• Kate Bush | 2011

Kate Bush
50 Words for Snow


Parenthèse anglaise dans ces chroniques des concerts de Véronique, avec le nouveau Kate Bush, 50 Words For Snow.
Kate Bush est cette artiste singulière qui depuis plus de 30 ans avance à son rythme, sans contraintes, et semble prendre un malin plaisir ces dernières années à semer en route ceux qui auraient envie d'un nouveau Running up that hill ou d'un autre Babooshka, gommant si consciencieusement son image de princesse pop anglaise qu'on ne peut maintenant plus décemment l'y associer... Comme s'il lui fallait se démarquer des "héritières" (Tori Amos, Emilie Simon...), échapper à toute comparaison avec leurs productions en allant toujours plus loin, et surtout dans une autre direction.
On se souvient bien sûr l'avoir vue sur scène, lors de son unique tournée, en mars 1979
, au Théâtre des Champs-Elysées, mais c'est comme dans une autre vie...

50 Words For Snow a été écrit et enregistré rapidement – surtout si l'on considère les habitudes de la dame –, après la sortie discutable d'un autre cd, Director's cut (avril de cette année) dans lequel elle retravaillait des titres de deux de ses albums, Sensual World (1989) et The Red Shoes (1993), sur lequel figurait l'incomparable Moments of pleasure.
Intros démultipliées, piano omniprésent, nocturne... ce n'est pas un album facile d'accès. Il lui faut du temps, de l'espace, pour être apprivoisé, devenir familier. La première semaine, on renoue avec le délicieux plaisir de ces moments où l'on ne connaît pas encore bien un disque, où l'on commence à fredonner un titre pour s'apercevoir qu'on est arrivé dans un autre... Sauf que cette fois-ci, le jeu risque de durer un certain temps : subtiles et dépouillées, ce sont ici des mélodies comme inachevées, avec très peu d'arrangements. Des chansons lentes qui déambulent, prennent leur temps, longs couloirs qui conduisent vers un soudain éclat de voix ou une rare harmonie que la mélodie semble avoir cherchés en explorant toutes les ressources à sa disposition... On a parfois l'impression qu'elle chante et joue avec une mélodie en tête plus développée que celle qu'elle interprète, et dont elle a préféré laisser la colonne vertébrale. L'écoute sera attentive, avec l'envie de suivre l'artiste dans la forêt dense de son inspiration et peut-être même de poursuivre son travail de création. Après tout, on achète un disque autant pour le plaisir de l'écouter que celui de le chanter à notre tour... Et c'est un peu comme si elle avait délivré une matière brute, avec laquelle on pourrait jouer – en toute humilité.
L'album est à savourer au calme, il recentre. Si on l'écoute dehors, en marchant, on se retrouvera vite comme en apesanteur au milieu de nos contemporains. Et d'accord avec Kate Bush : "The world is so loud"...
Aucun des titres qui composent l'album ne fait moins de 7 minutes et Misty (extrait vidéo ici), chef-d'œuvre absolu, culmine à près de 14 minutes.

L'album s'ouvre avec la voix de son fils, 13 ans (lead vocal : Albert McIntosh). Et on imagine sa mère le coachant, lui demandant de bien détacher chaque syllabe. Le résultat est impressionnant ; l'adulte qu'il deviendra aura un souvenir magnifique de sa voix d'enfant. Et lorsque sa voix à elle arrive pour les deux phrases du refrain, on réalise seulement qu'on est maintenant en présence du rare duo d'une mère avec son fils.
La chanson qui donne son titre à l'album est l'énumération de 50 mots en rapports avec la neige, parmi lesquels les notables "creaky-creaky" et "sorbetdeluge" (en un mot), doctement récités par Stephen Fry. Kate Bush les compte d'une voix sensuelle et encourage son champion "Come on man, you've got 44 to go" ! Ce qui nous donne l'occasion de ré-entendre sa voix finir les o en ooooo, comme du temps où ses chansons débordaient de chœurs...
Le duo avec Elton John ? Rien de bien commercial dans cette entreprise, pourraient se lamenter les radios que l'affiche aurait alléché : Kate Bush embarque la star dans l'histoire d'un homme et d'une femme qui se croisent dans chacune de leurs incarnations, qui s'aiment depuis toujours... Particularité : chaque phrase a un nombre de pieds plus important que ne le voudrait la mélodie et pourtant, ça passe bien. Et la voix d'Elton, profonde, plausible, s'épanouit dans une superbe note finale, "Not again". 50 Words For Snow, album aussi ambitieux que l'était The Ninth Wave auquel on pense parfois, tient tout au long de ses 7 titres son climat d'intimité, de grande sensibilité. Didier Varrod ne s'y est d'ailleurs pas trompé l'autre matin dans sa chronique sur France Inter (à réécouter ici).

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