronique spectatrice. Oh bien sûr, et plus encore ce soir, ce n'est pas vraiment une spectatrice lambda : oscillant entre le désir de rester discrète et celui de marquer son soutien, elle applaudira, par exemple, dès leurs premières notes, Louis et C'est le moment. Et on la sentira vibrer pendant tout le concert, totalement enchantée par Jeanne et ses musiciens – et en particulier par ce fameux solo de guitare sur Bahia, "note pour note celui de Claude Engel".
Faux départ sur C'est le moment. Jeanne s'interrompt : "Je me suis trompée, je crois que je viens d'apercevoir Véronique dans la salle !". "Bah justement", lui répond celle-ci, "ça m'arrive tout le temps !". "Ce doit être un hommage…", risque Jeanne, derrière son piano.
La suite se passera sans l'ombre d'un accroc. Bien mieux, chauffée par les applaudissements, elle donnera le meilleur d'elle-même, avec des clins d'œil complices de temps à autre du côté de Véronique, version 2012. Chassé-croisé, mise en abyme, l'exercice de ce soir est vraiment passionnant. Et, comme la première fois, il sera ponctué par deux titres du 2e album, une surprise pour Véronique. 
Les lumières se rallument et déjà, elle cherche du regard un accès aux coulisses. L'avantage avec Véronique, c'est que c'est toujours pour "consommer tout de suite" : elle veut embrasser Jeanne, la féliciter, mais maintenant ! Pourquoi y aller par quatre chemins quand on peut monter sur scène ? Et on l'aperçoit bientôt, le long du rideau, étreignant Jeanne, avant qu'elles ne reviennent ensemble saluer, Véronique pointant ses index vers celle qui vient de l'épater. 
Elle redescend de scène, Jeanne la rappelle. Petit conciliabule. "Qu'est-ce qu'on fait ?" Allez, on remonte sur scène, du côté du piano... 
Jeanne : "On n'a rien préparé", Véro, jouant la consternation : "On n'a rien foutu, voilà !". Et ce sera Amoureuse à deux voix et deux mains, celles de Véronique. Un Amoureuse qui recèle un secret qui fait sourire les initiés – Véronique y parle plus qu'elle ne chante des harmonies de voix insoupçonnées et encore inédites... – et qui, morphing musical, se mue en Temps des cerises et son fameux "merle mo-". Le dernier sera ponctué par Jeanne, "-queur !" (cœur ?) et la salle de ce 2e concert, attendrie (Véronique rappelant sur son épaule la main de Jeanne) et amusée (Jeanne annonçant "Ça, c'est Véro" devant la tournure que prennent les choses), aura bénéficié d'un sympathique bonus.

A l'after-show, organisé dans la salle vide, Jeanne Cherhal sourit à l'envi. Véronique, de retour des loges où elle a tenu à féliciter les musiciens, discute avec JP Nataf. Elle allume bientôt une cigarette qu'elle devra – elle s'en doutait un peu... – aller finir dehors, entraînant à peu près tout le monde avec elle...


Vidéo Pour qui
Vidéo Besoin de personne
Vidéo Bahia
Vidéo Mariavah (extrait)
Vidéo Pour les Michel
Vidéo Amoureuse en duo + Le temps des cerises
Vidéo Une nuit sur son épaule
Reportage Ma vie d’artiste
Radio : Jeanne Cherhal, amoureuse (France Inter)

3 commentaires:

  1. Bravo, on a l'impression d'y être! Ah mais j'y étais, c'est vrai !! ;o)
    Blague à part, c'est précisément -et joliment écrit - ce qui s'est déroulé tout au long de cette soirée magique de voyage dans le temps.
    B.C.

    RépondreSupprimer
  2. Et bien moi, je n'y étais malheureusement pas, mais grâce à ton splendide compte-rendu, c'est tout comme! (ou presque...)
    Merci mille fois pour ces lignes si émouvantes.
    Richard F.

    RépondreSupprimer
  3. Merci Laurent quel beau voyage tu nous fais faire.
    & many more...

    RépondreSupprimer