• Isabelle Adjani | 2022


Le vertige Marilyn
par Isabelle Adjani,
Maison de la Poésie, Paris
31 janvier 2022

 

Rien de prémédité dans mon calendrier des sorties théâtre, mais on ne peut s’empêcher de noter ce curieux télescopage dans le même mois : deux actrices pour deux icônes – Monica Bellucci convoquant Maris Callas et Isabelle Adjani, Marilyn Monroe. Les comparaisons s’arrêtent là : on est ce soir face à une performance dont le but est davantage de nous subjuguer que de nous émouvoir ou même simplement nous toucher. Le vertige Marilyn s’adresse plus à l’esprit qu’au cœur. Et en ce sens, c’est vraiment réussi.

Les places n’étant pas numérotées et le lieu plutôt exigu, il aura fallu arriver de bonne heure et patienter dans le froid, mais qu’importe : en elle-même, la soirée s’annonce déjà comme un véritable événement. Isabelle Adjani à la Maison de la Poésie pour trois soirs uniquement. Pour briller en société, on pourra dire plus tard qu’on y était, comme à ces soirées du temps jadis où l’on voyait au Palace chanter Jeanne Moreau ou Ingrid Caven…

Déjà plus de places à l’orchestre, on se précipite au balcon. Il aura fallu jouer des coudes mais on est face à la scène, non loin de la régie. Flotte dans l’air un délicieux parfum de fleur d’oranger : mon voisin de gauche ou bien ces fumigènes qui envahissent la scène ?

Sans être un spécialiste d’Isabelle Adjani, on se doute qu’on ne verra d’elle que ce qu’elle voudra bien montrer. D’où sans doute ce « brouillard » qui enveloppe déjà une intrigante structure métallique supportant des projecteurs… 


L’entrée en scène est soignée. Rideau noir toujours tiré, obscurité entretenue sur un fond sonore indistinct – Il y aura très peu de véritable silence pendant cette soirée, une très belle idée – et la voix enregistrée d’Isabelle Adjani ressuscitant un appel passé par Marilyn Monroe à une radio, « pour parler », quelques temps avant sa disparition. Les projecteurs s’animent et on aperçoit le dos nu et blanc de l’actrice, assise au milieu de ce curieux assemblage, prostrée. On n’y pensera que plus tard mais l’ensemble rappelle certains tableaux de Francis Bacon…
 
Alternance sera le maître mot de cette performance hybride : tantôt la comédienne nous fait face dans sa pose la plus célèbre (et si souvent caricaturée : ses mains cachant ses joues) et c’est une voix enregistrée qui s’adresse à nous ; tantôt elle lit le récit purement factuel des événements qui ont suivi la découverte du corps de Marilyn, debout au pupitre, nous rappelant une cérémonie des Césars. On la verra aussi nous parler d’elle, établir des parallèles entre la destinée de la star hollywoodienne et son propre parcours. On la verra enfin, lunettes noires lui mangeant le visage, affronter les flashs des reporters (remarquable lightshow de bout en bout) ou revivre une étonnante scène de la vie de Marilyn se donnant à un jeune livreur qu’elle attendait chez elle en peignoir (l’acmé de la soirée en ce qui me concerne). 
 
On suit Isabelle Adjani dans ce dédale labyrinthique pendant près d’une heure et demie, souvent subjugué par sa maîtrise de l’espace et du timing, parfois déçu d’entendre une nouvelle fois un magnéto alors qu’on a tout de même la chance qu’elle soit en chair et en os sous nos yeux. On admire l’envolée de sa main lorsqu’elle fait défiler le texte sur sa tablette, sa voix sensuelle inchangée par le temps qui a malgré tout passé, cette impression générale de légèreté qui se dégage de ses gestes, ses bras ballant le long de cette robe Dior de velours noir, copie conforme de celle portée par Marilyn lors de ce qui restera sa dernière séance photo en juin 1962 (tiens, ça me dit quelque chose ce genre de détail… Allo Tom Volf ?).
 
