Résiste
Palais des Sports, Paris
11 juin 2016, 15 h
Il est facile, sans jouer les naïfs, de comprendre ce qui a pu pousser France Gall à se jeter dans un tel projet : elle dispose d’un incroyable catalogue de tubes qui ne sont guère plus joués que sur Nostalgie ou RFM. Leur auteur, Michel Berger est mort depuis plus de 20 ans, mais leur message est encore légitime aujourd’hui. Comment les remettre dans l’actualité ?
Elle se refuse à les chanter à nouveau elle-même, a déjà fait un (bon) show télé il y a quelques années avec des copains, tous interprètes confirmés. Restait le pari de se lancer dans une aventure inédite avec de jeunes inconnus. Et on applaudit là son goût de la transmission et du risque, son enthousiasme et sa générosité. Mais pourquoi diable avoir voulu écrire une comédie musicale ? Avec une histoire si complexe qu’un micro-trottoir à la sortie du Palais des Sports prouverait que le grande majorité du public n’y a pas compris grand chose… Et que de détours pour arriver au happy end !
Surtout, voilà un scénario beaucoup plus gris que rose : au début du deuxième acte, lorsque le père annonce la Nuit de l’éclipse, on se dit qu’on va voir ce qu’on va voir (tubes à gogo, chorégraphies endiablées non-stop, une énorme fête)… sauf que le soufflé retombe après deux chansons… Le décor de la boite de nuit disparaît au profit de quelques cartons et un canapé, Tennessee annonce qu’il va “faire comme tout le monde, chercher du travail”, Maggie se languit, Angelina se fait buter… On n’est pas très loin des joyeuses nouvelles des JT !
Débarque alors, comme une perruque dans la soupe, la chanson inédite (et très jolie) de Michel, servie par une belle chorégraphie dans un décor vidéo bucolique – parenthèse sans doute censée représenter une respiration dans cette triste intrigue. Mais le son de la voix de Michel Berger nous éjecte immédiatement hors du spectacle et remet les pendules à l’heure quant au pouvoir émotionnel d’une chanson, parce que de ce côté-là, il connaissait son affaire… En écoutant tous ces jeunes gens, surtout pendant le premier acte, on se surprend mentalement à paraphraser Gilbert Cesbron : C’est Berger qu’on assassine !
Que dire aussi du choix des chansons, souvent des chansons d’albums, alors que le public attend des tubes pour se lever et danser ? La plupart du temps, on frôle le karaoké et ce n’est pas le groupe des musiciens qui y changera quelque chose. Quant à ces moments où seuls un couplet et un refrain sont utilisés comme dialogue, ils ne servent pas vraiment l’histoire et se révèlent plutôt frustrants.
Le premier grand moment de musique est La groupie du pianiste, à la fin d’un premier acte ennuyeux et confus (il y a parfois tellement de monde sur scène qu’on n’identifie pas tout de suite qui chante). L’interprète manque cruellement de charisme mais le morceau est imparable : il décolle et emporte tout, bien mixé, bien chorégraphié. Une bombe.
Également, Il jouait du piano debout et son intéressant diaporama où Simone Veil croise Barbara et Sœur emmanuelle mais pas – sauf si je l’ai raté – Elton John (même si on sait que le titre a été écrit en hommage à Jerry Lee Lewis, sur l’écran en dernier). Autres moments à sauver : Elle, elle l’a et Résiste.
De manière générale, en l’absence d’émotion, on n’est pas pris par ce qui se passe sur scène, on se sent constamment en dehors. Au point de noter des détails : lorsque Maggie chante À votre avis, elle utilise un téléphone en bakélite orange. On est donc dans les années 1970-80 ? Ou cet autre détail, qui contredit le premier, le fait que deux garçons puissent danser ensemble (voire plus si affinités) dans une boite qui n’est pas exclusivement gay. Enfin, le prénom Véronique (tiens, tiens…) entendu à propos d’une dresseuse de faucons…
En dehors des chansons elles-mêmes, la seule chose que l’on puisse vraiment sauver, ce sont les chorégraphies, exécutées avec une précision et une fougue extraordinaires. On y découvre de vrais personnages qui, à l’applaudimètre, dépasseraient la troupe des chanteurs. Il faut aussi mentionner Maggie se déchaînant au milieu de danseurs, et bien sûr Tennessee (Gwendal Marimoutou), bon danseur mais timide, charismatique et surtout généreux : il est pratiquement le seul à réaliser qu’il y a un public et qu’un peu d’interaction avec lui ne nuira pas au bon déroulement du spectacle !
Les parties filmées sont tout à fait charmantes mais sans doute trop nombreuses : chaque fois que l’écran réapparait, on s’éloigne encore de ce qui devrait lier artistes sur scène et public dans la salle.
Ce 11 juin est jour de captation, ce qui nous vaut la visite sur scène de celle qui signe le livret avec Bruck Dawit. La main sur le cœur, France Gall reçoit une ovation sincère pour avoir eu l’audace de se lancer dans cette aventure et surtout véhiculé un message aussi positif (contenu dans le titre du spectacle, Résiste) en ces temps de désenchantement collectif…
On ressort avec les chansons de Michel dans la tête, ce qui n’est déjà pas si mal, et pour cela aussi on la remercie.
On ressort avec les chansons de Michel dans la tête, ce qui n’est déjà pas si mal, et pour cela aussi on la remercie.
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