Le final la voit éteindre une à une les lumières du plateau, jeter à terre les malheureuses fleurs qui s’échappaient d’un vase posé à même la scène puis les piétiner avant de rejoindre l’obscurité derrière le rideau noir.
 
Les applaudissements nourris la ramèneront sous la lumière (mais pas trop : chacun a dégainé son portable pour repartir avec un souvenir), souriante, levant les bras de chaque côté du corps en signe d’interrogation modeste devant tant de chaleur. Vous exagérez, ce n’était pas grand chose, si ? Si, tout de même…



© LC
 




• Monica Bellucci | 2022

Maria Callas
Lettres et mémoires

Montpellier
12 janvier 2022
 

Il fait un froid de gueux. L’hôtel est à 4 minutes de la gare, l’opéra à 4 minutes de l’hôtel : autant dire qu’on ne verra pas grand chose de Montpellier cette fois-ci… Le but du voyage n’était certes pas de faire du tourisme mais c’est dommage : Montpellier a l’air d’être une très jolie ville. 

En réalité le but du voyage, c’est elle : Maria Callas ; elle : Monica Bellucci ; et lui : Tom Volf, metteur en scène d’un spectacle dans lequel dansent main dans la main élégance et nostalgie. Une soirée d’une autre époque, donc... (risque de passer pour un vieux con parfaitement assumé).
 
On est en joyeuse compagnie : Violaine et son fils Julien ont également fait le déplacement de Paris. Pas d’autre choix pour ce rendez-vous : après quelques dates à Paris en 2019, puis une longue interruption pour les raisons qu’on ne connaît que trop bien, il y a bien eu quelques dates en Italie et en Grèce mais il n’y en aura hélas pas d’autres cette année en France...
 

Pas un strapontin de libre sous la splendeur rouge et or de cet opéra inauguré sous Sadi Carnot. Public éclectique, international : autour de nous, on entend parler allemand, espagnol ainsi qu’une langue asiatique.
 
Le rideau se lève sur l’orchestre, prélude tout en douceur de Mascagni (merci le programme : je ne suis pas si familier que ça avec ce répertoire). 
 
La sculpturale silhouette de Monica Bellucci glisse lentement sur la scène, contourne le canapé et vient sagement s’y asseoir, mains croisées sur les genoux. Attitude étudiée mais parfaitement fluide.
 
Superbe maintien, cheveux sages, hauts talons, elle apparaît comme statufiée dans une robe noire dont le programme nous apprend qu’elle a appartenu à Callas elle-même et n’a jamais été portée depuis sa mort. Empreint d’une belle dignité, son visage réussit presque à nous distraire de suivre les courbes vertigineuses de son anatomie. 
 
On est d’abord surpris par sa façon de s’exprimer, de séquencer les phrases, de parler dans le souffle puis, très vite, on est sous le charme. Monica Bellucci est créditée sur le programme avec le joli mot de récitante. Sa voix ne changera donc que très peu de ton, se faisant de plus en plus lasse au fur et à mesure que les nuages se multiplient dans le destin tragique de la cantatrice ici reconstitué chronologiquement à travers ses mots – ses mémoires interrompus et un choix de lettres parmi une abondante correspondance traduite par Tom Volf et sortie en librairie en 2017. L’ensemble révèle une Callas amoureuse et travailleuse, soutenue par une foi en elle-même et en Dieu, sans orgueil mais avec une juste et pleine conscience de son talent.
 
Rien n’est surjoué ici, tout est feutré. Le spectateur s’adapte, s’extirpe de bonne grâce d’un quotidien où tout va toujours plus vite. Les smartphones éteints accumulent des informations qui seront lues plus tard. Notre pouls change de rythme, nos yeux se reposent, nos visages se détendent et la magie opère : on déploie toute notre attention vers la scène, à l’écoute de tourments d’un passé ressuscité le temps d’une soirée, régulièrement interrompus par les grands airs de Bellini, Verdi ou Puccini aveccharme supplémentaire – le bel accent de la comédienne. 
 
Retour au réel sous les applaudissements, et le plaisir de voir Monica Bellucci sortir du rôle et saluer avec le chef d’orchestre (Gwennolé Rufet) et Tom Volf – une scène souvent vue en story sur Instragram, bien plus appréciable du balcon d’un opéra…
 
On n’aura pas le plaisir de la saluer, mesures sanitaires oblige. Simplement le pouvoir de l’imaginer attablée à un dîner en son honneur, à côté de son metteur en scène, dans le restaurant chic devant lequel on passe en chemin vers l’hôtel...
 

 

Prochaines dates 2022 :

21-22 avril : Istanbul
24 avril : Londres
26-27 mai : Saint-Pétersbourg
28-29 mai : Moscou

À suivre :
Juillet : Festival Peralada (Espagne)
Septembre : New York

• Véronique Sanson | 2020

 

Musicales du Parc des Oiseaux
Villars-les-Dombes
10 septembre 2020

 
Fin d’été dans le monde d’après. Anxiogène. Liberticide pour notre bien ou notre malheur selon les opinions. Le temps est au sacrifice. La culture paie un très lourd tribu. On étouffe tous un peu… Au loin, une date comme un phare dans la nuit, une oasis multicolore dans ce désert culturel (annulations de spectacles en chaîne, projets reportés, réouvertures des salles de cinéma et de théâtre a minima…) : celle du seul concert de l’année pour Véronique Sanson, ses musiciens, ses techniciens et toute l’économie afférente. Elle figure donc en lettres capitales sur l’agenda, tentant fièrement d’ignorer l’épée de Damoclès que représente la probabilité d’une nouvelle interdiction de se déplacer à plus de 100 km ou la menace de cas de Covid-19 parmi l’équipe.

© LC

Quelques jours avant, les répétitions dissipent toute crainte : les musiciens ont tous répondu à l’appel. Tout le monde est bronzé, reposé. Bien sûr il n’est pas possible de créer un show entièrement nouveau pour une seule et unique date et, qui plus est, en deux jours de répétitions. Ce sera donc la version longue de la tournée actuelle qui mine de rien entre dans sa quatrième année. Pour l’heure, seule une chanson fait son entrée dans la setlist : Toi et moi

Véronique vient en voisine. Tee-shirt noir sous veste à carreaux rouge et noir, jeans, cheveux relevés avec un chouchou. Visage hâlé et rang de perles avec une tête de mort en faux diamants autour du coup. On se salue du coude en se souriant des yeux. Sa sœur Violaine est déjà là, qui lui fait la surprise de sa visite. Elles sont en forme, ont dansé tard dans la nuit l’avant-veille à un mariage. La répète commence par Vols d’horizons. On s’approche du piano pour entendre la voix : tout comme les guitares et les claviers, elle résonne uniquement dans leurs Ears. La rythmique prévaut, les chansons sonnent de façon presque tribale. On réalise la puissance de la batterie et des percus, celle des ponctuations cuivrées : ça tourne d’enfer ! 

Arrive Rien que de l’eau. Difficile de rester sans bouger. Véronique, qui a remarqué du coin de l’œil que je suis en train de filmer, va chercher Violaine et l’entraîne sur la piste. « Habillée en fille », comme elle s’était décrite elle-même quand on l’avait retrouvée à Paris, elle se lance. On a bien envie de piquer quelques fleurs (celles qui décorent cette salle qui sert aussi à des mariages) dans ses cheveux, dénuder une de ses épaules pour en faire une Marie Laforêt grandeur nature. Les yeux s’écarquillent, le sourire de Véronique s’agrandit démesurément : les deux sœurs ont la même folie en tête, c'est un vrai régal de les voir comme ça. 


Véronique attrape quelques (fausses) bougies et les dispose en mode « allumées » sur le piano et la petite table à côté. On passe aux titres acoustiques. Problème : la guitare de Mehdi est toujours à Triel. Qu’à cela ne tienne, Violaine se propose d’aller la chercher. Pour la blague, elle revient avec la guitare dans un caddie (qui traînait devant la salle) : « Je ne l’ai pas trouvée, alors je suis allée t’en acheter une chez Carrefour » ! Une pause et c’est Amoureuse. Les premiers couplets nous parviennent presque a capella. Émotion.

 
© LC

Fin d’après-midi. Il faut en garder un peu pour le lendemain. Véronique demande si on peut prévenir les gens de venir au concert avec un masque noir : « Sinon ça va me faire vraiment drôle quand je vais les voir de la scène… » On picore dans les friandises à disposition avant de songer à rentrer à Paris. Véronique : « Je vous raccompagne jusqu’à la porte » ;-)

– : – : –

Trois jours plus tard, c’est déjà le Grand Jour. Finalement, c’est arrivé vite ! Le Parc des Oiseaux est un endroit unique. Une île, où tout le monde est tranquille. En y repensant seulement maintenant, gros regret d’avoir suivi les recommandations et de n’avoir pas pris d’appareil photo… D’autant que mon sac n’a jamais été fouillé. Il semblerait que les pandémies fassent oublier les précautions face aux risques terroristes…

Parce qu’on arrive au moment où tout le monde fait la queue pour aller voir un spectacle d’oiseaux en vol, on a le Parc pour nous tout seuls ! Grand luxe. On hésite sur le port du masque mais les employés du Parc en arborent… On suit donc le mouvement, et le sens de la visite. Flamants roses, aras, pingouins, nandous (dont un qui semble en fin de carrière et sur lequel on s’attarde un peu) sont au menu de la promenade. Y a même des kangourous ! Se pose tout de même in petto la question de ce qu’ils doivent bien considérer le soir venu comme une pollution sonore, et que nous appelons de la musique. La saison du festival des Musicales ne doit pas être leur préférée…

Arrivés à l’extrémité nord du Parc, on aperçoit les gradins, la scène. Il est à peu près l’heure prévue pour les balances. Encore une preuve de l’existence de Dieu ! Contrairement aux autres années (Véronique a déjà joué ici en juin 2015 et en juillet 2019), et pour des raisons de situation sanitaire, la scène a été recréée à l’autre bout de l’étang. La vue est splendide. Quand le soleil descendra un peu, la scène sera à contre-jour, mais pour le moment ça va. 2 000 petits sièges en plastique attendent leurs occupants d’un soir. Ils sont plutôt inconfortables, sans doute fait exprès pour que les gens se lèvent tout le temps… On en choisit un plutôt face piano, pas trop loin. Les musiciens débarquent tranquillement. Ils sont au taquet, comme le dit François Constantin. Mehdi s’installe direct au piano. Pas le dernier pour la blagounette, il joue l’intro d’un titre de France Gall/Michel Berger ! Démarrage ensuite sans attendre la patronne : les loges sont de l’autre côté, il faut faire plusieurs voyages en voiture pour en venir. Dignes, dingues, donc…, Ces moments-là déboulent en versions instrumentales, karaokés parfaits.  


© LC

Véronique arrive en manteau ! Mais quel manteau : à dominante verte, avec des motifs camouflage jusque dans la capuche et des animaux cousus un peu partout, dont une girafe. Une pièce unique (en son genre et tout court). François B., masque sur le nez, le lui retire délicatement alors qu’elle est déjà assise au piano, avant de lui installer ses Ears. Elle défait le bandage de son petit doigt. En piste ! L’énergie est palpable. Pas un concert depuis Pleyel… C’est un peu comme si on mettait dans une arène romaine un lion nourri au yaourt depuis 8 mois : elle a faim de faire de la musique !

Bien sûr elle ne force pas sa voix – pas nécessaire pour une balance – mais on sent bien qu’il n’y a aucun lézard de ce côté-là. Un texto d’Alexandre Morat (celui-là même de la chaine YouTube Alexandre | Musique !) nous apprend qu’on entend tout, de l’autre bout du Parc. Adieu la surprise de la chanson ajoutée sur la setlist, à la fin de laquelle Véronique lance : « Et si on commençait par celle-là ? », tandis qu’elle est déjà calée juste après Marie


© LC

Marie, Ainsi s’en va la vie… Elle bataille avec quelques suites d’accord, joue ce qui précède à la vitesse de la lumière (comme on le ferait en chantonnant), s’arrête sur le point d’achoppement et ne passe à autre chose que lorsque ses doigts ont mémorisé. C’est ça quand on n’écrit pas des trucs simples… 

Quittant son piano, Véronique remet son masque. Il est pratiquement 19 heures. Une jeune femme qui travaille pour le Parc l’attend pour l’emmener voir les rapaces…

 


© LC


On revient un peu plus tard, pratiquement aux mêmes sièges. Devant nous, on reconnaît pas mal d’habitués, dont certains croisés dans le Parc. Pas une place de libre hormis les 4-5 rangées réservées aux élus locaux qui arriveront à la dernière minute, donnant sans doute à penser à certains que c’est leur faute si le concert ne commence pas à l’heure dite ! Il y a quelques lanceurs d’applaus. la salle semble hésiter entre réelle impatience et attente pas si désagréable devant le magnifique spectacle du soleil couchant derrière la scène. Une chose est sûre : chaude ambiance en vue.

© Christian Meilhan

21 h 20, les musiciens sont enfin sur scène. Un projecteur bleu transforme le grand arbre à droite en statue. Véronique entre d’un pas qui semble presque modeste, avant de laisser éclater toute son énergie, accompagnant d’un geste fort chaque ponctuation rythmique, traversant le plateau de part en part. Elle affiche une mine superbe. Un vrai petit diable bondissant, avec toujours ce sourire logo, son plus beau maquillage. Nous voilà embarqués pour 2 heures et demie d’un voyage dont on croit tout savoir, mais qui ce soir encore ne lassera pas. Mais faudra quand même penser à des changements pour les festivals annoncés pour 2021, OK ? ;-) 

À la fin du premier titre, elle dit sa surprise devant ces rangées de masques (Tous les sourires qu’on verra pas), se veut rassurante face à la pandémie : « C’est comme ça, faut pas s’affoler ». Quelle que soit la couleur de nos masques, elle ne peut hélas pas les rater, pointe juste le fait que ça va faire bizarre quand on va incliner nos têtes, mimant des rectangles se balançant de gauche à droite. Elle demande à tous de chanter quand même. La sensation sera curieuse : à l’inspiration, le tissu du masque se colle contre la bouche, et à l’expiration, le souffle tend le masque mais contient la voix. Certaines sortent comme étouffées. Sentiment d’unité.

La setlist se déroule dans le même ordre que les années précédentes mais – et ce n’est pas une surprise – un concert n’est pas une représentation de théâtre : le show a beau être hyper-méga-rôdé, tourner à plein régime (solidement rythmé par Jean-Baptiste Cortot), on y note quelques nouveautés dans les solos (Renaud Gensane dans Monsieur Dupont, Yannick Soccal dans Toi et moi et Bertrand Luzignant dans Et s’il était une fois). Quant à la diablesse tout de noir vêtue, elle ne ménagera jamais sa peine, ignorant pour toujours le sens du mot « économie ». Sur tous les fronts, rayonnante et généreuse de tout ce qui fait qu’elle est Véronique Sanson, elle fait de cet unique concert de 2020 un moment dont on sent bien qu’on va le sauvegarder dans nos disques durs intimes. Même les Caresse-moi de Bahia sont nouveaux !  

On admire un détail au passage : les projecteurs balayant la scène pile au moment où le noir se fait à la fin de Rien que de l’eau. L’impression que Véronique, les bras en croix, va s’envoler. Un effet super-héros qui lui va bien au teint. 

© Dominique Laurent

Présentation des musiciens. Bertrand Luzignant vient de faire un impressionnant numéro au cœur de Et s’il était une fois mais il n’est pas toujours facile de se souvenir des noms de famille. Chacun en aura fait l’expérience au moment de présenter X à Y. Alors imaginez lorsque vous avez deux heures de show dans les pattes et rêvez d’une bonne douche parce que la sueur vous dégouline dans le cou... À ma voisine de derrière qui s’est empressée d’imaginer à voix haute que si « Luzignant » ne venait pas directement au cerveau de Véronique, c'est que la petite bouteille sur le piano ne contenait pas (rien) que de l’eau, j’aurais volontiers collé un bourre-pif, mais je suis indéfectiblement non violent…

Yannick Soccal, birthday-boy du jour, a droit à un petit sketch : Véronique lui chante Happy Birthday, suivie par les musiciens. Soudain, elle s’immobilise : « C’est normal qu’on fasse tous des fausses notes ? » (vidéo ici)  


© Dominique Laurent

Sortie de scène. « Je vais me faire belle ». Les musiciens en profitent pour prouver une fois de plus qu’ils ne sont pas manchots. À son retour, elle arbore la fameuse veste rouge avec le squelette dans le dos pour Bernard’s Song, suivi d’accolades et de bisous sans arrière-pensées pour les mesures sanitaires – C’est pas bô, c’est pas bien…


© Florence Dubray

Le premier titre solo est Mortelles pensées. Allez je fais mon coming out : je ne suis pas fan de la partition de violon (un peu trop fort d’ailleurs, ce soir) sur ce titre. Comme l’impression d’un décalage, que ces arrangements n’épousent pas idéalement la mélodie originale. Mais ça n’enlève rien au jeu d’Anne Gravoin. Vient Ma révérence, imparable et souverain. Pas de Petit visiteur ce soir, d’où le petit incident au départ d’un magnifique Bahia choral où chacun s’époumone derrière son masque. Masque – si l’on veut être totalement honnête – qu’on a presque oublié pendant la durée du concert…

Elle quitte la lumière devant une foule debout. S’il y avait quelques indécis au départ, ils sont aujourd’hui tous dans sa poche. Une nouvelle mission de distraction de la réalité qu’elle aura accomplie avec les honneurs.

On croit d’abord que les accès loges sont sur le côté droit, on nous dit qu’il faut se dépêcher. Mauvaise pioche. Du coup, on aurait pu rester parler un peu avec les premiers rangs… Lorsqu’on arrive au bon endroit, Véronique est dans la loge des musiciens. Joyeux debriefing. François Constantin en postera quelques photos sur sa page Facebook.

© Christian Meilhan

Que dire à une artiste aussi perfectionniste que Véronique lorsqu’elle vous parle d’abord de petits « pains » au piano (perçus par moins d’1 % du public) tout en ayant l’air de mettre de côté l’extraordinaire qualité de son show (perçue par 200 % du même public – j’inclus ceux qui ont regardé les vidéos en ligne) ? Pas sûr d’avoir une bonne réponse… En tout les cas, on s’y emploie. Et on le redit ici : ce show unique dans une année tout à fait particulière a été pour tous une parenthèse enchantée dans un lieu qui l’est tout autant. Elle interroge autour d’elle : « Et cette situation… Vous croyez que ça va durer encore longtemps ? » 

La jeune femme qui l’a emmenée voir les rapaces vient la saluer. Véronique raconte les petits aras. « On peut y retourner ? » Nous voilà partis avec une lampe torche. Oups, on les a réveillés ! Ils se pressent contre la vitre, adorables.

Retour en loge. Les musiciens s’en vont. Elle enfile son fameux manteau vert, ne va pas tarder non plus

Sur la route, en voiture, on aperçoit enfin ce qu’elle cherchait avant d’attaquer Toi et moi : une parfaite demi-lune, rousse…   



Liens vidéos YouTube :

Et je l’appelle encore par Dominique Laurent

Toi et moi par Émilie Ma

Toi et moi par Claudine Mettoudy

Toi et moi (extrait) par Dominique Laurent

La loi des poules par Émilie Ma

Rien que de l’eau par Dominique Laurent

Rien que de l’eau par Regina Noix de coco

Je me suis tellement manqué par Regina Noix de coco

Flamingo Nights + Bernard’s Song par Émilie Ma

Flamingo Nights + Bernard’s Song par Dominique Laurent

Et s’il était une fois + Présentation des musiciens par Dominique Laurent

Saluts par Dominique Laurent

Dignes, dingues, donc (extrait) / Dans ces moments-là / Monsieur Dupont (extrait) / L'écume de ma mémoire par oim




 

• Lionel Florence | 2020



Lionel Florence
Jules
 
23 janvier 2020
  
Lionel Florence avait déjà été approché par le monde de l’édition mais il répondait généralement qu’il était plus à l’aise dans le format court d’un texte de chansons. Pourtant l’année dernière il s’est laissé convaincre, a osé envoyer quelques feuillets à une inconnue. Intuitif, le garçon… et intuitive, la dame… Encouragé (l’inconnue travaillait dans l’édition), il a passé quelques mois plongé dans un passé encore trop proche pour apporter ses réponses à la question qui figure en sous-titre du livre (Pourquoi se suicider quand on a 26 ans ?) et rendre publiquement justice au garçon qu’il aimait.

La lecture se fait d’un seul trait. Comptez un peu plus de deux heures – on dirait une recette de cuisine ;-) On passe alors par toutes sortes d’émotions : la surprise (devant l’ignominie d’une telle maltraitance envers un enfant), la révolte (devant tant d’injustice et d’impunité), le soulagement (quand le jeune héros semble enfin s’en sortir), l’espoir (quand se dessinent des jours meilleurs) même si on connaît l’issue… Mais ici pas de pathos, pas d’apitoiement sur le sort, pas d’appel à la haine… Il arrive même qu’on se marre, au détour d’une page.  

Le découpage du livre brille par son habileté, là où un récit chronologique des faits aurait fait sombrer le lecteur. On est tantôt dans le récit pur, tantôt avec le héros qui se parle à lui-même, mais aussi avec l’auteur qui dialogue avec lui au fur et à mesure qu’avance leur relation. Mais ce qui touche surtout, c’est le courage qu’il faut pour raconter un drame aussi intime avec autant d’honnêteté, et surtout sans complaisance.  

© Lionel Florence, Autoportrait, 2001

À ce stade, je dois préciser que je connais bien l’auteur, rencontré en 1994 par l’entremise d’un ami commun perdu de vue ensuite – un peu comme si son rôle dans nos destins avait consisté à accompagner notre coup de foudre amical. Je connais bien l’animal, sais qu’il est homme de surprises, mais j’avoue que je n’avais pas vu venir celle-ci… En effet, tout comme il n’avait pas prévenu à l’époque ses amis de la préparation du disque Entre sourires et larmes, il n’a pas pipé mot de la préparation de ce livre – hormis à son frère en écriture, Patrice Guirao, qui signe une superbe postface. Goût du secret ? Superstition ? Sans doute un peu des deux. Lionel aime surprendre. Avec ce livre, j’avoue qu’il m’a bluffé.

Ce n’est pas un grand lecteur. Après vérification, il avoue même n’avoir jamais entendu parler de Pour en finir avec Eddy Bellegueule auquel certains aspects de son livre auraient pu faire penser. On songe aussi très brièvement aux ouvrages où Roger Peyrefitte relatait sa relation avec Alain-Philippe Malagnac, le côté suranné en moins. Lire ces ouvrages ou d’autres l’aurait sans doute entravé. Persuadé que chacun possède en soi ce dont il a besoin au moment voulu, il préfère aller explorer ses mémoires antérieures, faire remonter dans la solitude les informations accumulées par des générations avant lui.

Puisse cet écrit venger l’enfance détruite de son amour disparu et l’aider à continuer à vivre sans lui.
 
Laurent Calut

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© Lionel Florence, 2001